Histoire de genre : le whodunit

Histoire de genre : le whodunit

Aujourd’hui, je vous propose de nous pencher tous ensemble sur un sous-genre du roman policier : le whodunit. Si vous lisez régulièrement des romans policiers, il y a de fortes chances que vous ayez déjà croisé ce sous-genre lors de vos lectures… même si vous ignoriez encore son nom. En ce qui me concerne, j’ai découvert l’expression pendant mes études littéraires à l’université, et j’ai tout de suite adoré cette expression et le concept qu’elle désigne. Surtout, il s’agit en fait d’un sous-genre littéraire dont j’étais déjà fan depuis très longtemps sans le savoir.

  • Whodunit : d’où ça vient ? qu’est-ce que ça veut dire ?

Le whodunit affiche un titre assez déroutant. Certes, ça ressemble à de l’anglosaxon, mais le mot est bizarre. Et pour cause : c’est en fait un mot-valise ! En fait, il s’agit de la contraction de l’expression « Who has done it ? ». Littéralement en bon français : qui a fait le coup ? On sent bien qu’on est dans le genre policier !

L’expression est née à peu près en même temps que le roman policier, au début du XXe siècle. A cette époque, on peut dire que les romans policiers se divisaient en deux grosses catégories : le roman « scientifique » comme Sherlock Holmes, et le roman plus « psychologique » comme les Agatha Christie.

  • Quelles différences entre un roman policier classique et un whodunit ?

Il n’y a rien qui ressemble moins à un roman policier… qu’un autre roman policier ! Après le succès, au XIX siècle des premiers romans policiers modernes, le début du XXe siècle a connu un enthousiasme délirant pour le genre. Il y a avait les romans-feuilletons dans les journaux, les nouvelles, les romans, les pièces de théâtre… Et rapidement, les deux catégories que j’ai cité plus haut ont émergé.

Dans le cas des romans « scientifiques », l’auteur présente une énigme au lecteur, qui semble impossible à résoudre. L’intrigue vise surtout à dénouer les fils de cette énigme, à en comprendre les mécanismes. C’est cette explication logique du « comment le crime a-t-il été commis ? » qui prime sur l’identité du meurtrier (même si évidemment, on découvre aussi l’identité du coupable à la fin). Sherlock Holmes est toujours cité en exemple parce que, pour cet esprit brillant, résoudre l’énigme semble toujours plus important que l’accomplissement de la justice. La narration se focalise sur l’énigme, et d’ailleurs dans les romans, le personnage évoque son travail d’enquêteur en parlant de « game » (jeu donc) comme s’il s’agissait d’un jeu d’esprit.

Peu après le succès des Sherlock Holmes, d’autres romans naissent, cette fois plus intéressés par le comportement des criminels et des suspects. Ce sont les whodunit qui nous intéressent. Ils coïncident aussi avec la naissance de la psychanalyse. Le comportement humain devient un sujet palpitant. Et une jeune romancière britannique ne va pas tarder à utiliser ce nouveau levier pour ses propres énigmes. Je parle bien sûr d’Agatha Christie.

Alivreouvert : whodunit, histoire de genreSon idée est à la fois simple et brillante : un meurtre est commis au sein d’une petite communauté (village, famille, réunions d’amis…) et une galerie de suspects fait face au lecteur. L’enquêteur est là pour relever les indices et surtout pour questionner les suspects. Au fil des scènes, on se fait une meilleure idée de chaque suspect. Evidemment, chacun a quelque chose à cacher, personne n’est vraiment net… mais un personnage louche n’est pas toujours le gage du coupable idéal ! A ce jeu psychologique, l’être humain révèle ses failles, ses faiblesses, ses plus noirs secrets.

