Pendant tout le mois de mars, je vous ai parlé du rapport des femmes avec la littérature. Je vous ai parlé de l’écriture et de la notion de sororité. Mais à force de parler de féminisme, on en oublierait presque qu’une part considérable de la perception des femmes dans la société dépend surtout de la façon dont elles sont représentées dans la culture populaire. Or, leur représentation visuelle est justement au coeur du travail de nombreux scénaristes et dessinateurs de BD. Longtemps, la BD a d’ailleurs été un pré carré réservé aux hommes. C’était plus dur pour les femmes d’y trouver leur place. Ironiquement, ce sont pourtant bel et bien des hommes qui ont, les premiers, ouvert la voie à une nouvelle représentation des femmes. Ils ont été nombreux à imaginer de nouveaux archétypes féminins, et à inventer des personnage devenus iconiques. De véritables inspirations de la culture populaire qui ont encouragé les femmes à élargir leurs horizons dans « la vraie vie ». Alors aujourd’hui, je vous parle de 3 BD badass qui prouvent que les femmes, blondes ou brunes, ne comptent pas pour des prunes !

• St Trinian’s : The Entire Appalling, par Ronald Searle

Les Anglais ne manquent pas d’humour. Et un de leurs sujets de prédilection (Dieu seul sait pourquoi), ce sont les écoles privées ! Il faut dire que c’est un élément incontournable dans leur société. Et ils ont avec ces institutions une longue relation d’amour/haine qui donne souvent lieu à de bonnes histoires. J.K. Rowling a puisé dans cette tradition pour imaginer le cadre de Poudlard. Mais bien avant elle, Ronald Searle, dessinateur et scénariste britannique, avait déjà inventé une école d’un genre tout aussi loufoque et inquiétant : St Trinian’s.

Dans ce pensionnant en noir et blanc, seules les filles de mauvaises familles sont admises. Elles sont la progéniture de truands, de gangsters, d’aristocrates dégénérés et autres personnages peu recommandables de la société. Mais même la mauvaise graine a besoin de recevoir une éducation adéquate, pas vrai ?

Les planches de St Trinan’s ont d’abord été publiées dans la presse britannique. Où elles ont rapidement rencontré un grand succès. Il faut dire qu’avec leur look assez austère, leur sens de l’humour un brin macabre et leur irrévérence jubilatoire, les filles de St Trinian’s se démarquaient grandement du reste de la « gentille » culture britanniques des années 1930. Et même si elles auront bientôt un siècle d’existence, leurs aventure sont toujours aussi drôles. En Grande-Bretagne, les filles de cette école déjantée ont une fois pour toutes enterré l’image de la gentille petite-fille sage. Et elles ont à leur façon incarné le vent de changement que le mouvement des suffragettes portait… mais disons, d’une façon plus ludique !

Malheureusement, les bandes dessinées de St Trinian’s restent inédites en traduction française. Cependant, si vous en avez l’occasion, n’hésitez pas à les lire en VO. Il y a très peu de texte, et les dessins sont vraiment à hurler de rires !

• Gotham Girls

Elles s’appellent Catwoman, Poison Ivy, Haley Quinn, Renée Montoya et Batgirl. Et elles ont largement participé au rayonnement de la franchise Batman au fil des décennies. Oui c’est clair : les Gotham Girls méritaient bien leur propre BD badass !

Dans cet ouvrage collectif, vous aurez l’occasion de toutes les croiser au gré de leurs nombreuses péripéties. Grandes aventures criminelles, gaffes en série, mais aussi histoire d’amitié féminine turbulente sont au coeur de ces planches irrésistibles. Je sais qu’on associe plus volontiers les comics à un univers masculin, mais en fait cette bande dessinée à le mérite de rappeler que ce sont aussi les personnages féminins qui ont bâti le succès des comics dans le temps.

DC Comics en particulier peut se targuer de compter de nombreuses figures iconiques dans son catalogue. Loïs Lane et Wonder Woman bien sûr. Mais ces gentilles (super-)héroïnes font presque pâle figure face aux bad girls de l’univers Batman. A Gotham, les femmes sont toutes dangereuses. Elles ne se laissent pas marcher sur les pieds. Mais elles conservent toujours leur sens de l’humour. Un équilibre précaire qui les rend plus humaine, je trouve. Paul Dini, le co-créateur de Harley Quinn a souvent expliqué que ce qui l’intéressait dans les personnages féminins de Batman, c’était qu’ils étaient charismatiques tout en conservant toujours quelque chose d’authentique. Harley est une jeune femme amoureuse du mauvais garçon. Et c’est ce qui la rend si attachante fondamentalement. Idem pour les autres Gotham Girls : elles ont chacune un petit supplément d’âme qui les nous les rend proche.

Cette BD a de nombreux atouts pour elle. A commencer qu’elle ne coûte que 10€ ! Je sais, ça peut sembler surprenant comme argument. Mais je sais bien que pour intéresser beaucoup de monde aux comics, il ne faut pas oublier l’argument massue du prix. Pour ce tarif très attractif, vous aurez droit à 5 aventures complètes et palpitantes, hyper fun, avec un humour débridé et beaucoup d’action. Et en prime, vous pourrez mesurer combien les personnages féminins des comics ont chamboulé la représentation traditionnelle des personnages féminins dans la littérature occidentale. Que demander de plus ?

• Libres !, d’Ovidie et Diglee

Ovidie et la dessinatrice Diglee ont fait cause commune en s’associant autour de ce joli projet. Libres ! n’est pas tout à fait une bande dessinée conventionnelle. En fait, c’est un mélange entre BD et documentaire dans lequel le dessin sert de clé d’entrée pour évoquer un grand nombre de sujets fascinants… mais parfois un peu intimidants ou carrément tabou.

Il est principalement question de la façon dont les femmes perçoivent leur propre corps. Comment se le réapproprier quand il est si souvent mis en scène en tant qu’objet dans l’espace médiatique ? Comment être en paix avec son corps, notamment sur le terrain de la sexualité, au sein duquel les femmes cultivent tant de freins mentaux et d’inhibitions ?

Cette BD conçue par des femmes à destination des femmes est un nouveau jalon posé dans un effort plus large qui vise à atteindre une représentation plus juste des femmes. D’abord, il faut s’affranchir de la notion traditionnelle de féminité parfaite. Et ensuite, il faut réussir à s’accepter telle qu’on est. Ce qui n’a rien de facile puisque nous sommes entourées d’injonctions médiatiques pour nous imposer une norme de beauté, de minceur et de jeunesse.

J’avais adoré cette BD, et je l’ai régulièrement conseillé à plein de monde autour de moi. Car je pense sincèrement que c’est une oeuvre intéressante, pertinente, emprunte d’une grande bienveillance, qui peut apporter des éléments de réponse à chacune. Ou en tout cas, nous mettre chacune sur la bonne voie pour questionner notre relation à notre corps, et les nombreuses insécurités qui y sont souvent liées.

J’espère que cette sélection vous a plut et qu’elle vous aura donné envie de découvrir ces bd. Leur point commun, vous l’aurez compris, ce n’est pas seulement une vision positive du féminisme, mais aussi le fait qu’elles cultivent un grain de malice que j’aime bien. J’adore l’idée qu’on puisse cultiver sa liberté en étant à la fois sincère et indocile.

Bonne lecture !