Aujourd’hui, on va parler peines de coeur. Non, je ne vous propose pas d’évoquer les romances les plus tristes. Il ne s’agit pas non plus de faire remonter à la surface le souvenir ému de la personne qui vous brisé le coeur à l’école primaire. Je veux parler lecture. On a tous au moins UN livre qui fait pleurer notre petit coeur de lecteur. Un roman dont la fin ou un passage en particulier ont suscité des heures d’agonie. J’ai connu plusieurs expériences de lectures décevantes. Il y a aussi eu pas mal de livres qui m’ont ému aux larmes, avec des rebondissements que je n’avais pas vu venir et qui m’ont rendu triste. C’est vrai que je ne me suis jamais vraiment remise de la mort de Sirius dans la saga Harry Potter. Mais tout ça n’est rien à côté de mon expérience avec Les Quatre Filles du docteur March.

Il était une fois, une gentille lectrice de onze ans

Je revois la scène comme si c’était hier. Pour mon onzième anniversaire, mes grands-parents ont eu la bonne idée de m’offrir une pile de nouveaux livres. Déjà à l’époque, je n’avais pas des goûts de luxe. Il n’en fallait pas beaucoup pour me faire plaisir. Et rien au monde ne pouvait autant me contenter que de nouvelles lectures !

Il s’agissait de livres de la collection jeunesse de France Loisir. A l’époque, il y avait pas mal de choix, aussi bien avec des romans français que des romans étrangers. Et c’est d’ailleurs dans cette pile que j’ai découvert mon premier roman de Lucy Maud Montgomery : Anne et la maison aux pignons verts.

Mais revenons à nos moutons. Dans cette pile, il y avait aussi un exemplaire des Quatre Filles du docteur March. J’avais déjà entendu parler de ce livre. Autour de moi, on m’a dit que c’était un grand classique. Une histoire formidable. Je l’ai donc lu en premier. Et j’ai adoré cette histoire !

C’est vrai que ce n’est pas un roman très gai. La vie de la famille March est très dure. Et en plus, leur père est au loin durant la guerre, sans que personne sache quand il reviendra, ni même s’il reviendra pour de bon.

Mais l’intérêt de ce roman, pour la jeune lectrice que j’étais, c’était cette formidable sororité. Les quatre soeurs s’épaulent. Ce qui ne veut pas dire qu’elles s’entendent toujours très bien ! Elles ont des charactères différents. Et évidemment, Jo était ma préférée. Elle était brillante mais aussi courageuse. Je l’adorais et j’aimais beaucoup la relation qu’elle avait avec Laurie, le petit-fils de leur voisin. Ensemble, ils formaient un si beau couple fondé sur l’amitié.

Et soudain M6 a détruit ma vie !

Un dimanche après-midi, je m’en souviens très bien, un film est passé sur M6. C’était une adaptation des Quatre Filles du docteur March. C’est une adaptation plutôt célèbre, avec notamment Susan Sarandon dans le rôle de la mère, Wynona Rider dans le rôle de Jo et Christian Bale dans celui de Laurie.

J’étais bien calée devant mon film, ravie de voir une aussi belle adaptation. Sauf que quelque chose de bizarre s’est passé. Le film continuait au-delà de l’histoire. Il inventait une suite. Et dans cette suite, non seulement un personnage mourrait, mais en plus Laurie ne finissait pas avec Jo. Pire ! Il épousait Amy !!!

Comme vous pouvez l’imaginer, j’étais absolument scandalisée. Comment avait-on pu laisser faire une chose pareille. Réaliser une mauvaise adaptation, c’est une chose. Mais modifier à ce point l’histoire pour en donner une fin aussi décevante. Non !

J’étais tellement frustrée par ce mauvais film que je me suis réfugiée dans mon livre. Dès le soir même, je relisais les Quatre Filles du docteur March. Je crois que j’étais déjà au lycée à l’époque. Et en finissant mon livre, j’ai remarqué pour la première fois quelque chose que je n’avais jamais vu. Un détail presque sans importance. Sur la quatrième de couverture de mon exemplaire, il était précisé qu’il s’agissait d’un « texte abrégé ».

Crise de réalité aiguë

Eh oui : je ne le savais pas, mais ce n’était pas un texte intégral que j’avais lu et relu pendant toutes ces années. Quelques jours plus tard, je suis allée à la bibliothèque du lycée, où j’ai pu mettre la main sur un exemplaire en texte intégral des Quatre Filles du docteur March. Et effectivement, l’adaptation que j’avais vu sur M6 était bel et bien fidèle au livre. Elle n’inventait rien. Dans le roman, un des personnages meurt, et Jo et Laurie n’ont pas leur happy end.

Mon exemplaire s’arrêtait au moment où l’histoire se finissait bien. Et il faisait l’impasse sur tous les moments pénibles. Vous n’imaginez pas à quel point j’étais déçue.

Après quelques semaines de débat avec moi-même, j’ai fini par emprunter le livre et le lire jusqu’au bout. Je ne peux pas dire que ce fut une expérience très plaisante. C’était du pur masochisme émotionnel. Je savais d’avance que je n’allais pas aimer ce que j’allais lire. Mais j’avais besoin d’aller jusqu’au bout. D’une façon inexplicable, il fallait que je me confronte à l’histoire dans sa totalité.

Depuis, je n’ai jamais plus relu Les Quatre Filles du docteur March. C’est resté LE livre qui m’a le plus fait souffrir. Je l’aimais tellement. Et j’ai vécu cette sensation de trahison avec une telle violence que je n’ai toujours pas trouvé le moyen de dépasser de sentiment.

Pour info, j’ai revu l’adaptation. Et ce film est très bien. Je suis un peu crispée à la fin. D’autant que franchement : Christian Bale en Laurie, qui peut lui dire non ?!

Ce livre un roman que je n’ai jamais conseillé à personne autour de moi. Pas parce qu’il est mauvais. Mais parce que je n’ai vraiment pas l’impression d’être la personne la mieux placée pour donner envie de le lire. Ma relation avec lui reste conflictuelle. Peut-être qu’un jour je ferai la paix avec Les Quatre Filles du docteur March. Mais je sens que ce ne sera pas pour tout de suite.

Et vous ? Y a-t-il un livre avec lequel vous entretenez ce genre de relation d’amour/haine ? Suis-je la seule folle furieuse à avoir vécu ce type de désillusion littéraire ? Pitié, dites-moi que non !