Femmes et littérature : 5 romancières qui ont changé la donne

L’histoire des femmes dans la littérature occidentale est avant tout l’histoire d’une lutte. Comme dans le reste de la société, les femmes n’ont pas franchement été accueillies à bras ouvert. Et cet espace d’expression qu’est le monde écrit leur a longtemps été interdit. Les femmes étaient jugées trop peu intelligentes. Et de toute façon, sur quoi auraient-elles pu écrire : les tâches domestiques ? Dans un monde qui leur a toujours été hostile, l’écriture est une arme qui leur était défendue. Pourtant, elles ont été nombreuses à repousser les limites. De génération en génération, à travers différents pays, elles ont écrit. Et plusieurs romancières ont notamment eu le courage d’aborder des questions qui dérangeaient. Nous leur devons beaucoup. Car elles font partie de celles qui se sont battues pour que les femmes des générations suivantes héritent d’une société un peu plus juste. Aujourd’hui, je vous propose de (re)découvrir cinq de ces romancières dont l’écriture a changé la donne.

  • Anne Brontë

On parle toujours des soeurs Brontë, mais le duo Charlotte/Emily a tendance à éclipser Anne. Pourtant la petite dernière n’a pas la plume dans sa poche. Et elle mérite autant que ses soeurs qu’on se souvienne d’elle. Evidemment, il y a des points communs entre les livres d’Anne et ceux de ses soeurs. Oui, l’atmosphère est intense. Non, ça ne respire pas la joie de vivre.

Le livre pour lequel Anne Brontë est la mieux connue, c’est La Dame du manoir de Wildfell Hall. Un vrai petit bijou dont la particularité est d’oser aborder un sujet tabou : celui des violences conjugales. Ce qui n’est pas un mince exploit à l’époque ! L’héroïne du roman a décidé de louer un manoir dans un coin de campagne reculé afin de s’installer avec son fils. Et assez rapidement dans le roman, on découvre qu’elle fuit un mari violent. Or, sur place elle fait la rencontre d’un homme, bien différent de son mari. Mais quel avenir sentimental pour une femme marié dans une société où le divorce n’est pas une option ?

Si vous ne connaissez pas ce livre, il est d’une qualité intemporelle. Plutôt classique dans son écriture, mais résolument moderne dans son propos. A ma connaissance, c’est le premier exemple d’un roman écrit par une femme qui aborde le sujet des violences infligées aux femmes dans le cadre du mariage.

  • Virginia Woolf

Vous avez forcément entendu parler d’elle. Mais avez-vous ses livres ? C’est tout le problème avec Virginia Woolf : elle est célèbre, mais l’idée assez austère qu’on se fait de son oeuvre décourage pas mal de monde de la lire. Ce qui est dommage parce même si ce n’est pas ma romancière préférée (elle manque effectivement de chaleur humaine à mon goût), elle reste vraiment passionnante.

Mon conseil : prenez votre courage à deux mains et lancez-vous dans la lecture d’Une Chambre à soi. C’est vraiment LE livre qui se distingue de sa production. Et en prime il est très facile à lire. Ce n’est pas une oeuvre de fiction, mais une suite de textes dans lesquels Virginia Woolf explique les principes même du féminisme d’une façon logique et imparable. On dit que les femmes ne sont pas assez intelligente pour entreprendre des études, des carrières ou jouer un rôle de premier plan dans la société ? C’est tout bonnement, explique-t-elle, parce que les femmes n’ont pas accès à la même éducation. On ne cultive pas chez elle le goût de l’ambition. Et ça commence par le fait qu’on leur renie le droit de revendiquer leur singularité. Elles n’ont même pas droit à l’intimité d’une pièce rien qu’à elles. D’où le titre de l’ouvrage : Une Chambre à soi.

Vous verrez que c’est facile à lire et très riche. Et avec un peu de chance, ça vous donnera envie de lire d’autres choses de Virginia Woolf. Car même si elle n’est pas un boute-en-train, son écriture est quand même marquée par une poésie sincèrement belle.

  • Anita Loos

Les brunes ne comptent pas pour des prunes. Et ce n’est pas Anita Loos qui dira le contraire ! Avec son caractère bien trempé et son goût de la réplique hilarante, Anita Loos a été l’un des scénaristes les mieux payés et les plus respectés à Hollywood entre les années 1910 et 1940. Elle excellait dans la comédie, et aussi dans l’ancêtre du film d’action, les fameuses « comédies athlétiques » qui ont fait le succès de l’acteur Douglas Fairbanks (le Chris Hemsworth de l’époque).

