Hier c’état jeudi. Mais n’importe quel jeudi. Le jeudi de la semaine des Prix Nobel. Ce qui impliquait donc que, comme chaque année, j’allais attendre fébrilement l’annonce du nouveau Prix Nobel de littérature. Je sais que ça fait cliché. Certains regardent les Césars, les Oscars, les Emmy Awards ou la finale de la coupe du monde de football. Moi j’attends avec impatience l’annonce du Prix Nobel de littérature. Parce qu’il concentre un peu tout ce que j’aime dans la littérature, justement. D’abord le mystère : on ne peut jamais savoir à l’avance qui va sortir. Ensuite à cause du suspens : les portes s’ouvrent en Suède, dans une belle pièce blanche et dorée, puis un monsieur s’avance au pupitre avec un grand cahier en cuir relié pour faire l’annonce. Il y a presque quelque chose de mystique dans ce rituel. Et enfin, parce que la littérature française entretient une relation intime avec ce prix. La preuve encore cette année, puisque le Prix Nobel de littérature 2022 est attribué à Annie Ernaux.
On annonce Annie Ernaux, on nous parle de Houellebecq
Je sais que certains sont ravis de verser dans la polémique en évoquant pour la centième fois le cas Houellebecq. Un peu comme si le Prix Nobel était un prix franco-français ! Effectivement, ça fait maintenant des années que certains en France souhaiteraient que l’auteur des Particules élémentaires remporte la médaille Nobel. A ce stade, ça commence à ressembler à une obsession. Ce qui est le plus navrant dans tout ça, c’est qu’il s’agit encore d’une bonne excuse pour dénigrer une écrivaine française qui vient de remporter le plus grand honneur qui soit. Et ne me lancez pas sur le fait qu’on cherche encore à invisibiliser la réussite d’une femme en jouant la carte de la polémique pour faire diversion !
La chose à retenir cette année, c’est que la consécration d’Annie Ernaux est une belle nouvelle pour la littérature française contemporaine. D’abord parce qu’avec ce nouveau prix remporté par une personne écrivant en Français, notre littérature hexagonale rayonne encore un peu plus. Nous sommes toujours en tête des pays ayant remporté le plus souvent le Prix Nobel de littérature. Et nous creusons l’écart avec le reste du monde.
Mais surtout, Annie Ernaux est la première romancière française à gagner se prix. Auparavant, seuls des hommes de lettres l’avaient remporté. Et depuis 1901, date de création du Prix Nobel de littérature, elles ne sont que 17 femmes en tout à avoir été récompensées.
Annie Ernaux : faire entendre la voix des femmes
On est en 2022, et encore aujourd’hui, ce n’est pas simple de faire entendre la voix des femmes. Et de gagner la légitimité de faire entendre sa voix. C’est vrai dans tous les aspects de la vie, et la littérature ne fait pas exception à la règle. Récemment, en discutant avec Joyce Maynard, je l’ai entendu raconter une anecdote édifiante : un autre romancier s’était permis de dire que les romans qu’elle écrivaient relevaient plus du « self help » que de la littérature ! En gros, il lui reprochait de verser dans le développement personnel, sous prétexte qu’elle écrivait principalement sur la condition des femmes !
Que faut-il en comprendre ? Quand Frédéric ne fait que trainer des pieds dans L’Education sentimentale, c’est de la littérature. Quand Pierre n’arrive pas à faire preuve de lucidité dans Guerre et Paix, c’est de la littérature. Mais quand une femme écrit sur ce que c’est qu’être une femme, on lui rappelle gentiment de rester à sa place.
Du coup, l’annonce du Nobel de littérature remporté par Annie Ernaux cette année m’a mise en joie. Seulement deux semaines après mon entretien avec Joyce Maynard, j’ai eu comme la sensation qu’elle était en quelque sorte vengée. Et toutes les autres écrivaines avec elle. Et toutes les lectrices, et toutes les femmes encore avec elle.
De quoi parlent les livres d’Annie Ernaux ?
Vous n’avez jamais lu de livre d’Annie Ernaux ? Pas de panique, moi non plus. Rien qu’une fois, j’aimerais qu’on décerne un Prix Nobel de littérature à un auteur que j’ai beaucoup lu ! Mais d’un autre côté, il n’y a pas de honte à avoir à ne pas tout lire. Ou à lire principalement ce qui nous fait plaisir.
Dans le cas d’Annie Ernaux, je vois passer beaucoup de commentaires négatifs à son encontre. On l’accable de tous les maux, en lui reprochant en particulier son engagement politique. Donc, encore une fois, la liberté d’expression ne semble pas faire partie des qualités demandées aux femmes qui écrivent.
Effectivement, la question de l’engagement est au coeur de l’écriture d’Annie Ernaux. Elle est une grande spécialiste de l’auto-fiction. Ce genre de roman qui en est à moitié un. Qui revisite l’histoire vraie de la personne pour chercher à atteindre, par le biais de la fiction, une forme de vérité et/ou de libération. La libération de la parole des femmes par exemple. Car Annie Ernaux est déjà revenue sur des sujets durs de la vie de femme, notamment l’avortement dans les années 1960, avant sa légalisation.
C’est sûr que les livres d’Annie Ernaux ne sont pas drôles. Si vous avez envie de vous divertir le soir, après le travail, ce n’est peut-être pas de ce côté-là des rayons de livres que vous trouverez l’évasion. Mais si vous êtes un peu sensible à la cause des femmes, alors je pense que vous aurez plaisir à découvrir ses livres.
Au passage, saviez-vous que le premier gagnant du Prix Nobel de littérature était un auteur français ? Ah, je savais bien que non ! Si vous avez d’en apprendre plus sur l’histoire étroite entre littérature française et le Prix Nobel de littérature, alors n’hésitez pas à consulter mon article.
Belle soirée.
oui je suis d’accord..Il y a de la vengeance dans la joie ressentie…enfin une femme qui parle d’elle donc de nous..enfin ! Merci d’avoir mis en mot bcp de mes ressentis aussi. 😉
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Avec plaisir ! J’avais la sensation que c’était important d’en parler, même si ça n’intéresse pas tout le monde. Mais le silence n’est certainement pas la meilleure défense quand certains essayent d’amoindrir le travail d’une femme.
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