Interview de la traductrice littéraire, Amélie Juste-Thomas

Vous avez déjà probablement lu ses mots… sans connaître son nom ! C’est le lot des traducteurs littéraires : sans eux pas de texte, et pourtant leur objectif est que l’histoire se déroule sans que le lecteur remarque l’intervention du traducteur. Amélie Juste-Thomas a traduit plusieurs romans policiers écrits par la talentueuse M.C. Beaton. On lui doit notamment la récente traduction des Enquêtes de Lady Rose, dont les deux derniers tomes viennent tout juste de paraître chez Albin Michel. Alors, qu’est-ce qui fait une bonne traduction ? En quoi consiste concrètement ce travail ? Et comment devient-on traducteur littéraire ? Amélie Juste-Thomas a gentiment accepté de répondre à mes questions pour vous permettre d’en apprendre plus sur ce rouage indispensable de l’édition.

  • Comment vous êtes-vous orientée vers la traduction littéraire ? Quelle a été votre formation ?

Par passion, par goût pour la traduction. Mon parcours a été long, lent, mais logique. Après des études d’économie, j’ai travaillé à la direction des statistiques d’une grande institution. Puis rapidement je me suis mise à temps partiel pour reprendre des études. Mon travail ne me suffisait pas. Comme j’adore l’anglais, je me suis inscrite en licence d’anglais à Paris 3 puis en master de littérature. J’ai pris autant d’options de traduction que possible, j’adorais ça, même si la traduction universitaire est bien différente de la traduction littéraire.

Ensuite, j’ai pu rejoindre le service de traduction de l’institution où je travaille, où je traduis encore aujourd’hui, à mi-temps, des textes d’économie et de finance. Forte de cette expérience j’ai passé le concours d’entrée en M2 de traduction littéraire de Paris 7, une formation qui m’a énormément plu. Dans le cadre de ce master, j’ai dû effectuer un stage et j’ai eu l’immense chance de tomber sur une maîtresse de stage formidable tant au plan professionnel qu’humain. C’est elle qui par la suite m’a mis le pied à l’étrier. Je lui dois beaucoup.

Et last but not least, j’ai postulé à l’ETL, l’Ecole de Traduction Littéraire créée par Olivier Mannoni. Encore une fois, une expérience incroyable. Les intervenants, Olivier en tête, ont tous eu à cœur de nous faire partager leur expérience, de nous faire progresser. Sans compter que notre promotion est particulièrement soudée !

  • En plus de la maîtrise de la langue, j’imagine qu’il faut une vraie sensibilité littéraire. Comment vous travaillez les textes à traduire ? Est-ce que vous faites d’abord une traduction « technique » pour ensuite affiner ?

Oui, tout à fait, une certaine sensibilité au texte est essentielle. Pour ma part, je lis beaucoup, en français, en anglais, en traduction ou non. Quant au texte à traduire, je ne commence pas par une traduction « technique » à proprement parler, plutôt par une traduction « fleuve » où je mets le plus de choses possibles, tout ce que je comprends du texte anglais, tout ce qui me semble pertinent. Et ensuite j’affine, je fais le tri, j’en fais un texte « en français ». Mais je n’hésite pas à revenir à l’anglais si j’ai un doute.

  • Quels sont les aspects les plus difficiles dans la traduction littéraire ?

Pour moi, qui suis encore « débutante », ce qui est difficile, c’est de m’éloigner suffisamment du texte original. J’ai toujours peur de trahir l’auteur. Pourtant c’est nécessaire pour produire un texte accessible au lecteur français et qui, justement, respecte l’intention de l’auteur. C’est une espèce de corde raide, de fil du rasoir, il faut faire la part des choses…. Enfin, c’est en forgeant que l’on devient forgeron.

  • Et ceux que vous aimez le plus ?

Ce que j’aime le plus c’est justement cette difficulté. Cette écriture « sous contrainte ». Rien ne me satisfait plus que d’avoir le sentiment (en espérant que je ne me trompe pas !) d’avoir réussi à traduire l’intention de l’auteur et que ses mots finissent certes par disparaître, mais laissent leur empreinte comme un tuteur dont la plante n’aurait plus besoin.

  • Les Enquêtes de lady Rose ne sont pas les premiers romans de M.C. Beaton que vous traduisez en français. Est-ce que ça aide de traduire régulièrement le même auteur ? Vous trouvez vos marques plus facilement en connaissant le style de l’auteure…

À vrai dire je ne me rends pas encore bien compte car j’ai essentiellement traduit MC Beaton. Il faudra que j’aie plusieurs points de comparaison avant de vous répondre !

  • Et est-ce que vous avez besoin de faire parfois des recherches pour une traduction ? Par exemple dans Les enquêtes de lady Rose, il y a des références aux vêtements féminins de l’époque, mais aussi à des chansons populaires.

Oui, je fais beaucoup de recherches. Pour tout le vocabulaire spécifique effectivement (les vêtements anciens, les calèches, les animaux – ma marotte, même si je n’en ai pas encore eu beaucoup). Je me renseigne aussi auprès d’amis anglophones ou non, d’ailleurs. Des amis traducteurs. Une amie anglaise m’a évité un beau faux sens un jour, sur une expression qu’elle ne connaissait pas non plus, mais elle a su mieux chercher que moi !

Et je fais beaucoup de recherches sur le français aussi, pour être sûre d’être précise, de ne pas me tromper dans le sens d’un mot ou d’une expression. Il m’est arrivé de constater que j’interprétais une expression courante de façon erronée. J’ai oublié laquelle, mais c’était vraiment une expression toute bête. Depuis, je me méfie.

Quant aux chansons populaires, je les écoute si je trouve une version enregistrée, je fais des recherches, je les scande, mais ensuite je les traduis « à ma sauce ». Il faut vraiment que ça «claque» en français, que le lecteur se sente entraîné.

  • Et enfin, quel a été le livre que vous avez le plus de plaisir à traduire et pourquoi ?

Réponse de Normande : pour l’instant il n’y en a pas. J’adore traduire M.C Beaton. C’est une autrice généreuse avec le lecteur, son humour me fait rire, j’aime la façon dont elle construit ses personnages, l’atmosphère qu’elle créé, son style incisif.

Et j’ai adoré traduire Cotton County d’Eleanor Henderson. De la grande littérature, un thème difficile, une autrice avec un vrai style, inspiré de Faulkner selon ses propres mots. Je lis beaucoup d’interviews pour savoir ce que l’auteur cherche, son intention d’écriture, et la respecter. Le style inspiré de Faulkner avec des phrases longues et tortueuses pour Henderson, le plaisir du lecteur pour Beaton. Et puis je connaissais moins le sud des États-Unis, à ce titre aussi ça a été passionnant de traduire ce roman !

Je remercie chaleureusement Amelie Juste-Thomas d’avoir pris le temps de répondre à mes questions. Et j’espère que cette interview vous aura permis d’en apprendre plus sur le formidable travail des traducteurs littéraires.

Meurtre et Séduction

Je vous propose d’en apprendre plus sur Les Enquêtes de Lady Rose avec ma chronique du premier tome de la série policière.

Parution des tomes 3 & 4

Les éditions Albin Michel viennent de publier les deux derniers tomes de la série des Enquêtes de Lady Rose pour découvrir la fin de l’histoire !

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