Et dans cette logique, l’identité du meurtrier devient plus intéressante à découvrir que le mécanisme même du meurtre. D’autant que souvent c’est la personnalité de l’assassin qui fournit la clé sur le mécanisme du meurtre. Ainsi dans La Mystérieuse Affaire de Style, le premier Hercule Poirot, il y a un lien évident entre la personnalité du tueur et le procédé choisi pour le commettre. Mais Agatha Christie s’amuse à semer le doute dans l’esprit du lecteur, et on finit pas soupçonner tout le monde.

Pour faire simple, le whodunit est une sorte de Cluedo : c’est forcément un des personnages du tableau qui a fait le coup. Mais lequel ?

  • Un genre hyper-populaire et souvent détourné

En fait, Agatha Christie n’a pas inventé le whodunit. Il y avait déjà d’autres romans policiers avec cette même dynamique avant la reine du crime. Mais d’une certaine manière, c’est elle qui lui a donné ses lettres de noblesse. Ses romans présentent des personnage avec une grande finesse psychologique. Et sous leurs atours de parfaite normalité, ils sont en fait tous des criminels en puissance.

A noter d’ailleurs qu’Agatha Christie a aussi l’un des auteurs qui a le plus souvent détourné le genre du whodunit pour surprendre encore plus le lecteur. Dans Dix Petits Nègres, il n’y a pas d’assassin à découvrir. Et dans Le Crime de l’Orient-Express, ils sont tous coupables !
Et en France ?

A sa manière, la littérature française a contribué à l’essor du whodunit… mais de façon très surprenante. Prenant le contre-pied de nos voisins d’Outre-Manche, nous avons eu la bonne idée d’inventer le whodunit inversé. Dès le début des années 1910, les auteurs français rivalisent de fantaisie et d’esprit pour écrire des romans policiers dans lesquels… on connait dès le départ le nom du coupable ! La série des Fantômas, écrite à quatre mains par Pierre Souvestre et Marcel Allain, et bien sûr Arsène Lupin écrit par Maurice Leblanc sont de parfaits exemples. Certes, on perd un peu le côté ludique du whodunit puisque le lecteur n’a aucune enquête à mener, aucun mystère à résoudre. Mais du point de vue de l’écriture, ces romans sont tout aussi exigeants, sinon plus, que leurs confrères anglophones. Puisque le nom du coupable est connu depuis le début, il faut tenir le lecteur en haleine avec d’autres éléments.

Histoire de genre : le whodunit

  • Le whodunit de nos jours

A l’heure actuelle, le whodunit demeure la catégorie reine du roman policier, et plus largement de la littérature moderne. C’est un genre très prisé par un large lectorat. Il a même fait des émules au cinéma et à la télé, avec beaucoup d’histoires qui fonctionnent selon le même mécanisme de recherche du coupable. Le jeu de société Cluedo a été inventé en s’inspirant de ce genre. Et Hollywood a même fini par en fait un film (sur lequel on peut faire l’impasse car il est atrocement mauvais !).

On peut dire que le thriller psychologique est soit une mutation moderne du whodunit, soit son héritier.  Il reprend certains éléments, notamment le principe des suspects qui cachent des secrets et entraînent l’enquêteur/le lecteur sur de fausses pistes. Là où il s’en éloigne, c’est que les histoire sont souvent plus sombres, avec une tension narrative faite pour faire frissonner le lecteur. Le whodunit reste un genre gentillet : sa lecture ne risque pas de vous provoquer des insomnies !

Encore aujourd’hui, les auteurs de romans policiers sont nombreux à écrire des whodunit. Et il existe aussi de nombreux auteurs du passé qui méritent d’être redécouverts. Par exemple, j’ai une affection particulière pour les romans policiers de Margery Allingham, qui mettent en scène Albert Campion. Si vous aimez Agatha Christie, nous allez adorer !

J’espère que cette petite incartade du côté du whodunit vous aura fait plaisir. N’hésitez pas à me laisser un petit commentaire pour me dire ce que vous avez pensé de cet article !

7 réflexions sur “Histoire de genre : le whodunit

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