On l’appelle souvent le neuvième art, et pourtant la BD est loin d’être la cinquième roue du carrosse de la culture. Bien au contraire, la popularité de la machine à bulles est telle qu’on peut même dire que la bande dessinée se trouve sur l’une des premières places du podium, en compagnie du cinéma et de la photo. Normal, nous vivons dans un monde de l’image. Alors, quand Hergé en personne fait l’objet d’une exposition rétrospective à la galerie du Grand Palais de Paris, ce n’est pas un petit événement : ce n’est que la juste reconnaissance de son impact durable sur la culture mondiale. L’exposition est ouverte depuis un mois déjà, mais je m’y suis rendue lundi dernier pour une visite curieuse et studieuse.
Rentrer dans l’univers de Hergé, ce n’est pas seulement mettre ses pas dans ceux de Tintin et de Haddock : c’est rendre visite à son enfance. Et ça commence avant même de rentrer au Grand Palais, quand on contemple la superbe affiche avant de gravir les marches. L’affiche, qui joue sur la juxtaposition des visages de Hergé et de Tintin, donne tout de suite le ton de l’exposition : il va s’agir de suivre la trace de Hergé dans ce labyrinthe qu’est devenu l’oeuvre Tintin.
Ce qui peut surprendre au début, c’est que le parcours de l’exposition n’est pas chronologique, mais plutôt thématique. Chaque salle s’intéresse à un thème majeur de la création chez Hergé. J’ai trouvé que certaines salles étaient plus intéressantes que d’autres, mais ça c’est ma sensibilité de lectrice qui parle. Nous ne sommes pas tous touchés par les mêmes aspects du travail de Hergé. Par exemple, la première salle sur le rapport de Hergé à l’art ne m’a pas beaucoup intéressé alors que la salle sur le travail de romancier (c’est-à-dire de narration) m’a vraiment passionné.
De fil en aiguille, l’exposition montre bien comment les aventures de Tintin se sont construites. Elles ont gagné en épaisseur au fur et à mesure que Hergé gagnait en expérience. Le tout jeune dessinateur des débuts laisse peu à peu la place à un artiste avec une vision claire et précise de ce que doivent être ses albums. Et ce qui n’était qu’un petit personnage vivant des aventures au coup par coup devient un vrai héros avec des histoires à sa mesure.
A ce titre, l’exposition présente plusieurs interviews d’archives très intéressantes où Hergé s’exprime lui-même sur sa manière de travailler et d’appréhender les choses. Derrière le travail méticuleux du dessinateur et scénariste, on découvre un homme passionnant et passionné qui a gardé l’esprit aventureux de son enfance. Peut-être la clef de son succès intemporel ?
Une autre salle coup de coeur est celle sur la « famille » de Tintin, c’est-à-dire tous les personnages secondaires récurrents : Milou, Haddock, Dupont, Dupond, la Castafiore, Tournesol mais aussi les méchants comme Rastapopoulos ou le docteur Müller. Là, il vaut mieux avoir la chance de bénéficier des commentaires d’un guide car les anecdotes sur la création des personnages sont savoureuses et le plus souvent encore plus rocambolesques que les personnages eux-mêmes !
L’exposition s’est avérée passionnante même si j’ai regretté qu’elle ne soit pas assez ludique. Elle ne propose aucun atelier de dessin (ce qui aurait quand même été hyper pertinent pour aborder le concept de ligne claire) et ne s’intéresse pas une seule fois aux différentes adaptations dont Tintin a pu faire l’objet. Dommage car le héros de bulles a flirté avec la télé, le cinéma et même le théâtre !
De la même façon, l’exposition ne rentre pas trop dans le détail de la création de Tintin. Or sa genèse est très intéressante (j’ai vu un documentaire sur le sujet sur Arte il y a quelques semaines) et elle donne déjà plusieurs clefs pour comprendre ce que Hergé a voulu faire avec l’univers de Tintin.
Reste quand même que cette exposition vaut le détour. Elle rend un bel hommage à Hergé, créateur de génie et conteur de grand talent. Après Jules Verne mais avant J.K. Rowling, il a su allier l’aventure et l’humour pour offrir aux lecteurs de tous les âges des histoires palpitantes dont on ne peut pas se lasser. La richesse de son oeuvre a inspiré plusieurs générations de scénaristes et de dessinateurs. Elle a aussi donné le goût des BD à de nombreux lecteurs qui ne s’y seraient pas intéressés sinon. Ce qui n’est pas un mince exploit ! Et à travers Hergé, c’est toute la BD qui mérite d’être célébrée.
Vous avez encore quelques mois pour aller visiter l’exposition du Grand Palais. Si vous en avez l’occasion, allez-y plutôt en semaine pour profiter calmement des différents espaces de l’exposition (la scénographie est parfois mal pensée, et il n’y a par exemple pas assez de places assises pour regarder les documentaires).
Bonne visite à tous !