Je ne pouvais pas laisser passer cette journée de la femme sans vous parler d’un livre que j’ai lu récemment et que j’ai trouvé particulièrement pertinent. Le mois dernier, Amandine Grosjean a publié son premier livre, Sois belle et tais-toi !, un récit en forme de témoignage de ses années passées dans le mannequinat. Bien loin des paillettes et de l’image glamour de papier glacé, le livre donne à voir l’envers du décor. On y découvre des filles belles comme le jour mais jugées sans vergogne dans des conditions de travail ahurissantes. Un véritable pavé dans la mare, aux antipodes des idées reçues sur un métier « de rêve ». J’ai voulu en savoir plus sur la démarche d’Amandine, et lui demander comment elle avait réussi à transmettre sur le papier autant d’émotions et d’années d’expériences. Car même si son livre est aussi plaisant à lire qu’un roman, ne vous y trompez pas : ce récit à la première personne est bel et bien une autobiographie, le témoignage de ce qui se passe dans les coulisses. A travers sa propre histoire, Amandine Grosjean donne une voix à ces milliers de filles qui existent sur photo sans qu’on ne sache rien d’elles ou de leur métier. Un projet passionnant et engagé… comme son auteur.J’aimerais commencer par une question un peu évidente : comment l’idée/l’envie de ce livre t’est-elle venue ?
Cela s’est d’abord présenté comme un journal intime quotidien que j’écrivais. C’était un défouloir de mes émotions et une manière de garder une trace de tout ce que je vivais, qui tantôt m’horrifiait et tantôt m’enchantait. Je ne pensais pas vraiment le publier un jour au départ. Puis au fil du temps, des pages, je me suis dit que mon expérience faisait un bon témoignage du milieu et pouvait servir aussi de conseils à certaines jeunes filles qui aimeraient se lancer. J’ai donc envoyé le manuscrit à des maisons d’édition.
En faisant des recherches, je me suis rendue compte qu’on trouvait peu de livres sur les mannequins. Ta démarche semble donc un cas à part. Comment expliquer que si peu de mannequins parlent ouvertement de leur métier ? Est-ce une forme d’auto-censure ?
Je pense que l’on n’ose pas se plaindre d’un milieu si fantasmé ! Dans une société basée sur l’apparence, la célébrité et la jeunesse, la profession de mannequin est une énorme chance que seule une élite de personnes peut saisir. Peu de filles y ont accès, c’est sensé être glamour et valorisant, on y gagne beaucoup d’argent rapidement, on infiltre les milieux très prisés de la mode et de la beauté, alors on ne va pas se plaindre en plus ! C’est un effet très pervers selon moi.
Dernièrement certaines mannequins ont commencé à témoigner, d’abord à travers des documentaires comme Sara Ziff (Picture Me) puis à travers les réseaux sociaux… C’est très récent. Je pense que la profession, longtemps sacralisée, commence à perdre un peu de ses paillettes. Et c’est important de la présenter avec tous ses aspects et non qu’avec son meilleur profil !
Dans ton livre, tu reviens sur ton parcours et tes expériences, dont certaines ont été franchement déplaisantes. Était-ce facile de raconter tout ça ? Ce livre a-t-il eu un effet cathartique ?
Certains passages étaient effectivement difficiles à écrire mais je me suis servie de ce travail d’écriture pour sortir les colères et rancœurs que j’avais en moi. Colères face aux jugements par exemple, aux diktats absurdes, aux castings irrespectueux… Oui c’était complètement libérateur !
Y a-t-il des choses que tu as préféré ne pas livrer ?
Je ne me suis pas posée la question sur ce que je devais laisser ou non lorsque j’ai choisi de publier « Sois belle et tais-toi ! ». J’ai tout laissé en me disant que plus le récit serait vrai, plus il aurait des chances de toucher les lecteurs. Même si je ne me sens pas complètement à l’aise face à tout mon mal-être que je décris ! J’ai même eu peur de le sortir. Peur de m’être trop livrée et que le regard de mes proches et de mon entourage change après cela. Mais si j’avais édulcoré ou coupé certains passages, l’histoire aurait perdu de son sens.
Ce que j’ai trouvé très intéressant dans ton livre, c’est que le grand public a pas mal de clichés sur le métier de mannequin, et ton livre en dynamite pas mal. Et au contraire, on découvre beaucoup de choses qu’on ne soupçonnait pas. Quel genre de réactions as-tu observé autour de toi ? Les gens ont-ils été surpris de découvrir tout ça ?
En effet, le grand public a une image glamour du mannequinat et ne connaît généralement que les Top Models qui ont du succès. Là, je m’attarde sur les autres que j’appelle « les travailleuses de la beauté », qui vivent du mannequinat sans être connues. Les lecteurs sont généralement surpris de découvrir cette facette du métier et me parlent aussi beaucoup du côté psychologique, du rapport au corps, des diktats, des exigences des bookeurs, des castings parfois cruels. Je crois qu’on ne s’attend pas forcément à cela lorsque l’on regarde une série mode dans un magazine ! Les mannequins ont souvent la réputation d’être bien dans leur peau, extrêmement chanceuses et avec une vie facile. Comme sur le papier glacé.
As-tu eu des retours de la part de personnes du milieu du mannequinat à la sortie de ton livre ? Sais-tu s’il a été bien accueilli ?
Pour l’instant, ce sont des mannequins de mon entourage qui m’ont dit s’être reconnues dans les émotions que je décrivais au quotidien. Cela me touche et me glace en même temps.
Il y a régulièrement des associations qui s’inquiètent de l’image véhiculée par les mannequins, de l’obsession de la maigreur, du culte de la jeunesse… Mais finalement, personne ne semble s’émouvoir des conditions de travail des mannequins. Est-ce que tu penses que ton livre peut avoir un impact sur la situation ?
Il n’avait pas cette vocation au départ mais j’aimerais qu’il continue d’ouvrir le débat sur l’image de la femme irréelle que nous véhiculent les médias qui fait du mal à toutes les autres, générations confondues, ainsi que bien sûr, sur les conditions de travail et la manière dont on traite trop souvent les mannequins.
Et maintenant, quels sont tes prochains projets ?
Je veux continuer de mener mon « combat » sur l’aliénation de la femme et proposer, en tant que journaliste, une presse proche des femmes, sans corps parfaits, stéréotypes complexants et beautés inaccessibles. Il faut que les médias en finissent avec cette image de poupée jeune et parfaite pour laisser les lectrices se sentir libres d’exister autrement qu’à travers une apparence à un seul code.
Je remercie chaleureusement Amandine de s’être prêtée au jeu de l’interview et je ne peux que vous encourager à découvrir son livre. Bonne lecture à tous !
Interview très intéressante car en effet les spectateurs ont souvent une certaines image des mannequins et de ce métier il est important que la vérité ce sache…
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Tout à fait. On ne se rend pas compte de ce que les filles vivent loin des lumières… et c’est bien qu’un livre aborde cette question.
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