On aurait pu l’appeler ‘C’était pas gagné d’avance !’ tellement il n’y avait aucune chance que ça marche ! Et pourtant, après deux jours d’enregistrement en juin 1965, Bob Dylan et ses musiciens parviennent finalement à accoucher de Like a Rolling stone, chanson hit dont le succès inattendu va faire trembler les fondations de la musique rock… et inspirer par la suite des générations d’artistes. Histoire fascinante qu’on ne s’attend pourtant pas à croiser dans le répertoire de la sérieuse Comédie Française. Et pourtant, c’est bien l’histoire incongrue de cet enregistrement qui est au cœur du spectacle Comme une pierre qui… actuellement joué au Studio-Théâtre de la Comédie Française. Sur scène, six acteurs transformés pour l’occasion en musiciens aguerris redonnent vie à un moment unique de création, à mi-chemin entre le chaos complet et l’état de grâce.
En juin 1965, Bob Dylan est un artiste de folk music génial mais en pleine crise de création. Il a beaucoup de mal à accoucher de sa nouvelle chanson, il est incapable de communiquer avec le monde extérieur, mais pourtant le studio d’enregistrement est réservé et les musiciens professionnels ont été embauchés pour deux jours de prises. Mike Bloomfield, guitariste de génie spécialisé dans le blues, se retrouve alors à jouer les chef d’orchestre, essayant de comprendre les idées de Dylan, tentant vainement de diriger les musiciens et d’imaginer à quoi ressemblera la chanson au final. Un vrai numéro d’équilibriste ! Pour les autres musiciens, l’exercice est à peine plus facile et la frustration ne tarde pas à poindre le bout de son nez. Ajoutez à cela un producteur sur le point de se faire virer et un jeune musicien qui tente de s’incruster auprès de son héros, Dylan, et on a là un cocktail pour le moins explosif ! Pour inventer la chanson, il va falloir que tout se monde-là réussisse à s’accorder et à jouer ensemble. Non c’est sûr : c’était pas gagné d’avance !
Comme une pierre qui… reprend donc le titre de Like a Rolling stone, la chanson la plus célèbre du répertoire dylanien pour raconter la genèse chaotique de cette chanson de légende. Au départ, il y a un livre écrit par Greil Markus, le fameux historien du rock, qui avait eu l’idée de raconter l’histoire de cette naissance musicale hors du commun. C’est à partir de ce livre que Marie Rémond et Sébastien Pouderoux, les deux metteurs en scène, ont eu l’idée de monter une pièce qui retracerait cette aventure pour le moins tumultueuse. Cette pièce originale est donc l’occasion d’un hommage à Dylan, d’un exercice musical inédit pour les comédiens du Français qui s’improvisent ici groupe de rock, et aussi, plus pertinemment, c’est une parabole idéale pour aborder la thématique de la création.
D’emblée, la mise en scène ne peut que séduire les spectateurs puisque la scène de théâtre se trouve transformée en studio d’enregistrement : guitares, batterie, piano, micros, des amplis, plusieurs mètres de câbles… bref, tout le joyeux bazar qu’on s’attend à trouver dans un studio. Et ce n’est pas juste pour le décor : à peine arrivés, les acteurs/musiciens se mettent à jouer. Dès les premières minutes, on est donc transportés dans le passé, et on se retrouve à vivre une session d’enregistrement de l’intérieur, comme si nous étions nous aussi des musiciens engagés pour la journée. Ainsi installés aux premières loges, nous écoutons les ratages, les prises de bec, les flottements et toutes ces étapes qui constituent les tentatives de création avant d’aboutir finalement à une chanson qui se tient.
La pièce retrace parfaitement l’histoire de l’enregistrement, un peu à la manière d’une anecdote, avec les nombreuses péripéties qui ont émaillé ces deux folles journées. Un peu à la manière d’un docu-fiction, on est donc au cœur de l’histoire, au plus près de ce qui arrive aux personnages, le plus important d’entre eux étant bien sûr la chanson elle-même qui subit bien des versions avant de trouver enfin sa forme parfaite, celle qui connaîtra un succès mondial. On oscille donc entre le réalisme de la session de travail et des moments plus poétiques, plus intimes, où chacun des personnages se dévoile un peu. L’ensemble nous permet d’approcher au plus près du processus de création afin de mieux cerner les origines de la chanson : une suite de chaos qui aboutit à un moment de pur état de grâce.
En décidant de monter se spectacle très original et très moderne, la Comédie Française a eu une très belle idée. Le pari est osé mais on passe un excellent moment. Je ne m’attendais pas à ce que la pièce soit si drôle ! J’ai énormément ri, la faute à l’histoire en elle-même qui est plutôt digne d’un Feydeau, et aussi aux comédiens qui prennent un plaisir évidents à donner vie à cette histoire incroyable. On voit évoluer sous nos yeux un petit groupe de rock dépareillé, où personne n’a la moindre idée de ce à quoi la chanson doit ressembler à la fin. Ils sont tous irrésistibles, avec une mention spéciale pour Stéphane Varupenne, guitariste au bord de la crise de nerf qui essaye de garder tout son petit monde dans le même mouvement. Gros coup de cœur aussi pour Christophe Montenez, absolument impayable dans le rôle du jeune musicien timide en admiration devant son idole.
Et bien sûr, il n’y aurait pas Like a Rolling stone sans Dylan lui-même. L’homme « à la voix de colle et de sable » comme disait Bowie, est ici joué par Sébastien Pouderoux qui disparait complètement derrière la chevelure folle, les lunettes noires et l’harmonica de Dylan. Ne manque que le chapeau Stetson pour avoir la silhouette complète. Sans chercher à imiter le musicien, il parvient quand même à restituer quelque chose de lui, de sa gestuelle mal à l’aise, de sa fragilité, de son incapacité à communiquer avec les autres, et surtout de son obsession pour la musique. Tous les comédiens jouent eux-mêmes sur scène, mais c’est la voix de Dylan/Pouderoux qui fait que tout sonne « vrai ». Un sacré tour de force.
En bref, ce spectacle est une réussite complète d’autant plus impressionnante que l’idée de départ était sacrément osée. Le pari est complètement réussi et on sort de la salle à regret. Une fois ressortie dans la rue, je n’avais qu’une seule envie : retourner voir la pièce ! Le temps passe trop vite en compagnie de notre petit groupe de rock. Le rire et la poésie cohabitent avec facilité sur la scène du Studio-Théâtre, et on ressort de cette pièce avec le sourire et le sentiment d’avoir assisté à un petit miracle. La pièce est à l’affiche de la Comédie Française jusqu’au 2 juillet 2017. Courrez-y !
Originale en effet, cela doit faire un bien fou !
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C’est une pièce géniale qui déborde d’énergie, de créativité et de bonne humeur ! Si tu as l’occasion de la voir, tu profiteras toi aussi d’une cure de bonne humeur !
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