Suffragiste ou Suffragette ?

Aujourd’hui, je vous propose de faire un point de vocabulaire. Oui, je sais, ça n’a pas l’air très excitant. Mais rassurez-vous : ce sera rapide et sans douleur ! En fait, j’ai eu l’idée de rédiger cet article après avoir chroniqué le roman d’Evie Dunmore, Panique chez les Montgomery. Le livre raconte l’histoire des premières suffragistes britanniques, et plus particulièrement de la première génération de femmes à avoir pu poursuivre des études universitaires à Oxford. Le mot « suffragiste » a fait tiquer plusieurs personnes. Dans un email que j’ai reçu, une personne m’a fait la remarque comme si j’avais fait une erreur. Comme si j’avais utilisé le mot à la place de « suffragette ». Non, ce n’est pas une erreur, et en fait les deux mots ne désignent pas les même personnes.

Qu’est-ce qu’une suffragiste ?

Nous autres français n’avons pas beaucoup l’habitude d’entendre ce mot. Si vous le cherchez dans un dictionnaire, sur internet par exemple, vous trouverez même l’indication « rarement utilisé ». C’est vrai que ce mot semble d’un autre temps. Au sens strict du terme, il désigne tout simplement quelqu’un qui réclame le droit de vote, c’est-à-dire l’accès au suffrage.

Le mot est né au Royaume-Uni, lorsque les hommes issus des milieux modestes ont commencé à réclamer le droit de vote. Le droit de vote, même pour les hommes, n’était pas universel. Même en France, après la Révolution, le droit de vote masculin universel n’a pas été instauré tout de suite. Il intervient à la fin du XVIIIe siècle, mais il fait encore l’objet de critiques et de réformes au cours du XIXe siècle.

En Grande-Bretagne, le droit de vote étendu à tous les hommes a été bien plus long à se mettre en place. Il a fallu attendre 1918 pour le suffrage universel masculin. Auparavant, seuls les hommes qui étaient propriétaires terriens pouvaient voter. Et bien évidemment, les femmes étaient exclues. Les premiers suffragistes n’étaient donc pas seulement des femmes. Toutes les personnes exclues du suffrages et qui demandaient la reconnaissance de leur droit de vote étaient de facto des suffragistes.

Et qui sont donc les suffragettes ?

Le mot « suffragette » émerge plus tardivement, au tout début du XXe siècle. Il apparaît au moment où la lutte des femmes commence à prendre plus de poids. Les mouvements féministes s’organisent. Et ils ne sont pas tous d’accord sur la façon dont il faut mener la campagne en faveur de l’élargissement du suffrage. Les premières femmes militantes pour le droit de vote sont issues de la bonne société anglaise. Elles prônent une approche « légaliste », en essayant de se faire entendre par les autorités parlementaires pour faire passer une nouvelle loi. Mais ça ne fonctionne pas, elles n’obtiennent pas grand chose, et d’ailleurs elles ne sont pas toutes d’accord sur ce qu’il faut demander.

Il faut se rappeler qu’aux débuts du mouvements féministes, toutes les féministes n’étaient pas en faveur du droit de vote pour les femmes. Certaines se battaient pour le droit à l’éducation (notamment pour intégrer les universités, dont les femmes étaient exclues), mais n’étaient pas suffragistes pour autant. A l’inverse, des sujets importants comme l’accès à l’emploi ou à la propriété ne trouvaient pas de consensus parmi les suffragistes. Si vous pensiez que les contradictions du mouvement féministe étaient nouvelles, vous voyez que c’est une erreur !

Puis, au début du XXe siècle, une nouvelle génération de femmes commence à faire entendre sa voix. Ces féministes sont plus mélangées. On retrouve des femmes de la bonne société mais aussi des ouvrières. En 1903, c’est le début de la Women’s Social and Political Union. Cette organisation veut accélérer la lutte et augmenter la pression sur les institutions. Elle se désolidarise des précédents mouvements suffragistes, trop tempérés, et se lance dans des actions violentes. Les femmes sortent dans les rues, un marteau à la min, pour briser des vitrines de boutiques. Elles s’enchaînent aux grilles du Parlement. Elles manifestent et se font incarcérer. L’une d’elles se jette même sous les sabots du cheval du roi, pendant une course hippique.

La presse et les hommes politiques britanniques ne sont pas tendres avec ces femmes. Il faut un nouveau mot pour les désigner, pour faire la différence entre ces viragos et les femmes respectables des autres mouvements. Le mot suffragette nait ainsi.

Pourquoi ne se souvient-on pas du mot suffragiste ?

C’est une question pertinente, et la réponse est en fait évidente. Parce que ce sont les suffragettes qui ont gagné. Par leurs actions violentes, elles ont réussi à se faire voir et se faire entendre. Elles ont fini par gagner la sympathie de la société. Et il n’a finalement plus été possible aux responsables politiques de rejeter la question du droit de vote pour les femmes.

Les suffragettes n’ont jamais fait l’unanimité, mais elles ont obtenu une grande victoire : en 1918, un acte du Parlement britannique étendit pour la première fois le droit de vote à certaines femmes. Il faudra encore attendre dix ans avant qu’un droit de vote égalitaire soit voté. Après cela, c’est le mot de suffragette qui passe à la postérité. Il se répand même hors des frontières britanniques, puisque même en France le mot a essaimé.

Pour aller plus loin

Si vous êtes intéressés par la question, il existe quelques ouvrages sur les suffragettes en français. J’ai adoré lire l’autobiographie d’Emmeline Pankhurst, mais elle n’est pas disponible en traduction française. Je pense que vous aurez beaucoup plus de mal à trouver des ouvrages sur les suffragistes. Et c’est dommage parce que cette première génération a vraiment été intéressante, principalement à cause du contexte historique et social.

  • Suffragette : Genèse d’une militante
  • Journal d’une suffragiste, de Hubertine Auclert
  • Histoire mondiale des féminismes, de Florence Rochefort
  • Mémoires d’une européenne, de Louise Weiss (le 3e tome peut se lire tout seul et elle y parle de la campagne pour le droit de vote des femmes françaises)

Si vous lisez en anglais en revanche, vous trouverez facilement tout un tas d’ouvrages passionnants, notamment des ouvrages écrits par des suffragistes et des suffragettes. En France, à ma connaissance, le livre de Hubertine Auclert est le seul disponible à avoir été écrit par une femme militante de l’époque.

Bonne lecture & belles découvertes !

6 réflexions sur “Suffragiste ou Suffragette ?

    • Alivreouvert dit :

      Merci beaucoup ! Si le sujet t’intéresse, alors je te conseille de lire l’autobiographie d’Emmeline Pankhurst. C’est vraiment très intéressant et très bien écrit en plus. Bonne découverte !

      J’aime

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