Panorama de la littérature américaine en 10 livres, 2e partie

starbucks-livreAprès avoir passé le cap du XXe siècle dans la première partie de cet article, nous nous dirigeons à présent dans l’ère de la littérature américaine moderne. Et je vous avertis tout de suite que nous allons encore croiser de grands noms, avec entre autre un prix Nobel de littérature, un voyageur au long cours, un ermite légendaire… et tout de suite un détective privé au charme vintage.

1939 : Le Grand Sommeil de Raymond Chandler

C’est dans les pages de ce roman policier que Philip Marlowe, le célèbre détective privé, apparaît pour la première fois devant les yeux ébahis du lecteur. Un fait d’autant plus marquant quelques années plus tard, c’est sous les traits du remarquable Humphrey Bogart que le personnage fera son entrée par la grande porte du cinéma.

Depuis ce premier roman (qui fut suivi par plusieurs livres mettant en scène ce même personnage), Raymond Chandler a gagné ses galons de maître du roman policier américain. Il se détache complètement de l’héritage du roman policier anglais pour présenter à ses lecteurs un nouveau genre de personnages et d’atmosphères. Philip Marlowe n’est pas un type gentil, parfait ou lisse comme Hercule Poirot. Il a des côtés sombres, on ne connaît pas tout de son passé, et il ne respecte pas toujours la loi au pied de la lettre.

Surtout, ce personnage est plus humain, moins parfait. Il n’a pas de capacité intellectuelle particulière. Ce type un peu brisé par la vie se fie à son flair pour avancer dans ses enquêtes. Il n’a pas peur de se mêler au sordide. Il connaît les clubs louches, peut se fondre dans l’ombre et il fume trop de cigarettes. Autour de lui, la ville montre ses aspects les plus sombres. Et même la bonne société américaine (dépeinte dans ce premier roman) cache des secrets inavouables.

Autant d’éléments qui ont rapidement fait du héros de Chandler une figure remarquable. Depuis lui, les détectives privés sont légion. Mais demeure le style unique, brut et mélancolique de l’auteur qui vaut largement le détour. Ce livre est incontournable pour comprendre comment est née la tradition américaine du roman policier tel que nous le connaissant aujourd’hui.

1951 : L’attrape-cœurs de J.D. Salinger

Cet excellent roman raconte la fugue à New York d’un adolescent, Holden Caulfield, qui vient tout juste d’être expulsé de sa prestigieuse école privée. C’est bientôt Noël, mais notre héros solitaire ne va pas rentrer directement chez lui. Il ne veut pas faire face à ses parents, retrouver sa vie avec ses contraintes. En quelques jours, il s’évade et découvre le goût de la liberté dans les rues de New-York. Le rêve américain retrouve ici ses lettres de noblesse, quittant les horizons désertiques de la campagne du Midwest pour installer durablement le mythe de la ville qui ne dort jamais.

Ce roman a fait l’effet d’une bombe à sa sortie. D’abord par son écriture. Car comme Duras l’a fait en France, Sallinger a fait de la place dans la langue écrite pour une nouvelle forme de langage. Très directe, très inspirée du parler des jeunes de son époque, la langue de L’Attrape-coeur ne se soucie pas du style. Et c’est justement ce qui lui confère un style unique et irrésistible. Ce roman se dévore de bout en bout car le texte respire la fraîcheur, l’énergie et la jeunesse.

L’autre raison pour laquelle se roman a fait date, c’est son personnage. L’auteur a choisi de mettre en scène un adolescent un peu paumé, fils de bonne famille mais médiocre à l’école, rétif à la discipline, et la tête pleine de rêves. A l’image de la jeunesse américaine, Holden ne se passionne pas vraiment pour les projets d’avenir que ses parents ont tracé pour lui. Il voudrait vivre sa vie, et c’est le sujet de ce magnifique roman.

