
Renée Rosen était de passage à Paris le mois dernier. Son premier voyage à Paris, et au milieu de son programme de visites, elle a très gentiment pris le temps de rencontrer des blogueuses françaises fans de son travail. Bien installée dans le cadre cosy d’un café parisien en compagnie l’équipe des éditions Belfond, qui ont publié en France ses romans Park Avenue Summer et L’Âge d’or, j’ai pu lui poser quelques questions. L’occasion d’en apprendre plus sur son travail de romancière, mais aussi de l’interroger sur la façon dont elle envisage la place des femmes dans la culture américaine.
- Park Avenue Summer, votre premier roman traduit en français, nous plonge dans la période des années 1960 avec la naissance du magazine Cosmopolitan. Comment avez-vous choisi de vous intéresser à cette période historique ?
J’ai vu la série Mad Men à la télévision. L’histoire se passe dans les années 1960 à New-York. L’atmosphère m’a plut et j’ai voulu écrire une histoire qui se déroulerai à cette période-là. J’aimais bien l’idée d’un cadre un peu « sexy » comme Mad Men, mais ils avaient déjà traité le sujet de la publicité. Alors j’ai pensé à d’autres idées de cette époque. Et c’est là que j’ai pensé aux magazines féminins.
- Et vous avez décidé de vous concentrer sur l’histoire de Cosmopolitan et d’Helen Gurley Brown…
Oui. A son époque, Cosmopolitan avait quelque chose de subversif. Et moi-même j’ai grandi avec ce magazine que j’avais l’habitude de lire. Mais le vrai point de départ, ça a été le moment où on m’a présenté une femme qui avait connu Helen Gurley Brown, et qui la considérait comme sa seconde mère. Et elle et moi sommes devenues amies. Elle a lu les ébauches de mon livre. Elle me faisait des remarques du genre : « Hum, je pense que ça sonne trop comme Anna Wintour. Helen n’aurai pas parlé comme ça. » Elle a partagé beaucoup de souvenirs et d’histoires avec moi. Beaucoup d’éléments du livre viennent de ce qu’elle a partagé avec moi.
- Et justement : à quel point est-ce différent d’écrire sur quelqu’un qui a vraiment existé ? D’habitude, les romans mettent surtout en scène des personnages de fiction, avec lesquels les auteurs ont une totale liberté.
C’est un défi. Vous savez j’adore le fait de dresser le portrait de quelqu’un de réel. Je l’ai fait encore récemment avec mon dernier roman, qui évoque Estée Lauder. Mais il faut aussi apporter quelque chose de plus. Si vous prenez une biographie de la personne ou si vous allez sur Wikipedia et que vous découvrez toute l’intrigue de mon histoire, ça n’a pas d’intérêt ! Donc c’est pour ça que j’aime introduire des personnages fictifs, pour élargir un peu l’histoire.
Mais oui, c’est aussi un défi. Quand on parle d’une personne qui a vraiment existé, on doit rester centré sur elle. Et la question se pose : à quel point est-ce que je peux prendre des libertés ? Où est la ligne à ne pas franchir ? Vous savez Melanie Benjamin par exemple fait volontairement peu de recherches parce qu’elle ne veut pas se sentir contrainte. Moi par contre, j’essaye de respecter la plus proche possible les faits.
- Et comment vous faites quand il y a peu de faits pour nourrir votre écriture ? Je crois que c’était le cas pour Caroline Astor, que vous mettez en scène dans L’Âge d’or.
Oui. Caroline Astor était quelqu’un de très secret. Il n’y avait virtuellement rien comme base pour mon travail. Elle n’a pas écrit ses mémoires. Elle avait peu d’amis vraiment proches. Donc j’ai dû la reconstituer moi-même. En revanche, pour Alva Vanderbilt, il y avait plus de sources d’informations, notamment des biographies sur elles. Mais cela étant dit, ces femmes étaient tellement différentes l’une de l’autre.
D’ailleurs c’est pour ça que j’ai récrit le roman trois fois. Parce qu’il n’y avait rien pour les rendre tangibles. Elles étaient juste riches et plutôt superficielles. Et c’était difficile d’aller au-delà de ces apparences.
- Alva est effectivement un personnage qu’on sent plus vivant. Peut-être parce qu’elle était plus moderne ?
Elle a divorcé d’avec son premier mari. C’est quelque chose qui ne se faisait pas à l’époque. Et elle croyait vraiment à l’émancipation des femmes et des minorités. Donc malgré le fait qu’elle a été une mère atroce, elle a vraiment fait beaucoup pour les femmes de son époque.
- La particularité de L’Âge d’or, c’est en effet qu’il évoque une période où la lutte pour le droit des femmes naît aux Etats-Unis. Or Caroline comme Alva reproduisent un modèle dans lequel la femme est cantonnée à un rôle secondaire et domestique. C’est particulièrement vrai dans le cas d’Alva. Au moment de choisir un mari pour sa fille, elle la pousse vers le parti le plus riche sans envisager que sa fille puisse vouloir autre chose.
A l’époque de l’Âge d’or, le mariage n’avait rien à voir avec le coeur. Il s’agissait d’engendrer une descendance, de préserver la dynastie, les liens du sang. Le simple fait de se marier par amour est en fait un concept très moderne. Et c’est quelque chose que Caroline comme Alva ne pouvaient pas comprendre.
- Et pour votre prochain roman, Fifth Avenue Glamour Girl (qui sera publié en 2023 chez Belfond) vous allez encore vous intéresser à une personnalité féminine passionnante : Estée Lauder. Vous pouvez un peu nous parler d’elle ?