Mais Anita Loos n’était pas seulement une scénariste. Elle a aussi écrit des romans. Son plus célèbre vous dira forcément quelque chose : Les Hommes préfèrent les blondes. Eh oui, avant d’être un film, il s’agissait d’un roman ! La particularité de ce livre, c’est que c’est avec cette histoire qu’Anita Loos invente un nouvel archétype féminin : la blonde idiote… mais pas idiote que ça ! Son personnage de Loreleï aura tellement de succès qu’il va devenir très populaire aux Etats-Unis. Et irrigué toute la production cinématographique à venir. Ce n’est pas tous les jours qu’on invente un nouveau genre de personnages féminins dans la fiction. Et Anita Loos a réussi son pari de montrer que les femmes peuvent représenter plusieurs choses à la fois, bien loin des clichés véhiculés par les regards masculins.

Le livre a été édité en France chez Folio, ainsi que sa suite : Mais ils épousent les brunes (encore plus hilarant !). Malheureusement, aucun des deux n’a été réédité depuis les années 1980. Je trouve que c’est une bien mauvaise chose car ces deux petits romans sont vraiment drôles, et ils portent un regard acide sur la condescendance et l’hypocrisie avec laquelle la société a tendance à traiter les femmes. Un sujet qui n’a pas pris une ride, hélas.

  • Marguerite Duras

En 1984, quand le Prix Goncourt a été attribué à Marguerite Duras pour son livre L’Amant, on peut dire que ça a rué dans les brancards ! Beaucoup d’articles de presse et d’éditorialistes ont été choqués par ce prix. Pouvait-on imaginer offrir un tel hommage à un bouquin qui osait parler de la première expérience sexuelle d’une jeune femme ? Un scandale !

Ce qui est intéressant, c’est que la dimension sensationnelle masque un problème de fond. Ce n’est pas parce que le roman parle de sexe que certains ont été choqués, c’est parce que l’histoire est celle d’une femme, racontée par une femme. Encore pire : la femme est présentée comme le sujet du désir, et pas comme l’objet. De quoi faire défaillir ses messieurs !

L’héritage de Marguerite Duras se trouve là : dans ce pavé jeté dans la mare de la littérature française. Pourquoi les femmes ne pourraient-elles pas, elles aussi, s’emparer des sujets intimes ? Et pourquoi ne pourraient-elles pas assumer leurs désirs ? Marguerite Duras n’a pas été la seule romancière française du XXe siècle à faire volet les limites littéraires en éclats. Pauline Réage aussi, à laquelle on doit Histoire d’O, bien plus sulfureux. Mais ce qui démarque les deux, c’est la volonté de Duras de placer la femme au centre de la sexualité, de l’émanciper du regard masculin pour se focaliser sur le plaisir féminin, le goût de la séduction, et aussi la manipulation qui peut y être liée. C’était nouveau au siècle dernier. Et c’est toujours un enjeu aujourd’hui, dans la représentation des femmes dans l’espace médiatique.

Ais-je précisé qu’en plus L’Amant est très facile à lire, et habité par une écriture splendide ?

  • Toni Morrison

Être femme dans notre société, c’est déjà partir avec un handicap. Mais être une femme afro-américaine, c’est être condamnée à se battre tout le long du chemin. Toni Morrison n’est pas la première femme afro-américaine à avoir écrit. Elle n’est pas la seule à s’être emparée du sujet des femmes de couleurs, doublement oubliées par la société. Avant elle, il y a notamment eu Gloria Naylor, qui a écrit le puissant roman Les Femmes de Brewster Place (je vous le conseille d’ailleurs).

Alors pourquoi Toni Morrison ? Je crois qu’elle est arrivée au bon moment. Aux Etats-Unis, et ailleurs dans le monde, le lectorat était enfin prêt à entendre une voix qui parle pour les femmes afro-américaines. De plus, Toni Morrison a vraiment bâti une oeuvre vaste, en osant s’emparer des sujets de société les plus durs, en ne détournant jamais les yeux des problèmes raciaux de son pays. Son écriture porte une énergie fabuleuse, qui vous émeut et vous transporte à la fois. C’est impossible de ne pas se sentir proche de ses personnages tant leur humanité est palpable.

Il y a plusieurs années, une de mes meilleures amies m’a offert un exemplaire de Sula. Et ce fut un coup de foudre immédiat. Sula est en général le roman de Toni Morrison qu’on cite le plus. Et à juste titre : c’est un portrait de femme captivant de la première à la dernière page.

J’espère que cette sélection vous a plut. N’hésitez pas à ajouter des noms d’autres autrices dans les commentaires 🙂

11 réflexions sur “Femmes et littérature : 5 romancières qui ont changé la donne

  1. Fattorius dit :

    J’ai lu « Les hommes préfèrent les blondes » d’Anita Loos il y a deux bonnes décennies, et il faudrait que je le relise: sans doute résonnera-t-il autrement en moi à présent…
    Merci pour ce partage!

    J’aime

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