Le génie de Sallinger a été de construire une histoire délicate, drôle, touchante et pleine de vitalité, tout en dressant une critique acerbe de la société américaine, une société dans laquelle la réussite sociale est plus importante que l’épanouissement de l’individu. Le revers de l’american dream qui lancera tout une veine de romans mais aussi de films.

Ensuite bien sûr, le roman accédera au statut de mythe du fait que Sallinger refusera obstinément de publier autre chose, et fuira la société des hommes jusqu’à aller se terrer comme un ermite, seul dans une grande maison où il ne recevait aucune visite. Le mythe est en passe d’être fêlé car depuis le décès de Sallinger, ses héritiers ont trouvé plusieurs textes et comptent les faire publier prochainement.

1957 : Sur la route de Jack Kerouac

Le grand roman de la Beat Generation est bien sûr une lecture incontournable pour qui veut découvrir la littérature américaine. Kerouac est une légende, un vagabond romanesque qui ne s’attachait à aucun bien matériel et avait vécu sa part d’aventures. Car le lecteur qui se hasarde dans les pages de ce superbe roman ne doit pas penser avec naïveté que les aventures de ce texte relèvent de la pure invention. Bien au contraire, ce qui caractéristique Kerouac, c’est que ces récits ont toujours une grande dimension autobiographique, intime même et sont basés sur des choses qu’il a vécu lui-même.

Kerouac se situe dans une veine importante des écrivains américains : ceux qui sont attachés au territoire américain et qui en parlent. Comme dans l’histoire de la photographie américaine, on trouve dans la littérature américaine des artistes qui se sont d’abord préoccupés de leur pays. Fascinés qu’ils étaient par sa taille, sa richesse, sa diversité, son étrangeté, ils l’ont arpenté inlassablement pour le découvrir, se nourrir de lui et créer leur oeuvre.

Mais Kerouac est aussi un écrivain voyageur, et en cela il s’intègre dans l’héritage littéraire anglais. Tout comme Stevenson avant lui, il a rêvé de voyages puis à pris sa valise… et finalement il a écrit. Jack Kerouac est donc pour moi un carrefour entre plusieurs mondes : les lettres anglaises et les lettres américaines, mais aussi entre deux générations d’auteurs américains, les anciens et les modernes. Par la modernité de son style, il ouvre la voie, et par les thèmes qu’il traite, il honore un héritage porté par de fabuleux auteurs (comme Mark Twain, Steinbeck…).

J’ai eu la chance de lire ce roman assez jeune (19 ans) et il m’a fait une très forte impression. Je l’ai dévoré puis l’ai refermé en étant convaincue que c’était tout simplement le meilleure livre que j’avais lu de ma vie. Convaincue aussi que je n’en lirais jamais un meilleur. Dire que j’ai été si jeune ! Quand on y pense, c’est drôle de constater que nous mûrissons autant en tant que lecteur qu’en tant qu’individus. Pour autant, je dirais que c’est justement l’âge auquel il faut lire ce roman. Il est fait pour faire battre le coeur plus vite, pour étourdir, pour donner envie de liberté, d’aventure, d’une vie trépidante à cent à l’heure sur les routes. Plus tard, on en revient. On y repense en se disant que ce livre n’est pas le plus grand livre qui soit. Il reste tout de même un absolu. Ce livre ne peut pas être dompté, et c’est ce qui fait toute sa beauté, toute sa rareté. Ce qui lui confère une place unique, c’est qu’il nous donne à vivre une expérience d’une rare intensité. De génération en génération, il n’en finit pas de séduire les lecteurs. Sa jeunesse est le secret de son immortalité. Tant qu’il y aura de jeunes lecteurs pour le lire pour la première fois, il survivra à tout !

1958 : Rien n’est trop beau de Rona Jaffe

J’ai déjà eu l’occasion de vous parler de ce roman peu connu en France. Du reste, son auteure n’est pas tellement plus connue hélas ! J’ai voulu le mettre dans cette liste car je me suis rendue compte que ma liste ne comportait pas beaucoup de femmes. C’est vrai que, comme dans la littérature française, les noms masculins viennent en premier. Pourtant, les femmes de lettres américaines n’ont pas démérité face à leurs confrères. Loin de là !

