La Septième Fonction du langage, roman de Laurent Binet

41mGGxHIvnL._SX339_BO1,204,203,200_Dès mon année de terminale et mes premiers cours de philo, Roland Barthes a été une figure hautement sympathique à mes yeux. D’abord parce que j’avais l’impression (malgré les efforts de ma prof de l’époque pour compliquer exagérément les choses) de comprendre de quoi il parlait, ensuite à cause de sa voix. Un homme avec une voix aussi agréable et reposante ne pouvait pas être un penseur de seconde zone ennuyeux ! Plus tard, mes cours de linguistique à la fac ont confirmé tout le bien que je pensais de lui, et même je suis revenue à Barthes au moment de rédiger mon mémoire de recherche. Le signe était entré dans ma vie, en même temps qu’une certaine curiosité pour les philosophes et les linguistes. La passion du texte encore et toujours… ou plus pertinemment, pour rendre hommage à un célèbre livre de Barthes, le « plaisir du texte ». Du coup, lorsqu’il fut annoncé par Grasset que l’un de leurs livres-phares de la rentrée littéraire 2015 allait être un roman de Laurent Binet consacré à Barthes, j’ai tout de suite eu envie de lire La Septième Fonction du langage.

Nous sommes à Paris en 1980. En France, tout le monde s’intéresse déjà à l’élection présidentielle qui va avoir lieu l’année prochaine. A priori, ce sera sans surprise la réélection de Giscard, mais bon, on ne sait jamais… Roland Barthes, professeur du Collège de France, l’un des pères de la sémiologie, sort justement d’un déjeuner avec François Mitterrand. Mais au moment de traverser la rue des Ecoles, une camionnette de livraison débouche et le renverse. Il meurt quelques jours plus tard. Accident ou assassinat ? En haut lieu, on se pose des questions… D’autant qu’une folle rumeur circule dans le milieu intellectuel français de ce début d’années 80 : Barthes aurait percé à jour le secret du langage et découvert une septième fonction quasiment magique permettant de convaincre n’importe qui. Autant dire une aubaine à un an d’une élection cruciale ! Pour résoudre l’énigme, un policier nommé Bayard est envoyé sur le terrain. Dans le pur style Lino Ventura, ce représentant des forces de l’ordre se méfie de tous ces intellectuels gauchistes mal coiffés. Pour l’aider dans son enquête, il réquisitionne un jeune universitaire, Simon Herzog, qui lui servira de traducteur pendant son investigation. Mais le danger rôde, et tout le monde veut mettre la main sur le secret de Barthes… à commencer par des tueurs bulgares et des japonais un peu bizarres.

Depuis le mois d’août, j’avais envie de lire ce livre !! J’ai trépigné d’impatience, mais mon calendrier de lecture m’a empêché de le lire en septembre. Mais ça y est, et ce n’est pas plus mal d’avoir un peu attendu car trop de monde a parlé de ce livre en bien : il fallait laisser l’enthousiasme du moment retomber pour le découvrir plus calmement. Premier constat, ce roman est dense. Second constat, même si vous n’êtes pas obligés d’avoir un doctorat en philologie pour lire ce livre, à mon avis il est quand même bon d’avoir quelques notions sur la pensée française du XXe siècle avant de se lancer dans l’histoire… ne serait-ce que pour situer un peu tous les personnages qu’on croise.

Car le coup de génie absolu de ce roman, c’est que Laurent Binet fait revivre sous nos yeux nos plus grands intellectuels du siècle dernier. Barthes (même si on ne le voit pas longtemps), Deleuze, Foucault, Derrida, Sartre, Sollers, Althusser, on voit aussi Umberto Ecco… Que du beau monde ! C’est comme visiter un musée de cire pour fans de linguistique ! Laurent Binet, qui connaît son sujet sur le bout des doigts, mélange avec un malin plaisir les détails historiques véridiques avec des inventions de son imagination. Du coup, la frontière entre la réalité et la fiction est très trouble… au point que je me suis moi-même laissée piégée par certains faits. Loin de se borner à convoquer ce haut patronage dans son livre, l’auteur les fait vivre et leur donne la parole : et là, on décolle pour des morceaux de bravoure sur l’histoire et les principes de la sémiologie. Je suis retombée avec beaucoup de plaisir dans des concepts croisés sur les bancs de la fac, mais pour les non-initiés, ce sera peut-être un peu exotique du coup.

