Charlotte : le roman mémoire de David Foenkinos

22819788La rentrée littéraire de septembre dernier a été pour le moins passionnante : un nombre démentiel de romans, des auteurs confirmés et des petits nouveaux, toutes les maisons d’édition sur le pied de guerre, mais surtout une grande variété de genres littéraires représentés. Et ça, ce n’est pas toujours le cas. En particulier, on a pu observer l’émergence d’une vague de roman/fiction avec le Oona & Salinger de Beigbeder et le Charlotte de David Foenkinos, deux auteurs très différents habités par des sujets intense. A la deuxième rentrée littéraire de janvier, on a encore pu voir la confirmation de cette tendance avec le James Dean livré par Besson. Alors, le roman-fiction est-il une passion française ? Fasciné par cette mouvance, je me suis fait offrir Charlotte pour Noël et j’ai enfin pu prendre le temps de le lire. Voici ce que je peux en dire.

Cela faisait longtemps que je voulais lire un livre de David Foenkinos. J’entends beaucoup parler de lui, de ses livres, et à force de le voir en interview, j’ai bien été obligée de conclure que cet homme a l’air charmant, et quand il parle de littérature, on pourrait l’écouter pendant des heures. Surtout, quand je l’ai écouté parler de Charlotte, j’ai été frappé par la force de conviction qu’il avait. Voilà un auteur qui avait vécu des années avec son sujet, et qui en parlait avec une énergie qu’on pourrait presque qualifier de passion amoureuse. Autant l’avouer tout de go : avant même d’ouvrir le livre, j’étais fascinée.

Pourtant, en essayant de résumer rapidement l’histoire de ce livre, ce serait difficile de bien lui rendre justice. Charlotte, c’est Charlotte Salomon, une artiste juive allemande morte pendant la seconde guerre mondiale. Dans cet ouvrage, David Foenkinos nous propose de suivre la vie de Charlotte, un peu comme une biographie, mais pas tout à fait non plus. Il veut partir des éléments factuels pour reconstituer la vie de Charlotte, avec tout ce que l’on ignore d’elle, tout ce que l’on devine, en imaginant pour ainsi dire quelle a été sa vie au jour le jour, des rues de Berlin au sud de la France. Pour suivre l’histoire, nul besoin de connaître la vie ou l’œuvre de Charlotte Salomon. Je suis entrée en parfaite candide dans ce livre car j’ignorais tout à fait qui elle était, et ça ne m’a pas empêché un seul instant de suivre facilement le déroulé de sa vie.

En commençant à lire ce livre, j’ai été frappé par deux choses : d’abord la forme de l’écriture et ensuite par la facilité avec laquelle je suis entrée dans la vie de Charlotte. Pour ce qui est de l’écriture, il faut vous prévenir qu’elle a une forme originale : une phrase par ligne seulement, ce qui donne à l’ensemble du texte une plasticité qui rappelle la forme poétique. Le texte est très aéré, très rythmé du fait des phrases courtes, et la narration s’autorise des tournures poétique, juste pour la beauté des mots. Ce qui pourrait être une forme contraignante semble au contraire être pour David Foenkinos un espace de libération de la parole. Il semble écrire de manière spontanée, avec même un plaisir jubilatoire. Par ailleurs, donner une forme au texte, c’est déjà faire l’effort de se caler sur son sujet car Charlotte était peindre. En prenant une forme, l’écriture de ce livre cherche une dimension esthétique, pas seulement pour être pertinente mais aussi pour être belle. Les architectes allemands du Bauhaus avaient une règle : la forme doit suivre la fonction. Et j’ai eu l’impression en lisant ce texte que c’était un peu la même démarche que David Foenkinos avait voulu suivre.

