En ce 8 mars, Journée Mondiale pour les Droits des Femmes, j’ai envie de vous parler d’un sujet qui me passionne au plus haut point. La relation entre les femmes et la littérature policière. En ce qui me concerne, cette passion date du collège. Mes lectures d’enfance étaient déjà teintées d’un certain engouement pour les histoires policières gentillettes. Mais en grandissant, très rapidement cette curiosité s’est muée en passion. Sherlock Holmes et Hercule Poirot ont rapidement pris une grande place dans ma carrière de lectrice. Et ils ont présidé, sans que je m’en rende vraiment compte à l’époque, à mon goût quasi obsessionnel pour les histoires policières. Avec le temps, j’ai croisé beaucoup d’autres personnages et beaucoup d’autres auteurs. Surtout, je me suis rendue compte qu’avec le temps, le roman policier était devenu un genre littéraire presque dominé par les romancières. Elles sont nombreuses à écrire des polars best-sellers internationaux. Autre tendance intéressante : les romans policiers sont principalement lus par des femmes. Pourquoi ? Comment expliquer l’intérêt des femmes pour le genre policier ? Aujourd’hui, je vous propose une plongée dans les aspects les plus sombres de la littérature et de la psyché féminine.
Longue vie aux « reines du crime »
Avez-vous déjà réfléchi au fait qu’il n’existe pas d’équivalent masculin à l’expression « reine du crime » ? Agatha Christie a peut-être vendu beaucoup de livres dans sa carrière, et depuis sa mort la tendance s’est maintenue. Mais Arthur Conan Doyle, le papa de Sherlock Holmes, était largement aussi célèbre qu’elle. En France, où nous jouissons d’une belle et longue tradition policière, des auteurs comme Maurice Leblanc, Arthur Bernède ou encore Gaston Leroux ont rencontré un large succès populaire sans qu’on leur décerne un royal épithète. Pourquoi ?
A une époque où les femmes étaient encore largement minoritaires dans le monde de l’édition, je pense que le succès d’une romancière comme Agatha Christie frappait beaucoup plus les esprits. Et à une époque où les femmes n’avaient pas encore le droit de vote, de disposer d’un compte en banque ou d’exercer n’importe quel métier, l’intérêt d’une femme pour la chose criminelle avait de quoi fasciner les foules. N’a-t-on pas dit pendant des siècles que les femmes étaient des créatures plus fragiles, plus douces, plus dociles que les hommes ? Comment imaginer qu’un agneau puisse se prendre pour un loup ?
Si le succès des femmes autrices de romans policiers a pu désarçonner leurs contemporains, il a surtout ouvert la voie. Dans le sillage d’une Agatha Christie ou d’une Margery Allingham, d’autres femmes ont commencé à s’intéresser au roman policier. Et c’est ainsi que c’est établi une véritable tradition de la littérature moderne en Occident : le roman policier est un des rares genres littéraires dans lequel les autrices sont aussi nombreuses que les auteurs.
Les femmes qui écrivent n’écrivent pas que de la littérature féminine
C’est un fait qui a mis du temps avant de se faire entendre dans les débats littéraires. Oui, les femmes aussi peuvent écrire des livres « sérieux », des ouvrages de qualité. Et elles ne sont pas cantonnées aux romances mièvres. Si les hommes peuvent écrire des romans d’amour, pourquoi les femmes ne pourraient-elles pas écrire des histoires policières, des thrillers ou de la science-fiction ?
Historiquement, il est clair que l’émancipation féminine de la seconde moitié du XXe siècle a contribué à changer la donne en matière de littérature policière. Le nombre de polars écrits par des femmes a véritablement explosé en seulement vingt ou trente ans. C’est une tendance de fond : tout d’un coup, les femmes ont été plus éditées. Les portes des maisons d’édition ont commencé à s’ouvrir pour elles. Et surprise : ce qu’elles écrivaient n’était pas mauvais ! J’avais consacré un article entier à la place des femmes dans la littérature française du XXe siècle. Et cet exemple résume bien la situation globale de la littérature occidentale de l’époque.
Pour le roman policier, ce qui est intéressant de noter, c’est qu’on a commencé à s’éloigner des stéréotypes machistes du début du siècle. Le personnage de l’enquêteur loup solitaire, porté sur la bouteille, le jeu et les femmes est devenu ringard. Pour autant, on n’a pas assisté à une « féminisation » du roman policier. Au contraire : c’est un genre littéraire qui reste globalement neutre. Si vous ouvrez un roman policier au hasard aujourd’hui en vous baladant dans une librairie et que vous lisez quelques paragraphes, je vous mets au défi de trouver si le livre est écrit par un homme ou une femme. Les sujets féminins ne sont pas l’apanage des romancières. Et les livres sanglants ne sont pas réservés aux hommes.
Pourquoi le roman policier intéresse tant les femmes ?
En lisant un article il y a déjà quelques temps, je suis tombée sur une statistique surprenante. La journaliste citait un éditeur de chez Actes Sud, selon lequel 60% des lecteurs de romans policiers étaient en fait des lectrices. Je pensais que le lectorat policier était plus équilibré. Mais il semble en fait que les femmes s’intéressent plus au polar que les hommes. Et même si je n’ai pas trouvé de chiffres, on peut aussi facilement constater en librairie que les romancières sont au moins aussi nombreuses dans le polar que les hommes (si ce n’est plus).
J’imagine que je pourrais trouver tout un tas d’analyses psychologiques/littéraires plus ou moins crédibles pour expliquer cet engouement. Pour ma part, je vais opter pour une analyse pragmatique, parce qu’un peu de bon sens commun ne fait jamais de mal. Et je pense que si les femmes sont aussi attirées par le roman policier, c’est à cause de la violence qu’il contient. Je pense que les femmes sont plus sensibles que les hommes à la violence. Pas sensibles au sens « fragiles ». Sensibles au sens d’en avoir une conscience aiguë. Les femmes connaissent mieux la peur que les hommes. Elles savent davantage ce que c’est que d’avoir peur pour leur sécurité, notamment dans les espaces publics comme les transports en commun ou les rues le soir.
Par tradition, la société occidentale n’accorde pas la même place aux violences infligées aux femmes qu’aux crime « mixtes », susceptibles de toucher aussi bien des hommes que des femmes. Les crimes sexuels ne faisaient pas, jusqu’à récemment, l’objet de débats publics. Les « affaires de femmes » se règlent entre femmes, dans la cuisine, mais ce n’est pas un sujet de discussion au salon. Les violences conjugales, le viol, le harcèlement ont longtemps été mésestimés par les pouvoirs publics. Ce type de violence était banal, donc invisible. Mais cette violence-là faisait pourtant des victimes. Et c’est encore le cas.
Il me semble donc que c’est parce qu’elles ont davantage l’habitude de côtoyer la violence au quotidien que les femmes s’intéressent plus aux histoires policières. C’est un sujet proche d’elles. Et les histoires policières ont un avantage certain sur le monde réel : à la fin, le coupable est démasqué et puni. Les romans policiers véhiculent en principe un sentiment de justice rendu qui est très gratifiant pour le lectorat. Et il y a certainement dans cet aspect des histoires une piste pour expliquer l’intérêt des femmes pour le polar.