La littérature américaine a ceci d’intéressant, qu’elle a rapidement parlé des femmes. Je vous l’ai dit dans la première partie de cet article : Nathaniel Howthorne dans son roman La Lettre écarlate parlait déjà du sort d’une femme, livrée au jugement de la société parce qu’elle n’avait pas respecté les règles morales. Après lui, les hommes ont un peu tardé à remettre ainsi les femmes sur le devant de la scène. Mais on trouve ça et là des lueurs d’espoirs. Si paradoxalement Margaret Mitchel n’a pas apporté grand chose aux héroïnes féminines avec son roman à succès, d’autres sont venues après elle pour réparer l’erreur.

C’est le cas de Rona Jaffe qui signe avec ce roman Rien n’est trop beau une excellente étude des femmes américaines de l’après-guerre. Ces femmes qui commencent à travailler, à avoir une carrière même pour certaines, sont presque aussi mal vues par la société qu’Esther, l’héroïne de La Lettre écarlate. Elles doivent avoir une moralité irréprochable pour avoir le droit d’exister. Et de toute manière, on attend d’abord d’elles qu’elles se marient et aient des enfants. Gare à celle qui sortirait de la ligne tracée !

Rona Jaffe offre un vrai portrait de femmes tirées de la vraie vie et de sa propre expérience en tant qu’employée de bureaux à New York. L’ensemble est enlevé, dynamique, moderne, mais dévoile aussi le drame tapis dans l’ombre. Un chef d’oeuvre à côté duquel il ne faut pas passer tant il est vrai que la cause des femmes au XXe siècle fut un grand thème littéraire outre-atlantique

1973 : Sula de Toni Morrison

Transition tout trouvée avec le précédent roman, j’ai souhaitée conclure mon tour d’horizon avec une femme d’exception. Elle est une femme, elle est noire, et elle a reçu le Prix Nobel de littérature. Rien de moins. Elle écrit depuis des décennies, et sa plume scrute toujours avec autant d’acuité la société américaine. C’est bien sûr Toni Morrison.

Dans Sula, elle parle des minorités. Mais pas d’une manière classique ; elle parle des femmes noires, ces femmes qui sont minoritaires à cause de la couleur de la peau et à cause de leur sexe. Ce texte superbe dresse deux portraits de femmes très différentes l’une de l’autre. Pourtant, malgré leurs différences, c’est leur statut qui les ramène au même point. Et avec elles, Toni Morrison met le doigt sur une Amérique pleine de contradictions, dans laquelle la religion et le rêve américain sont omniprésents, mais qui refuse la réussite et le bonheur à ceux qui sont différents de la race au pouvoir. Quelle place pour un individu qui n’est ni blanc ni de sexe masculin ?

Cette grande question est l’un des thèmes majeurs de l’oeuvre de Toni Morrison. Elle traverse ce roman et fait écho à beaucoup d’autres livres : les livres sur la ségrégation, les livres sur la lutte des femmes… Avec son style unique, Toni Morrison livre l’Amérique moderne dans sa plus pure vérité, et c’est ce qui fait d’elle (à mon avis) l’auteure le plus important des lettres américaines à l’heure actuelle.

Ce panorama de la littérature américaine se termine ici. Il reste tant de livres dont j’aurais voulu vous parler. Mais je ne peux pas tout livrer d’un coup, et e ne veux pas vous faire fuir ! Si vous avez un peu de curiosité, n’hésitez pas à plonger dans l’un de ces livres. Je les ai tous choisi car ils s’inscrivent dans une histoire, mais aussi parce qu’ils sont tous très abordables pour un lecteur pénétrant pour la première fois dans cette terra incognita.

Donc, bonne lecture à tous… et bon voyage !

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