Outre le sujet de fond qui est passionnant, l’histoire est très bien tenue. C’est rythmé, plein de suspens, bourré d’humour, les deux personnages principaux sont très attachants (dans des genres bien différents)… On sent une vraie malice de la part du romancier qui prend du plaisir à tisser sa toile. En forcément, en tant que lectrice, je suis sensible à ça. Je disais plus haut que ce roman était dense : Laurent Binet y parle de beaucoup de choses, menant une histoire policière qui pourrait un peu rappeler le Da Vinci Code, et reconstituant en même temps une période intellectuelle absolument passionnante. On n’a pas seulement le plaisir d’une bonne histoire, il y a aussi un aspect carte-postale qui est vraiment très plaisant. On sent l’enthousiasme qui affleure dès qu’on parle des débats entre philosophes et linguistes. En cela, la dernière partie du livre est particulièrement réussie.

Ce livre mérite effectivement tout le bien qu’on a déjà pu dire de lui. Et même s’il est vrai qu’il ne plaira peut-être pas à tous les lecteurs, il faut tout de même souligner que Laurent Binet à le culot d’écrire un roman sur la sémiologie… et c’est super bien fichu ! On se croirait dans une grosse production américaine, ça bouge dans tous les sens, et l’écriture très ludique permet de passer habilement du suspens à l’humour, le tout dans une bonne humeur qui fait plaisir. Bref, une très bonne lecture que je recommande à tous les curieux qui ont envie de découvrir une excellente hypothèse autour de la mystérieuse mort de Roland Barthes.

10 réflexions sur “La Septième Fonction du langage, roman de Laurent Binet

    • Alivreouvert dit :

      Entièrement d’accord avec toi ! Il n’y a pas beaucoup de romanciers qui se risqueraient sur ce territoire… surtout que ça ne tombe pas dans le genre « théorie du complot » ; ça reste intelligent et passionnant du début à la fin. Bonne lecture du coup !

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  1. Anne de Louvain-la-Neuve dit :

    Et bien, pour ma part, ça me tente énormément. On en parle beaucoup chez nous, certaines l’ont déjà découvert et ma voisine m’a promis de me le prêter bientôt. Je l’attend avec impatience et je transfère votre lien à mes amies de la tournante de livres. Si j’ai découvert Roland Barthes lors de mes études comme vous, je me demande tout de même après trente ans, ce qui pourra rester de ma compréhension de la sémiologie mais il parait que ce livre est très accessible comme vous le dites si bien. Merci.

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  2. WordsAndPeace dit :

    Je dois te partager ma nouvelle, parce que c’est en partie grâce à toi que la chose est arrivée: ta présentation a ravivé mon désir de lire ce livre. Merci! Et tout à coup j’ai repensé à Netgalley.FR. C’est récemment seulement que j’ai réalisé qu’en dehors de Netgalley.COM (que j’utilise beaucoup), il y avait aussi Netgalley.FR. Et ce livre y était encore disponible! Alors même si mes billets sont en anglais, avec quelques lignes de résumé seulement en français, j’ai tenté ma chance, et Grasset a accepté de m’envoyer l’ebook!! Je le commence ce soir. J’attends avec ipatience la fin de ma journée de travail. Comme je travaille à la maison (je suis traductrice et professeur en ligne), c’est tentant d’attraper la liseuse, mais bon je vais essayer d’être sage…

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