Il y avait des éléments très croustillants à son sujet ! Elle racontait à tout le monde qu’elle était née dans un château en Autriche. Elle a inventé toute cette histoire aristocratique. Alors qu’elle était née dans le Queens, au-dessus d’un magasin de bricolage. Pas du tout glamour ! Elle mentait en prétendant ne pas être juive parce qu’elle pensait que ça aurait freiné ses chances. En fait au départ elle voulait devenir une actrice. Elle voulait devenir célèbre par-dessus tout. Puis elle a commencé à fabriquer des lotions et des crèmes pour le visage dans son appartement de l’Upper West Side. Son oncle était chimiste, et il a joué un rôle crucial pour l’aider à démarrer. Mais je ne veux pas trop vous en raconter parce que tout sera dans mon livre !
- Finalement, quel est le point commun entre toutes ces femmes sur lesquelles vous écrivez : Helen, Caroline, Alva, Estée ?
Je pense que j’aime les femmes qui brisent les barrières. Par exemple Estée Lauder et Helen Gurley Brown sont un peu semblables dans le sens où elles avaient beaucoup d’assurance et beaucoup d’ambition.
Et c’était pareil pour Ruth Handler, la créatrice de la poupée Barbie. Je suis en train d’écrire un livre sur elle. Or c’était une femme d’affaires et une féministe, même si peu de gens le savent. Elle a pensé à créer cette poupée pour sa fille, Barbara. A l’époque, les seules poupées pour les petites filles étaient des poupons. Et les petites filles ne pouvaient jouer qu’à être des mères et des femmes au foyer. En temps que femme d’affaires dans un monde d’hommes, Ruth Handler était une femme dans un monde d’hommes. Elle brisait les barrières. Et elle était coriace. Elle voulait proposer autre chose aux petites filles. Et c’est comme ça que Barbie est née.
- A force d’écrire sur des personnes qui ont vraiment existé, je me demandais si ça vous intéresserait un jour d’écrire une véritable biographie ?
Je ne crois pas que j’ai ce qu’il faut pour ça. J’ai beaucoup de respect pour la biographie. Il faut être précis, notamment quand on retranscrit des paroles. Je ne pense pas que je pourrais faire ça. Même si je fais des recherches très méticuleuses, je ne pourrais pas garder le fil du moindre détail.
- En tout cas, les auteurs de fiction et les auteurs de non-fiction sont actuellement confrontés au même climat de violence culturelle aux Etats-Unis. Dans votre pays il y a un grand élan anti-littérature avec des livres bannis par des comités scolaires dans les écoles et dans les bibliothèques publiques. Qu’est-ce que ça fait d’être un auteur de nos jours aux Etats-Unis et de voir ça ?
Mon dieu, je n’arrive toujours pas à comprendre les raisons pour lesquels on bannit des livres ! C’est ridicule et illogique. Des livres de Herman Melville ont été bannis sous prétexte qu’ils enseignaient la pornographie aux enfants. Et même des livres de Toni Morrison ont été retirés. Et plus largement certains mouvements essayent de récrire l’histoire de l’Amérique, comme la période honteuse de l’esclavage. Ils essayent même de faire passer de nouveaux mots. En ce moment ils tentent de remplacer le mot « esclavage » par l’expression « servants non volontaires ».
- Et enfin mon rituel : à la fin de chaque interview que je fais je pose toujours la même question. Quel est le dernier livre que vous avez lu que vous avez adoré et que vous aimeriez recommander ?
Le dernier livre que j’ai lu et qui m’a vraiment impressionné a été Lessons in Chemistry, de Bonnie Garmus (nda : encore inédit en France). C’est tellement original ! Et c’est un récit féministe. Vous allez adorer. L’écriture est magnifique, l’histoire est géniale et le message est fabuleux.
Je remercie chaleureusement Renée Rosen et la super équipe des éditions Belfond pour ce moment ! C’était formidable de pouvoir revenir sur des romans aussi formidables, deux vrais coups de coeur. Et c’est tellement agréable de découvrir qu’une romancière dont on a apprécié le travail porte en elle toute la chaleur humaine et la générosité qu’on ressent en la lisant.
Je ne connaissais pas du tout cette autrice, mais ton interview est géniale et passionnante ! Cela me donne grandement envie de découvrir ses ouvrages, notamment le prochain à sortir sur Estée Lauder ! Merci pour ce bel article 🙂
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Avec plaisir ! Je suis ravie d’aider à faire découvrir Renée Rosen car ses romans sont vraiment fabuleux. Personnellement j’ai préféré L’Âge d’or, mais l’autre blogueuse qui était présente a préféré Park Avenue Summer. Donc c’est très partagé !! Si tu as l’occasion d’en lire un, je pense que tu vas adorer. Et bien sûr je parlerai du prochain roman consacré à Estée Lauder dès sa parution française 🙂
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Super ! Merci pour ces quelques conseils, je les note 🙂 Je lirai avec grand plaisir ta chronique !
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Super, c’est génial quand une autrice ou un auteur accepte un interview. C’est une découverte pour moi
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Elle est fabuleuse, et ses romans sont tout aussi passionnants qu’elle. Je te les conseille vraiment !
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Je ne connaissais pas du tout l’autrice, mais j’ai beaucoup apprécié ton interview. Les questions sont très pertinentes pour en apprendre plus sur elle et son livre, sans avoir besoin d’avoir déjà lu ce qu’elle a écrit pour comprendre ce dont elle parle. C’est fort ! 😊
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Merci beaucoup !! ça fait très plaisir d’avoir un retour aussi positif vu qu’une interview comme celle-ci représente pas mal de travail. Et je suis contente de pouvoir faire découvrir cette romancière car ses livres sont vraiment excellents 🙂
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