La seconde chose qui m’a marqué, c’est la facilité déconcertante avec la quelle on pénètre dans la vue de Charlotte. Une facilité certainement amené par la construction de l’écriture qui est très fluide. Toute la narration se fait donc dans un seul mouvement, et il est très difficile de lâcher le livre avant la fin. Je l’ai d’ailleurs lu en seulement deux soirs, avec une frénésie rare. Je ne savais rien de Charlotte au début, et arrivée à la fin du roman, j’avais l’impression que je l’avais toujours connue. David Foenkinos ne cherche pas à donner un récit très linéaire ; il s’autorise des digressions, notamment dans l’histoire familiale de Charlotte. Mais son tour de force, c’est de faire remonter à la surface le parcours émotionnel de Charlotte. Durant la lecture, ce n’est pas tant notre compréhension qui travaille à saisir Charlotte, c’est plutôt notre compassion. Car Charlotte est un être très touchant, que le lecteur a envie de protéger. Dès le début du livre, on sait qu’elle va finir par mourir dans un camp, et pourtant un se prête à espérer, on ne veut pas se résigner. Une belle preuve que le romancier a su mettre le lecteur dans son camp.

Parmi les critiques négatives que j’ai lues sur ce livre, deux arguments reviennent souvent : le fait que le livre soit creux et le fait que le personnage n’ait pas assez de charisme. Je pense qu’il faut être clair sur le projet d’écriture que porte ce livre. Il ne s’agit en aucun cas d’une biographie mais bien d’un roman. Si vous ne cherchez que des éléments historiques bruts, ce livre ne vous conviendra pas. De la même manière, si vous espérez y trouver une analyse sur la place des juifs dans l’Allemagne des années 30 et 40, ce n’est pas le livre qu’il vous faut. C’est un roman qui doit être lu comme tel. Et même si le texte joue avec la limite entre les deux (car le déroulé chronologique est exact), c’est bien une création littéraire dans le sens où on découvre une vie par le prisme de la fiction. La fiction sert à reconstruire virtuellement la vie de Charlotte étant donné que nous n’avons aucun témoignage complet sur elle, notamment sa vie en France.

Pour ce qui est du manque de charisme du personnage principal, je dirais que Charlotte n’est pas une héroïne, en tout cas pas celle du lecteur. Elle est le personnage principal de la narration, mais elle n’existe en tant qu’héroïne que dans les yeux de son auteur. David Foenkinos est habité par elle ; il l’écrit et la décrit avec un regard amoureux très touchant. Elle n’a pas eu une vie d’héroïne, donc il serait injuste d’attendre d’elle qu’elle ait un charisme plus élevé que la moyenne ou bien qu’elle accomplisse des actions héroïques. Elle est l’héroïne d’un projet d’écriture, mais pas de la lecture. Je ne sais pas si ce que j’écris est clair ou facilement compréhensif. Si vous avez déjà lu le livre, vous sentirez peut-être ce que j’essaye de faire passer comme idée.

Car l’une des choses les plus frappantes dans ce livre, c’est l’espace dans lequel l’auteur existe. David Foenkinos s’est laissé un peu de place. Il erre dans les pages comme un passeur, livrant au lecteur quelques anecdotes sur sa quête de Charlotte, les lieux où il est allé et les personnes qu’il a rencontrées. Il laisse voir ses sentiments pour Charlotte et pour son œuvre, et c’est presque autant son cheminement que nous suivons que celui de Charlotte. En cela, je dirais que Charlotte est un livre très personnel, et je comprendrais qu’il puisse ne pas plaire à tout le monde. Si vous ouvrez les pages, tout se joue dès le début : soit vous adhérez au projet de l’auteur et vous allez passer un moment formidable, soit vous n’adhérez pas et il n’y a pas la moindre chance que vous changiez d’avis en chemin. Il faut être prêt à faire le voyage en toute simplicité.

Pour résumer mon impression au sortir de cette lecture, je dirais que Charlotte est un livre assez ambitieux et qu’il remplit parfaitement son pari : faire revivre pour nous la peintre Charlotte Salomon. L’écriture offre un jeu de miroirs intéressant entre réel et fiction, mémoire et création artistique. David Foenkinos y livre une écriture très belle, emprunte d’une émotion sincère et touchante. Une réussite qui mérite amplement qu’on lui consacre quelques heures de lecture.

3 réflexions sur “Charlotte : le roman mémoire de David Foenkinos

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