Aujourd’hui, je vous propose de partir à la découverte d’un élément narratif que vous avez toutes et tous déjà croisé dans vos lectures, sans en connaître forcément le nom. Les anglo-saxons appellent ça le « trope ». Il s’agit des archétypes narratifs qu’on croise dans les romans, et qui sont devenus le fondement de la culture populaire quand on parle d’histoires. La preuve : on retrouve les mêmes dans les films et les séries. Mais qu’est-ce que c’est au juste le « trope » ? D’où ça vient ? Est-ce contagieux ?! Je vous explique tout dans l’article découverte du jour.
Première question : c’est quoi un trope en littérature ?
« Trope », c’est le mot qu’utilisent les anglo-saxons pour désigner un archétype narratif. C’est-à-dire un schéma général qui va structurer toute l’histoire. Par exemple dans une comédie romantique : Machin rencontrent Machine et ils se détestent, mais ils vont finir par tomber amoureux l’un de l’autre. Ou encore : une orpheline miséreuse avec un pouvoir mystérieux est l’élue désignée par une ancienne prophétie, et après de rudes combats, elle va sauver le monde. Ce genre de schéma général est un archétype narratif. Bien sûr, il peut y avoir des variantes, des déclinaisons en fonction des auteurs, mais globalement la littérature repose sur un socle d’archétypes narratifs qui se répètent toujours.
D’ailleurs, il n’y a pas que la narration qui repose sur des archétypes. Si vous y réfléchissez un peu, vous allez voir que les personnages de romans sont aussi pour la plupart des archétypes. Le sauveur, le faux-ennemi, celui/celle qui entame une quête… En littérature, les archétypes sont légions et c’est eux qui font tourner la machine.
Est-ce que « trope » est le mot juste, au fait ?
Il y a pas mal de procédés en lien avec la littérature qui ont été théorisés par la littérature anglo-saxonne moderne. C’est le cas pour tout ce qui concerne les romances inclusives, la cartographie des sous-genres (le cosy-mystery dans le policier, la culinary romance…). Et dans de nombreux cas, on peut reprendre le mot anglais tel quel car on n’a pas vraiment d’équivalent en langue française. C’est notamment le cas pour l’expression « Page Turner » qui n’a toujours pas de traduction française satisfaisante.
Pour le « trope », bonne nouvelle, le mot existe chez nous ! Sauf qu’il ne désigne pas la même chose ! En France, on utilise d’ailleurs souvent le mot grec d’origine : Tropos. Et c’est quoi le tropos ? C’est une catégorie de figures de style qui englobe la métaphore, l’allégorie, la comparaison et la litote entre autre choses à noms bizarres. De notre côté de l’océan Atlantique, le « trope » ne veut donc pas dire la même chose que pour les anglo-saxons. Alors attention à la tentation de reprendre le therme tel quel !
Concrètement, à quoi sert un archétype narratif ?
Pour revenir au « trope » des anglo-saxons, sachez qu’un archétype narratif n’est pas la preuve du manque d’originalité d’un auteur ! Il existe tout un tas d’ouvrages de spécialistes en histoire de la littérature qui se sont amusés à lister les archétypes narratifs les plus courants. Ils existaient déjà à l’époque du théâtre dans la Grèce Antique, alors autant vous dire que ce n’a rien à voir avec une quelconque paresse des auteurs modernes. Certains pensent qu’on ne peut pas imaginer des histoires hors de ces archétypes narratifs. Que nous sommes condamnées à repasser toujours par les mêmes sentiers de l’imaginaire quand nous créons de nouvelles histoires. En gros, la progression d’une histoire suivrait toujours ce mouvement général. Et seul le décor, le contexte historique et géographique, changerait.
C’est une question intéressante. En tant que lectrice, je n’ai pas de réponse à donner. Je reconnais que la plupart des livres reprennent toujours un peu les mêmes archétypes narratifs. Mais il y a aussi des oeuvres capables de s’en émanciper. Ou de détourner les archétypes de telle façon qu’on n’a pas la sensation d’avoir à faire à un archétype.
La romance : grande championne de l’archétype narratif !
S’il y avait des Jeux Olympiques de la littérature et qu’on proposait une épreuve du meilleur usage des archétypes narratifs, la romance gagnerait la médaille d’or haut la main. Les romancières et romanciers de ce genre littéraire sont bien connus pour user et parfois abuser des archétypes narratifs. La fille qui se fait lourder par son copain, et qui du coup change radicalement de vie en partant ouvrir une boulangerie à la campagne, où elle va miraculeusement rencontrer l’homme parfait. Vous avez déjà lu ça ? Un homme et une femme qui se connaissent à peine et partagent une proximité forcée (il ne reste qu’une seule chambre dans l’hôtel, par exemple). Vous avez déjà lu ça aussi ? C’est normal : la romance est irriguée par des situations narratives qui reprennent ces archétypes.
Dans certains cas, c’est bien fait. Dans d’autres, disons que ça peut vite être ridicule. Je sais que certaines personnes n’aiment pas les romances de Noël justement à cause de cet aspect trop convenu. Et j’admets que même si je suis bon public, j’apprécie que les auteurs fassent preuve d’un peu d’originalité. Donc la reprise des archétypes, d’accord, mais à petite dose que diable !
Si vous êtes un peu curieux, un jour je vous écrirai un article pour lister tous les archétypes narratifs de la romance : le « Ennemies to Lovers », le « Best Friends to Lovers », l’intimité forcée, l’amour d’enfance, la fausse relation (très populaire depuis quelques temps), l’amour interdit (dans les Harlequin on en trouve en nombre !)…
Est-ce que c’est mal d’utiliser des archétypes narratifs ?
