J’ai lu le formidable roman de Pat Barker lorsque j’étais à l’université, pour un cours en cursus de LLCE Anglais qui portait sur la littérature anglaise et la Première Guerre mondiale. J’avais choisi ce cours parce que ça m’arrangeait dans mon emploi du temps, sans autre considération… et surtout sans me douter que j’allais croiser l’un des meilleurs livres de ma vie pendant ces quelques semaines ! Le programme ne semblait pas alléchant, la période certainement pas festive, et je n’avais jamais entendu parler de l’auteure an programme. J’étais une véritable candide, pas du tout consciente que la foudre allait me frapper. Mais c’est souvent le cas avec les très bons livres : on a l’impression qu’ils tombent du ciel pour atterrir directement dans vos bras, votre cœur, votre esprit. Par la suite, c’est difficile de les en déloger, et ils vivent avec nous pendant des années. Regeneration m’a fait cet effet-là, et je me suis surprise moi-même en me rendant compte que je ne vous en avais jamais parlé jusqu’à présent. Ce mois d’avril consacré au roman historique est donc la parfaite opportunité de réparer mon erreur et de vous faire découvrir un roman passionnant, poétique et profondément emprunt d’humanité.
L’histoire se déroule en 1917. Les soldats sont pris au piège dans une guerre de tranchés aussi pénible pour le corps que dure pour l’esprit. Personne n’a jamais vécu cela : la première guerre moderne, et personne ne sait vraiment quelle tactique employer. Des milliers de vies sont en jeu, certaines sacrifiées inutilement. Les survivants se terrent dans les tranchées, pris dans l’angoisse de mourir bientôt, ballotés entre les conditions misérables, le chaos des phases de combat et les bruits assourdissants d’une vie désertée par l’humanité. Mais en Ecosse, dans l’hôpital psychiatrique militaire, les combats sont différents. Les soldats, temporairement éloignés du front, sont soignés pour un mal qu’on ne connaît pas encore et qu’on baptise simplement « shockshell ». Le docteur Rivers est en charge de ces soldats à l’esprit fragilisé, donc le corps porte aussi les stigmates de ce qu’ils ont vécu sur le front. Son rôle est de les remettre sur pied, mais aussi de les rendre aptes au service afin qu’ils retournent combattre. Une tache difficile pour ce médecin qui a des scrupules à mener sa mission à bien. A ses côtés, d’autres hommes essayent de faire la part des choses entre la peur et l’espoir. C’est notamment le cas de Sassoon, un jeune héros de guerre, médaillé pour sa bravoure… Un poète qui a eu le culot de publier un pamphlet contre l’absurdité de la guerre pour alerter l’opinion public. Afin de le désavouer, sa hiérarchie a décidé de l’envoyer en hôpital psychiatrique en le déclarant fou. Mais comment faire entendre la vérité quand personne ne veut l’entendre ?
Vous l’aurez compris, Regeneration est un roman dense largement inspiré de faits réels puisque l’hôpital dont il est question a réellement existé et que plusieurs personnages sont en fait des personnes réelles. Pat Barker est l’une des romancières les plus importantes en Angleterre, et au fil du temps elle s’est vraiment spécialisée sur la période de la Première Guerre mondiale, écrivant beaucoup de romans historiques pour faire voir la vie quotidienne de l’époque, tant du point du vue du front que de celui des civils. Elle offre donc un roman parfaitement documenté, avec un projet d’écriture très clair : faire sentir au lecteur l’expérience de la guerre à travers ceux qui ont été traumatisés par elle.
Si le roman n’a rien de joyeux, il est en revanche passionnant et impossible à lâcher. Déjà parce que c’est très bien écrit ; ensuite parce que le propos du livre est étonnement chaleureux. Pat Barker cherche l’humain dans une période où l’humanité était recroquevillée dans un coin, perdue au beau milieu de l’effondrement du monde. Face à toutes les atrocités vécues, ce qui frappe dans ce roman, c’est l’attachement profond pour l’émotion humaine, la bienveillance, la générosité et l’espoir.
Pat Barker ne verse pas dans le sensationnalisme, et elle ne sort pas non plus les violons pour émouvoir le lecteur. Inutile : l’histoire est bien assez forte comme ça, et c’est son aspect authentique qui permet de la rendre su forte. Il y a une véritable pudeur dans les portraits des différents militaires qu’on suit dans ce roman. J’ai notamment eu un véritable coup de cœur pour le personnage Billy Prior, un jeune homme tellement choqué qu’il n’est plus capable de parler. Et évidemment, le personnage du docteur Rivers est également quelqu’un qu’on suit avec beaucoup de curiosité. Il est pris en tenailles entre son envie d’aider les soldats à aller mieux, et le fait que signer leur lettre de sortie, c’est les condamner à être renvoyé au front. A travers son regard, on voit comment les civils perçoivent les militaires : ils essayent de comprendre mais restent sur le seuil de l’horreur. Ils veulent les aider mais ont du mal à trouver les mots justes pour les ramener vers la lumière. Finalement, ce dont Pat Barker parle, c’est ce qu’on appelle désormais le syndrome de stress post-traumatique. Un mal bien identifié et qu’on peut espérer traiter aujourd’hui, mais dont on ne savait rien à l’époque.
Ce roman est un cheminement au cœur de l’humanité. Il est écrit avec une grande délicatesse et une grande justesse. Ce qui est surprenant, c’est que cette histoire est particulièrement solaire. Car même si toutes les histoires ne finissent pas bien, elles portent toutes le témoignage de ces hommes dont la vie a été brisée mais qui n’ont cessé de lutter pour retrouver leur humanité. Les lecteurs non-anglophones seront très déçus d’apprendre que le livre n’est plus édité en France, ce qui relève carrément du scandale. Toutefois, vous aurez peut-être la chance de trouver un exemplaire d’occasion. Je vous le souhaite car ça a été une grande chance en ce qui me concerne de croiser ce livre sur ma route de lectrice.
Ah zut moi qui ne lis qu’en français en tout cas si je le croise je le prend =)
J’aimeJ’aime