Comment tu parles de ton père, de Joann Sfar

SfarComme chaque année, la rentrée littéraire présente un territoire d’écriture difficile à débroussailler, mais si on se donne un peu de peine, on peut découvrir des oasis merveilleuses. Et c’est un peu la sensation que j’ai eu en découvrant le nouveau livre de Joann Sfar : Comment tu parles de ton père. Une petite pépite, un récit autobiographique dans lequel l’auteur convoque le fantôme de son père en même temps que celui de son enfance. Et loin de l’exercice nombriliste, Joann Sfar embarque son lecteur dans une expérience émotionnelle universelle : l’épreuve du deuil.

Il n’y a pas d’âge pour se retrouver orphelin. Joann Sfar a perdu sa mère quand il était petit, et il s’en est plutôt bien remis. En revanche, atteindre la quarantaine et devoir faire face à la mort de son père est beaucoup plus dur pour lui. A l’occasion de ce moment de deuil, il se lance dans le portrait de ce père archi-présent dans son enfance et encore dans sa vie d’adulte. La relation père-fils, le reste de la famille, les souvenirs d’enfance, apprendre à vivre sans lui… tous ces sujets sont abordés au fil des pages par Joann Sfar qui cherche la trace de son père. Et en interrogeant cette figure paternelle désormais absente, il s’interroge aussi sur lui-même.

Afin d’être complètement transparente, je dois avouer que je ne suis pas une grande fan de Joann Sfar en tant qu’artiste de BD. Par contre, j’adore le bonhomme qui est à la fois sympathique, drôle et très pertinent dans ce qu’il dit. Le voir en interview à la télé est toujours un plaisir pour moi, et c’est exactement le genre de personne qui me redonne confiance en le genre humain. Tout ça pour dire que je ne suis pas de parti pris face à ce livre.

Dès les toutes premières pages, je suis vraiment tombée sous le charme de ce livre. Son écriture autant que son projet même m’ont séduite. L’écriture parce qu’elle est fluide, honnête, émouvante et drôle. Le projet du livre parce que le deuil (le vrai, pas celui des romans) est un sujet dont on ne parle pas si souvent que ça. Et même si ce n’est pas exactement le genre de livre qui vous remonte le moral ou vous file la banane, Comment tu parles de ton père offre quand même une grande bouffée d’amour et de tendresse qui en font une excellente lecture.

Peut-être parce que j’ai moi-même été touchée par un deuil l’année dernière, j’ai été très sensible à tout ce que Joann Sfar évoque dans son livre. Il parle de l’enfance, des souvenirs avec les personnes chères, de la famille. Mais il parle aussi de la vie d’adulte, des rapports qui évoluent entre parents et enfants, de la nécessité de grandir en s’affranchissant un peu des figures tutélaires de notre enfance. Il faut s’éloigner du sillon pour tracer notre propre route.

Dans son cas à lui, il s’agit de s’éloigner de la figure un peu écrasante de son père, de ne pas embrasser la religion comme planche de salut et de trouver ses propres marques. Tout ça est écrit avec beaucoup de subtilité mais aussi beaucoup d’efficacité. Il trouve les mots justes pour aborder toutes ces choses qui ont forgé sa relation avec son père. Surtout, il parle avec justesse du deuil à l’âge adulte, de ce que c’est que de vivre avec l’absence, avec la mémoire seulement.

Si j’ai parfois trouvé que le livre avait une structure un peu bancale (les chapitres se suivent sans ordre précis, ce qui est parfois un peu déstabilisant), je suis tout de même restée complètement accrochée par ce récit. Joann Sfar parle de lui, mais ce qu’il évoque parlera forcément à ses lecteurs car ce sont finalement des thèmes universels. Comment tu parles de ton père peut être lu comme une lettre d’amour à son père, mais aussi comme un acte de foi envers l’écriture : l’écriture aide à affronter le réel ; elle capture aussi les souvenirs et les émotions pour les figer et les conserver intacts. Si vous cherchez un livre qui « parle vrai », je suis certaine que celui-ci vous offrira un joli moment de lecture.

8 réflexions sur “Comment tu parles de ton père, de Joann Sfar

  1. Melody dit :

    Tu écris que Sfar dit qu’il il faut s’éloigner du père et dans son cas « de ne pas embrasser la religion comme planche de salut et de trouver ses propres marques ». En même temps Sfar parle sans cesse de religion, ça tourne en boucle chez lui !!! Comment tu expliques ça ? I l’explique comment dans son livre ? Merci.

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    • Alivreouvert dit :

      Pour répondre de façon complète à ta question en fait il faut vraiment lire le livre car il explique bien le rapport de son père à la religion puis son propre rapport à la religion. Sfar est dans une posture ou il interroge la religion et les rapports que les hommes ont avec elle. Il n’est pas croyant et questionne les religions de son point de vue laïc. Et puis les religions sont l’une des obsessions de notre époque, je pense que c’est aussi pour ça que c’est un sujet idéal pour un auteur. D’autres, comme Éric-Emmanuel Schmitt, s’y frottent aussi régulièrement. J’espère avoir répondu à ta question !

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