L’organisation de ma bibliothèque est la grande quête de ma vie. Certains veulent composer la symphonie la plus parfaite, inventer un objet révolutionnaire, créer le vaccin qui sauvera des millions de vie… Moi je donne toute mon énergie et mon intelligence à cette cause sacrée entre toutes : classer mes livres à la perfection.
L’autre jour que j’étais absorbée à remettre un peu d’ordre à l’étage des romans policiers, je rangeais quelques volumes d’Agatha Christie et j’ai pris le temps de prendre un peu de recul. En voyant alignés devant moi les livres et leurs auteurs, je me suis prise à méditer sur les rapports entre ces livres et ma famille.
Les livres : l’inné
J’ai eu la chance (peut-être comme plusieurs d’entre vous) de naître dans un foyer où les livres étaient présents. Nous n’avions pas de chien, mais nous avions des livres. Les livres ont toujours fait partie de mon environnement immédiat à tel point qu’aujourd’hui je suis toujours un peu mal à l’aise d’être dans un endroit où il n’y a pas de livres. Une maison sans livres : il manque quelque chose. L’objet livre ne m’a jamais été étranger et sa présence était naturelle. Contrairement à ceux qui ont grandi sans livres, je n’ai jamais considéré que la place des livres était dans les bibliothèques publiques ou celles des écoles : il coexistent avec les vivants.
Avant même de savoir lire, je profitais des lectures qu’on me faisait. Mais dès que j’ai pu lire en autonomie, les premiers livres que j’ai lu ont été ceux qui avaient appartenu à ma mère. Les fantomettes sont ma madeleine de Proust. Lorsque j’ai passé mon Bac, j’étais tellement stressée que je les relisais le soir pour me calmer les nerfs ! Mes premiers livres n’ont pas été à moi : ils étaient en quelque sorte un héritage, une filiation. Ils ont été une béquille pour avancer dans la lecture au même titre que les petites roues qu’on met sur les vélos : ils sont sécurisants et permettent de se lancer tout seul.
Pour toutes ces raisons liées à mon expérience personnelle, je pense que le rapport au livre est inné, dans le sens où il est fortement déterminé par l’environnement dans lequel on a grandi quand on était petit. Même si cet élément ne peut pas servir à être déterminent (par exemple, mon frère ne lit pas malgré le fait qu’il a aussi été entouré de livres dans son enfance), il est fortement contributeur de l’appétit de lecture.
Les livres étaient aussi présents chez mes grand-parents et chez mon arrière grand-mère (dont je tiens la collection d’Agatha Christie). Du coup, une normalité s’est installée en moi : avoir une bibliothèque dans une maison est naturel. Par contre, l’inverse serait étrange. J’avais si bien intériorisé cette vérité que mon Walt Disney préféré était La Belle et la Bête… à cause de la scène où la Bête fait découvrir à Belle la superbe bibliothèque du château !
Grandir avec les livres
Au fur et à mesure qu’on devient grand et qu’on est attiré par la lecture, l’étape suivante est de se faire offrir des livres. Les premiers livres que j’ai eu en propre reste des trésors inestimables et ils ont d’ailleurs encore aujourd’hui leur place dans ma bibliothèque. Impossible de me séparer des romans de Lucy Maud Montgomery ! Même s’il est rare que je veuille les relire, je sais qu’ils sont là et ça me suffit.
Ces premiers livres qui m’ont appartenu ont marqué un tournant car c’est avec eux que l’esprit de collection a commencé. Je me rappelle que quand j’étais une petite fille, mes livres ne prenaient que deux étagères de ma chambre. Pour moi, c’était presque aussi beau que la bibliothèque de La Belle et la Bête. Je trouve que l’esprit de collection est vraiment une chose propre aux lecteurs. Vous aussi, vous aimez garder vos livres. Même s’ils prennent un peu de place et que vous ne les relisez pas souvent (jamais ?), vous n’envisagez pas de vous en séparer. En dressant l’inventaire des livres qu’on a déjà lu, on mesure le chemin parcouru et certains livres en viennent à prendre une dimension symbolique : ils nous rappellent qui nous étions à un instant précis de notre vie. Je me souviens que j’avais dix-neuf quand j’ai lu Sur la route et j’ai été vraiment emballée par ce livre. Je pensais (en toute sincérité) que c’était le meilleur livre que j’avais lu de ma vie, et que je n’en lirais jamais aucun autre de mieux ! J’étais jeune : une jeune fille et une jeune lectrice. Aujourd’hui, j’ai pris du recul sur ce livre ; j’ai fait le deuil de mon idéalisation. Mais je reste convaincue que mon enthousiasme naïf de l’époque était une bonne chose et je suis très heureuse d’avoir pu lire ce livre quand j’étais jeune.
