Lady in Satin, extraordinaire biographie de Billie Holiday par Julia Blackburn

ladyBillie Holiday avait une voix chaude et grave, avec un phrasé tellement lent qu’on avait l’impression qu’elle prenait tout son temps pour raconter l’histoire de sa chanson. Souvent, on retrouve chez elle des textes mélancoliques, des chansons d’amour tristes dont ma préférée reste « I’m a fool to love you », chef d’œuvre de poésie et de délicatesse de la part d’une interprète qui puisait la lumière de sa voix à l’intérieur des déchirures de son cœur. Et si la plupart d’entre nous a en tête l’image d’une belle femme noire avec une fleur blanche dans les cheveux, la majorité ignore quel destin tragique se cache derrière le mythe de l’une des plus grandes chanteuses de jazz.

Quand je suis née, en 1984, le jazz n’était déjà plus à la mode. Je n’en entendais pas à la radio, mes parents n’avaient pas de disques, et j’ai dû attendre de longues années avant de découvrir et d’apprécier cette musique. Je ne suis pas une fan de jazz, je ne connais pas le noms de tous les grands musiciens. En simple curieuse, je ne connais que quelques grands noms que tout le monde a déjà entendus. J’aime certaines chansons passionnément, mais je ne connais pas par cœur les répertoires des légendes du jazz. Je suis une béotienne. Mais je suis curieuse. Et c’est la raison pour laquelle j’ai tout de suite été attirée par la très belle collection Rivage Rouge, qui se propose de faire découvrir à un large public l’histoire de la musique rock, de ses racines blues et jazz jusqu’aux grands groupes d’aujourd’hui en passant par Led Zeppelin et autres monstres sacrés.

Le dernier tome paru en mars dernier est consacré à Billie Holiday. Je ne savais rien de Billie Holiday à part que c’était une chanteuse et que j’avais envie d’en savoir plus. Je suis donc entrée en véritable candide dans les pages de ce livre, une biographie qui se propose de dévoiler la vie de la chanteuse à travers les portraits faits par les gens qui l’ont bien connus, des amis et des musiciens pour la plupart, qui l’ont côtoyé dans la célébrité mais aussi avant qu’elle devienne une grande chanteuse, à l’époque où elle n’était encore qu’une petite fille discrète de Baltimore.

Parler de « destin tragique » me gêne toujours un peu car l’expression a été usée jusqu’à la corde par les médias, et elle est devenue un cliché à la limite du ridicule. Pourtant, la vie de Billie Holiday, dès les premières années de sa vie, n’a été rien d’autre qu’un destin tragique. Elevée dans des conditions très modestes, ballottée entre une mère absente et des institutions publiques dénuées de toute tendresse envers les enfants, elle a très tôt découvert la cruauté de ce monde. Violée à l’âge de 11 ans, prostituée vers 14 ans, dépendance à l’alcool et aux drogues, les relations violentes avec des hommes qui se sont servie d’elle pour prendre son argent, le harcèlement des forces de l’ordre une fois qu’elle est devenue célèbre… Et au milieu de ce chaos, la seule chose importante dans sa vie qui l’a rendue heureuse : le chant. Difficile de faire plus tragique que l’histoire de cette femme qui n’a jamais eu la moindre occasion de s’en sortir.

L’ouvrage ne se propose pas d’être une biographie linéaire, qui relate les faits en essayant de nous dresser le portrait de la chanteuse. Les chapitres qui se suivent sont les témoignages de personnes qui ont côtoyé Billie Holiday à différents moments de sa vie, ont été témoins de scènes importantes, de son talent comme de ses déboires. Chacun a sa propre idée sur elle, mais Julia Blackburn reste à la périphérie du récit qui est livré. Elle passe l’information de façon assez brute, de telle sorte que le lecteur peut se faire une idée par lui-même. En cela, je trouve que la démarche est à la fois très efficace et très honnête.

Certains chapitres rédigés par Julia Blackburn sont là pour servir de cadre historique et rappeler comment était la vie des noirs, des femmes et des artistes aux Etats-Unis dans les années 1930 à 1950. A une époque où les noirs n’avaient pas le droit de vote, où les lynchages étaient monnaie courante dans les états du sud et où aussi la créativité musicale était très intense, Billie Holiday s’est retrouvée prise sous le feu des projecteurs, devenant l’emblème de choses qui la dépassaient. En apportant un éclairage bienvenu sur le contexte historique, politique et social, Julia Blackburn permet au lecteur de mieux cerner les enjeux et de mieux saisir la trajectoire de Billie Holiday. Reste le mystère de sa personnalité, à la fois très démonstratrice et très renfermée, une chanteuse capable de provoquer les acclamations de tous, mais une femme incapable de trouver son bonheur ni de se libérer de ses démons.

Peut-être que c’est parce que je ne m’attendais pas à découvrir une histoire aussi dramatique, mais j’ai été sincèrement très touchée par la vie de cette femme. Sa fragilité, son talent et ses drames ont forgé la légende d’une chanteuse au destin brisé. Mais le livre a aussi la bonne idée de rappeler combien Billie Holiday a eu une immense influence sur les chanteuses qui sont venues ensuite. Son héritage est immense et continue à faire rayonner sa voix inimitable.

Un mot encore sur ce livre magistral : il a une drôle d’histoire. A l’origine, ce livre a commencé à être écrit dans les années 1970 par Linda Kuehl, qui avait fait un travail de recherches très scrupuleux, retrouvant les uns après les autres tous les proches de Billie Holiday. Elle rêvait d’écrire la biographie de référence sur cette chanteuse devenue légendaire. C’est ainsi qu’elle a sillonné les Etats-Unis pour les rencontrer les uns après les autres, les interviewer patiemment parfois pendant plusieurs jours, pour ensuite amasser tout un tas de documents récoltés au gré de ses recherches.

Mais le travail d’enquête s’est arrêté avec la mort prématurée de Linda, et ses travaux sont restés pendant plusieurs décennies dans des cartons… Jusqu’à ce que la curiosité et la passion de Julia Blackburn la poussent à exhumer le projet avorté de cette biographie. Elle s’est lancée dans un formidable puzzle, suivant tout autant les traces de Billie que celles laissées par Linda. Elle refait le chemin à l’envers, et le lecteur croise à plusieurs reprises l’ombre de Linda Kuehl dans les pages de ce livre. Un détail de plus qui fait de ce livre une formidable expérience de lecture, où l’émotion est convoquée pour redonner vie à des fantômes dont les voix nous parviennent à travers un vieil air de jazz.

4 réflexions sur “Lady in Satin, extraordinaire biographie de Billie Holiday par Julia Blackburn

  1. Anne de Louvain-la-Neuve dit :

    Passionnant. Ca donne envie. J’adore les biographies et Billie Holiday dont je connais les grands tubes bien entendu étant quelque peu plus âgée que vous ! Si vous aimez ce genre, je vous conseille « Searching for sugar man » le film documentaire qui n’a rien d’un documentaire et raconte le parcours mystérieux, bancal et plein de suspense de Rodriguez qui a été oublié aux Etats-Unis alors qu’en Afrique du Sud il devenait aussi connu qu’Elvis Presley dans un autre genre puisque ces chansons sont devenues des hymnes contre l’Apartheid. Le gars qui a tourné le film était si marqué qu’il s’est suicidé. Un grand film, un grand destin à la manière de celui des chanteurs et des chanteuses de blues. Merci de ce partage.

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