Aujourd’hui je vous parle d’un livre qui a pas mal fait parler de lui pendant la rentrée littéraire 2020. La Race des orphelins est le second roman écrit par Oscar Lalo et il s’intéresse à un sujet ambitieux : les orphelins des Lebensborn, ces pouponnières initiées par les nazis pour créer la race aryenne sensée diriger le Reich pour les siècles à venir. Alors évidemment, ce n’est pas du tout un sujet fun. Mais malgré le côté pesant et lugubre du sujet, Oscar Lalo signe ici un livre très accessible et franchement prenant, qui rend avant tout hommage aux victimes oubliées de la Seconde Guerre mondiale.
Hildegard Müller ne sait pas comment elle s’appelle. Elle ne connait ni sa date et son lieu de naissance, ni sa nationalité, ni même l’identité de ses parents. Hildegard Müller n’existe pas. C’est une reconstruction a posteriori. Car cette femme désormais âgée de plus de quatre-vingt ans est née dans un Lebensbron. Elle est issue d’un programme nazi, visant à faire se reproduire les personnes au sang pur. Un programme aussi inhumain et honteux que les camps de concentration. Pourtant l’Histoire reste largement muette sur les Lebensbron. Aucune archive ou presque n’a survécu à la guerre. Personne n’est plus là pour expliquer, apporter des réponses. Et les enfants nés de ces pouponnières n’ont pas la moindre idée de qui ils sont vraiment. Ils sont la marque indélébile de l’existence du nazisme. Traités comme des parias après la libération, ils ne sont même pas considérés officiellement comme des victimes du régime nazi. Alors, pour ne pas laisser l’oubli recouvrir cet épisode violent de la guerre, Hildegard raconte son histoire. Et elle essaye, en libérant sa parole, de remettre en forme toutes les pièces du puzzle de sa vie.
Pour une fois, je comprends parfaitement l’engouement autour d’un livre ! Si je m’étais contentée de lire le résumé, je ne suis pas certaine que j’aurais lu La Race des orphelins. Un sujet déprimant alors qu’on vient déjà de vivre une année difficile, merci bien ! Mais je serai passée à côté de quelque chose de formidable. Parce que le livre d’Oscar Lalo mérite vraiment qu’on s’y intéresse.
Déjà, il faut tout de suite que je rassure les âmes sensibles où les personnes, comme moi, qui ont envie de lire des choses gaies en ce moment. Malgré la gravité de son sujet, ce livre n’a rien de glauque ou de sombre. Certes, ce n’est pas une histoire qui va vous permettre de rigoler. Mais c’est un livre d’une grande délicatesse, qui aborde son sujet avec beaucoup d’humanité (de chaleur humaine, même). Oscar Lalo ne verse pas dans le voyeurisme pour raconter l’horreur. Il utilise la voix d’Hildegard pour rendre à cette histoire toute l’humanité qui lui manquait. C’est l’histoire d’une vie qui se raconte, se dévoile avec pudeur et honnêteté, d’une manière tendre.
En ce qui concerne le sujet en lui-même, c’est absolument passionnant. J’ai appris énormément de choses, et j’ai même ressenti le besoin, après la lecture, de me documenter pour en savoir plus sur les Lebensborn. C’est une histoire d’autant plus fascinante qu’on ne me l’a jamais raconté au collège ni au lycée. C’est un élément auquel nous n’avions pas accès dans notre enseignement, et pour cause. Les informations trop parcellaires ne favorisent pas la compréhension de ce mécanisme odieux de création d’une vie « parfaite ». L’auteur explique très bien comment le programme sélectionnait des femmes et des hommes qui correspondaient aux critères aryens. Comment on les faisant se reproduire pour obtenir des bébés « purs ». Comment les bébés faisaient ensuite l’objet d’une sélection drastique. Et enfin, comment se déroulait cet élevage humain (il n’y a pas d’autre mot), et à quoi ces enfants étaient destinés.
C’est dans les passages où il est le plus informatif que ce roman est à son meilleur. La voix d’Hildegard est touchante, intéressante car elle met des mots sur une histoire tellement incroyable qu’on a besoin d’un ancrage réel, d’une personne pour l’incarner et nous la transmettre à nous, lecteurs. En revanche, je dois admettre qu’à certains passages, j’ai trouvé l’écriture justement « trop écrite ». J’aurai préféré plus de spontanéité dans la voix d’Hildegard. A certains passages, c’est l’auteur qu’on entend, et c’est quelque chose qui a un peu atténué mon plaisir de lecture. Un frein tout relatif puisque j’ai lu ce livre en une journée. Impossible de m’arrêter car l’histoire avait piqué ma curiosité, et d’une certaine façon je ne voulais pas laisser tomber Hildegard.
L’histoire des orphelins issus des Lebensborn méritait d’être racontée. Et même si pendant ma lecture je n’ai pas toujours adhéré avec la façon d’écrire d’Oscar Lalo, je comprends complètement son intention. Il voulait montrer le cheminement d’une femme qui se cherche, qui cherche à trouver son histoire au sein de l’Histoire. Une Histoire dans laquelle elle existe sans avoir de consistance, sans avoir droit à une reconnaissance de victime, sans jamais trouver de réponses à ses questions. La Race des orphelins pose en fait une question terrible : comment faire la paix avec son passé quand on ne peut pas connaître la vérité sur ce passé ? C’est vraiment un livre bouleversant. Je vous invite à le lire parce qu’il raconte une histoire importante, et que le seul rempart contre la cruauté de ce passé englouti, c’est justement de ne pas le laisser en repos, de ne pas le laisser glisser dans l’oubli et le silence.
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