Comme je l’ai expliqué plus haut, les archétypes narratifs font partie inhérente de la littérature. Je dirai qu’ils sont artistiquement neutres. Ce qui compte, c’est que l’auteur soit en capacité d’en faire quelque chose d’intéressant.
Depuis une vingtaine d’années, il y a eu un nouveau phénomène intéressant dans les romans contemporains : la montée en puissance d’un archétype narratif qui refuse de tenir ses promesses. J’ai déjà eu l’occasion de vous en parler dans mon article consacré au Flat Arc. Concrètement, il s’agit pour l’auteur de construire son histoire autour d’un archétype facilement reconnaissable… pour bifurquer à la dernière minute ! C’est ce qui s’est passé avec le personnage de Jamie Lannister dans Game of Thrones. On pensait que son histoire était celle d’un repenti. Mais à la dernière minute, ALERT SPOILER, il décide de retourner auprès de sa soeur.
D’autres auteurs modernes s’amusent aussi à situer des archétypes narratifs dans des contextes volontairement décalés. C’est le cas de Gail Carriger avec Sans Âme, le premier roman de la série des aventures d’Alexa Taraboti. Gail Carriger imagine l’histoire d’une vieille fille de la période victorienne, dont la famille désespère de lui trouver un mari convenable. Arrive un gentleman, apparemment trop bien pour elle, mais leur relation fait des étincelles et ils finissent ensemble. A ce détail près que toute l’histoire est en fait fantastique, et l’heureux élu est un loup-garou !
Comme vous le voyez, l’utilisation des archétypes narratifs n’est pas le signe d’un mauvais roman. En revanche, la capacité d’un auteur à nourrir cet archétype avec des idées nouvelles peut faire la différence entre un livre médiocre et un roman original.
Trope ou archétype narratif : en matière de littérature, le lectorat est gagnant !
Qu’on l’appelle un « Trope » ou un archétype narratif, le schéma d’un roman doit toujours servir la qualité de l’histoire. In fine, ce qui compte c’est de divertir le lectorat avec une histoire passionnante. Et même si on pourrait croire qu’on va finir par s’ennuyer en lisant toujours les mêmes archétypes narratifs, en fait ce n’est pas vrai.
A force de lire beaucoup de livres, je me suis rendue compte que j’avais fini par développer des préférences. Pour moi qui adore la romance contemporaine, j’avoue que je suis très fan des Ennemies to Lovers. Ces histoires dans lesquels les personnages se détestent au départ, pour ensuite finir par craquer l’un sur l’autre. Le meilleur exemple ? Meilleurs Ennemis, de la romancière Sally Thorne. Une pépite qui m’a vraiment fait découvrir les vertus de cet archétype quand il est bien écrit.
Aux Etats-Unis, les « Tropes » sont hyper populaires et ils font vraiment vivre la littérature. Je sais qu’en matière de romance, les lectrices américaines sont souvent très fidèles à un ou deux archétypes qu’elles adorent. Et elles achètent leurs livres en fonction de cette promesse de trouver l’archétype qu’elles adorent. D’ailleurs, les maisons d’édition américaines mettent vraiment en avant le genre de « trope » auquel appartient un nouveau roman qui est publié. C’est presque comme si les archétypes narratifs étaient devenus des sous-genres de la romance. Et en plus, ça aide le lectorat à s’y retrouver parmi le grand nombre de nouvelles publications.
Est-ce que vous pensez qu’on devrait faire la même chose en France ? Coller ce genre d’étiquettes pour mieux identifier le genre des histoires ? Et d’ailleurs, quels sont vos archétypes narratifs préférés ? Je suis certaine que vous en avez bien un !
Belle soirée lecture.
Personnellement, je me fiche complètement de lire des livres aux tropes identiques, du moment que c’est bien écrit et que les personnages sont attachants. Je préfère une histoire bien écrite avec une histoire banale plutôt qu’une histoire extraordinaire mais horriblement mal écrite 😊
Le pire étant bien sûr une histoire banale et mal écrite 🤨
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On est d’accord : finalement c’est l’écriture et la voix de l’auteur qui donnent la petite étincelle. En ce qui me concerne, je pensais être très ouverte en matière de romance, mais je me rends compte que je suis particulièrement accro à certains archétypes et ça oriente pas mal mes choix de lectures. Quand j’ai besoin d’une lecture doudou, je sais que c’est dans un genre particulier de romances que je vais aller fouiner pour trouver mon bonheur 🙂
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Peut-être que finalement nous avons besoin de ces « trope » car après tout c’est ce qui fonctionne et ce qui nous plait !
C’est vrai qu’en matière de romance j’aime le « ennemy-to-lovers » et le « fake-dating » (qui peuvent d’ailleurs être combinés !), et on est quelque part rassurés de savoir que comment l’histoire va tourner !
D’un autre côté, certains schémas narratifs ont tendance à me lasser à force de les voir partout ou lorsque j’ai le sentiment d’une paresse de l’auteur !
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Ta réflexion est hyper intéressante, et je la partage à 100%. J’adore tomber sur des histoires dont je sens à l’avance qu’elles risquent de me plaire. Des lectures doudous en quelque sorte. MAIS j’ai besoin que l’auteur fasse l’effort de me proposer quelque chose d’original à l’intérieur de ce schéma. Comme toi, je ne veux pas sentir la paresse de l’auteur qui se contente de surfer sur un genre d’histoire à la mode, en pensant que ça suffira à me séduire.
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