L’aînée des illustres soeurs Mitford est née à Londres le 28 novembre 1904 dans le très huppé quartier de Belgravia. Fille de Lord Redesdale, Nancy reçoit dès sa naissance le titre de « Honorable » réservé aux enfants de Lords. Six petites soeurs et un frère la rejoindront bientôt pour former l’une des fratries les plus célèbres de l’entre-deux guerres en Angleterre.
Élevée dans le classicisme – pour ne pas dire le rigorisme – de l’élite anglaise, Nancy bénéficie pourtant très tôt d’une certaine liberté : libre accès à la bibliothèque familiale, longues promenades à cheval, parties de chasse, et l’élevage d’un grand nombre d’animaux. Elle relatera plus tard ses nombreux souvenirs d’enfance dans ses livres, dépeignant tour à tour ses soeurs, ses amis et son père, figure tutélaire, dans un mélange d’humour acerbe et de tendresse profonde.
Selon les usages, Nancy fait son entrée dans le monde à l’adolescence, comme toute jeune fille de bonne famille. Ainsi confrontée à la vie idyllique de la jeunesse dorée anglaise, elle fait la connaissance des Bright Young Things, un groupe de jeunes gens de son âge et de son milieu dont elle va rapidement devenir l’une des figures les plus reconaissables. Parmi ces jeunes gens brillants et spirituels, on compte le futur auteur Evelyn Waugh, qui va devenir au fil des années et d’une abondante correspondance l’un des amis les plus chers de Nancy.
A la fin des années 1920, Nancy est une jeune fille très en vue dans son cercle d’amis, et sa correspondance la place au centre de la vie mondaine. Ses talents d’écrivains commencent à paraître dans les lettres et des articles de cette époque, où elle laisse la bride libre à son humour et son sens de l’observation. Elle y dresse ainsi le portrait des personnalités croisées dans les bals et les soirées mondaines.
En 1933, elle épouse Peter Rodd, lui aussi fils d’un Lord. Très éprise de son époux, Nancy ferme les yeux sur les infidélités de Rodd ainsi que sur ses nombreux déboires financiers. Pour assurer une stabilité matérielle au couple, elle se fait engager comme vendeuse dans une librairie de Londres. Mais son mariage sera finalement un échec qui aboutira à la séparation des époux.
Lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclate, la famille Mitford se retrouve écartelée entre ses différentes filles. Diana est l’épouse du fondateur du parti fasciste anglais. Unity est une proche de Hitler ; elle tente de se suicider lorsque l’Angleterre déclare la guerre à l’Allemagne. Jessica, elle, prend le parti des communistes durant la guerre d’Espagne. Malgré les différences de conviction, Nancy reste proche de ses soeurs, au moins par la correspondance. Bien qu’elle ne partage pas leurs passions politiques, elle continue de leur écrire. Cette abondante correspondance sera régulièrement publiée après sa mort.
Une fois la guerre terminée, Nancy part s’installer en France, à Paris puis à Versailles. Elle cultive depuis longtemps un amour de ce pays, et va rapidement devenir l’une des personnalités incontournables de la vie intellectuelle parisienne de l’après-guerre. Elle rencontre toutes les personnes en vue, les reçoit chez elle et est elle-même reçue par le tout-Paris.
C’est à cette époque qu’elle rencontre celui qui sera l’homme de sa vie : Gaston Palewski. Ce proche du général De Gaulle va devenir l’un des hommes politiques les plus en vue en France, accédant au poste de chef de cabinet du président de la République. Connu pour ses nombreuses liaisons, il s’éprand de cette anglaise originale et drôle, mais leur histoire ne dépassera jamais le stade de la liaison. Plusieurs années plus tard, il épousera une autre femme, au grand dam de Nancy.
En 1945, Nancy publie son premier roman La Poursuite de l’amour. Ce livre (dédié à Gaston Palewski) devient un best-seller en Angleterre et rencontre un succès respectable en France. Largement autobiographique, ce roman dépeint l’enfance puis la vie de deux cousines issuées de la bonne société anglaise : l’une sage et raisonnable, qui mène la vie rêvée par sa famille ; l’autre ne rêve que d’amour passionné et romantique. Ces deux personnages sont en fait inspirés par Nancy elle-même et ses propres soeurs. De nombreux détails autobiographiques parsèment ce roman, comme des souvenirs d’enfance et des membres ou connaissances de la famille, croqués avec humour par la plume de Nancy.
D’autres romans suivront, dans la même veine que le premier : L’Amour dans un climat froid en 1949, Le Cher Ange en 1951, et Pas un mot à l’ambassadeur en 1960. Par la suite, Nancy Mitford s’intéresse au genre de la biographie et brosse le portrait de personnalités de l’histoire de France : madame de Pompadour, Voltaire, Louis XIV…
1972 est l’année de la consécration pour Nancy qui devient Officier de la Légion d’Honneur et Commandeur de l’ordre de l’Empire Britannique.
Elle décède le 23 juin 1973 à la suite d’un cancer et est ramenée en Angleterre pour y être enterrée. Depuis son décès, sa notoriété et celle de ses soeurs n’ont fait que grandir Outre-Manche. De nombreux documents et la plublication des lettres de la fratrie Mitford ont aidé à mieux cerner ces femmes, et particulièrement Nancy, dont les romans sont si représentatifs de la vie aristocratique anglaise de l’entre-deux guerres.
Éternelle amoureuse de la France, cette « honorable » qui a vécu une vie si peu respectueuse des conventions sociales de son époque a gagné dans notre pays une place à part parmi les autres grands auteurs francophiles.
Et pour ceux qui veulent en savoir plus, je vous conseille la biographie des soeurs Mitford dont j’ai parlé dans ce billet.
4 réflexions sur “Nancy Mitford : honorable rebelle”