Mélanger tous les personnages de l’univers de Dickens dans une seule série télé : sur le papier, l’idée était alléchante. Je me suis donc jetée avec un enthousiasme débordant dans la nouvelle série créée par la BBC : Dickensian. Avec un concept proche de la série Once Upon a Time, mais transposé cette fois à un seul auteur, mes attentes étaient élevées… peut-être un peu trop. Mais en bonne amatrice de littérature anglaise, je ne pouvais pas laisser passer cette nouveauté sans y jeter un coup d’œil. Me voilà donc lancée dans un marathon d’épisodes visionnés. Le résultat, loin d’être aussi bon que ce que j’avais souhaité, me laisse un peu perplexe. J’ai tout de même voulu vous en parler au cas où vous seriez intéressés.
C’est la veille de Noël dans un quartier mal famé de Londres. Mais l’heure n’est pas aux réjouissances : l’associé de monsieur Scrooge, Jacob Marley, le prêteur sur gages de sinistre réputation, meurt assassiné. Et les suspects ne manquent pas. Il faut dire que l’homme n’était pas apprécié, et ce ne sont certainement pas ses voisins qui vont le pleurer. Scrooge voulait se débarrasser de son associé encombrant. Les criminels qui rôdent dans les rues auraient pu vouloir le dépouiller. A moins que ce ne soit Nancy, la jeune prostituée, qui ait voulu se venger. De toute façon, la mort est bien vite chassée par d’autres problèmes : le propriétaire du magasin d’antiquités soigne sa petite-fille mourante, l’employé de bureau de Scrooge marie sa fille aînée, et les enfants Havisham apprennent que leur père décédé a pris des dispositions testamentaires surprenantes, décidant de déshériter son fils… Qui se soucie des morts quand les vivants ont tant de problèmes à régler ? Un inspecteur de Scotlant Yard qui veut à tout prix trouver le coupable va remuer les secrets de tout ce petit monde…
Dickens, c’est un monument à lui tout seul. Et si on dit souvent que l’anglais est la langue de Shakespeare, il ne faut pas oublier que Dickens tient une place beaucoup plus importante dans le cœur des anglais que leur vieux barde. Déjà, la vie de Dickens est bien connue, et l’auteur a joui d’une immense reconnaissance de son vivant. Ensuite, son écriture engagée, essentiellement fondée sur une réalité sociale dont peu d’autres parlaient à l’époque, a fait de lui l’homme qui écrivait sur toutes les classes de la société. Ce côté un peu « militant » a permis à Dickens de traverser les siècles avec beaucoup de facilité. On aime ses livres pour leur aspect romanesque mais aussi pour la dimension quasi documentaire qu’il offre en observant de près les mœurs de ses contemporains. Et quels livres s’il vous plait ! Oliver Twist, Les Grandes Espérances, Un Chant de Noël, Le Magasin d’antiquités, David Copperfield…
Dickens possède quelques points communs avec Balzac… aussi surprenant que ça puisse paraître. Et pour vous expliquer le concept de Dickensian, il faut que je revienne un moment sur la Comédie Humaine. Ce grand œuvre écrit par Balzac comporte de très nombreux romans, tous reliés entre eux par le fait qu’ils se passent à Paris à peu près à la même époque. Au fil des livres, certains personnages font la navette d’une histoire à l’autre : vous les croisez dans un roman, puis dans un autre. Ce va-et-vient permet de structurer tout l’ensemble. Et même si les histoires se suivent rarement, cela donne une dimension de saga assez impressionnante. C’est particulièrement flagrant dans les « histoires des treize » : cette société secrète sert de fil rouge à plusieurs romans et nouvelles car chaque histoire est centrée sur un membre.
Balzac a voulu son œuvre, et il a donc travaillé de manière cohérente. Dickens n’a vraisemblablement jamais eu l’idée de relier entre eux tous ses livres. Pourtant, ils ont tous un air de famille : ils se passent à la même époque dans des quartiers mal famés de Londres. Il n’y avait donc pas beaucoup de travail à faire pour relier toutes les histoires ensemble et structurer une grande intrigue à partir de ça.
L’idée de Dickensian fonctionne assez bien au début. La grande surprise, c’est que ça marche ! Tous les personnages évoluent principalement autour d’une rue où on retrouve les enseignes des boutiques croisées dans les livres : le prêteur sur gages, le magasin d’antiquité et la taverne sont des lieux particulièrement emblématiques de l’œuvre de Dickens. Dès les premières scènes du premier épisode, les personnages issus de livres différents se croisent, et tout est parfaitement fluide. Pas une seule fois je ne me suis dit que ça sonnait faux. On se dit simplement qu’ils sont dans leur élément naturel. Ce point fort est la plus grande réussite de la série.
Par contre, le gros souci, c’est que la série a été pensée pour un public anglais qui connaît parfaitement ses classiques. Pour s’y retrouver dans tous les personnages, il y a intérêt à avoir lu Dickens, sinon on se retrouve vite perdu à ne pas savoir à qui on a à faire. Dans les premiers temps, j’étais contente de retrouver des personnages familiers. Mais je n’ai pas lu assez de romans de Dickens, et je me suis vite sentie dépassée par les gens que je voyais à l’écran sans reconnaître qui ils étaient ni de quel roman ils pouvaient bien sortir ! Et là, c’est la limite du concept.
A partir du moment où la moitié des personnages m’échappaient complètement, j’ai eu un peu de mal à suivre l’intrigue… d’autant qu’elle n’est finalement pas passionnante outre mesure. Pour être honnête, j’ai laissé tomber la série à mi-chemin. Les scénaristes n’arrivent pas vraiment à faire avancer une grande histoire. Et les petites intrigues se croisent sans forcément que ça amène une dimension dramatique intense ou passionnante. Sans compter que le format choisi pour les épisodes (20 minutes au lieu des 40 utilisées habituellement pour ce genre de série) n’aident pas franchement à tenir la distance : le rythme est haché. Tout est lent dans un épisode et ça ne décolle qu’au bout d’un long moment, mais c’est déjà la fin de l’épisode ! Du coup, je n’avais pas franchement envie de me lancer dans un autre épisode. Je me suis forcée pendant quelques temps avant de jeter misérablement l’éponge.
Je suis ressortie très déçue par cette série qui est à réserver aux initiés de Dickens. Contrairement à Once Upon a Time qui se fonde sur des histoires et des personnages connus de tout le monde, Dickensian attend de ses téléspectateurs qu’ils aient déjà lu les romans pour bien suivre l’histoire. Ça fait des devoirs ! Sinon, on perd tout le sel des relations entre les personnages et même on ne parvient pas à suivre les enjeux narratifs de la série.
C’est dommage que la BBC, pour une fois, se soit ratée. J’attendais beaucoup de cette série car véritablement l’idée était séduisante. L’atmosphère est réussie, les décors et les costumes aussi. Le casting est bien. Mais l’histoire ne parvient pas à embarquer tout le monde. Si vous avez lu beaucoup de livres de Dickens, vous aurez certainement une meilleure expérience que moi, et je vous encourage à être curieux et à regarder cette série. Sinon, passez votre chemin : vous serez perdus et n’aurez aucun plaisir à suivre l’histoire.
Pour l’instant, aucune chaîne française n’a prévu de diffuser Dickensian. Arte a souvent diffusé les adaptations de romans de Dickens par la BBC (qui sont le plus souvent excellentes), donc il est possible que la chaine franco-allemande décide de tenter sa chance. Sinon, les épisodes sont disponibles en coffret DVD (VO seulement).
Aie, c’est dommage…
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