Les livres en partage
Une fois qu’on a grandi, il se passe une chose étrange : on cesse de piocher dans la bibliothèque des autres, de dépendre de leur approvisionnement comme de leur goût, et on commence soi-même à se forger un corpus d’œuvres. Alors, le bizarre apparaît : les autres viennent emprunter vos livres. Je dis bizarre parce qu’au début que ma mère m’empruntait des livres, j’avais tendance à penser que ce n’était pas dans l’ordre des choses : les parents ne peuvent pas emprunter de livres à leurs enfants puisque ce sont les enfants qui leur empruntent des livres pour commencer. Mais cet énoncé est faux car dans la littérature, il n’y a pas de hiérarchie. Les livres ne fonctionnent pas selon une logique verticale mais horizontale : ils ne font que s’étendre, s’accroître. Et en tant que lecteurs, nous sommes sans arrêt poussés ou attirés vers des zones qui nous étaient étrangères, des terra incognita littéraires qui nous font découvrir de nouveaux auteurs, de nouveaux livres, de nouveaux genres… Ma mère par exemple a commencé à s’intéresser à la littérature anglo-saxonne parce qu’elle avait pioché plusieurs livres dans ma bibliothèque et que ces romans lui ont plut.
Je remarque même avec plaisir qu’avec le temps, les limites deviennent floues et des liens se tissent entre plusieurs bibliothèques. Les romans de Bernard Werber sont répartis entre la bibliothèque maternelle et la mienne. Ma mère et moi aimons toutes deux les romantiques français, mais elle a des livres de Victor Hugo tandis que je préfère les oeuvres de Musset. Pareil pour les livres de Gonzague Saint-Bris et J.K. Rowlling, qui sont disséminés dans l’une ou l’autre des bibliothèques, comme si les similitudes d’ADN pouvaient aussi se reproduire sur le support papier.
Pareil à un degré supérieur de l’arbre généalogique : je retrouve dans la bibliothèque de mes grand-parents les romans policiers que j’adore. Un socle commun voit le jour, à la fois parce que les individus que nous sommes partagent des points communs et parce que les lecteurs que nous sommes se ressemblent. J’en viens donc à penser que tout comme les ressemblances physiques, les similitudes des bibliothèques en disent long sur les rapports entre les personnes. Ce qui reviendrait à dire que la proximité émotionnelle pourrait être mesurée au nombre de livres/auteurs que deux individus ont en commun. Au fond, les livres sont une matière émotionnelle.
Passer le flambeau
Je regarde donc ma bibliothèque avec émotion. Comme un album photo, elle ramène des souvenirs liés aux gens, aux moments de vie… Je me souviens que dans un roman de Nick Hornby, le personnage principal est fan de musique, il a beaucoup de disques vinyles chez lui et est obsédé par les classements. A un moment donné, il décide de revoir entièrement son classement pour ordonner ses disques par ordre autobiographique. Cette méthode me semble excellente tant il est vrai que les livres sont chargés de bien plus de sens que la seule histoire qu’ils transportent.
Ils sont un passage entre les lecteurs, les êtres qui partagent une même passion, des liens de famille ou d’amitié illustrés par ces morceaux de papier aux couvertures colorées. Ils sont aussi (et surtout) un passage entre les générations. Les livres voyagent à travers le temps comme les être humains ne peuvent pas le faire. J’ai un livre qui a appartenu à un de mes arrière-grand-père que je n’ai pas connu. Une trace qui a subsisté sur un étage de ma bibliothèque.
Les bibliothèques privées passent de génération en génération, pour peu que les plus jeunes partagent un peu l’affection de leurs aînés pour les livres. Enrichissant à leur tour la bibliothèques d’oeuvres nouvelles, les livres deviennent alors un nouvel arbre généalogique. Ils sont un patrimoine familial en même temps qu’une émotion transmise avec le temps.
Ma conclusion personnelle serait donc qu’il est impossible de trouver le classement parfait. Car comment ordonner par la rationalité des objets chargés d’émotion ?
Moi aussi mon walt disney prefere etait la belle et la bete parce que je me sentais proche aussi de belle et j’essayais de lire dans la rue en revenant de la bibliotheque ;-).
Tout comme toi, j’aime regarder egalement mes livres. Ca me rassure. Je ne sais pas pourquoi mais il y a quelque chose de reconfortant et comme une satisfaction aussi de se lire « j’ai lu tout ca ».
J’aime beaucoup ton article et me retrouve dedans. Ta reflexion est interessante effectivement. Pourquoi vouloir classer une bibliotheque? J’imagine qu’il y a toujours une sorte de groupement du moins par auteurs (dans la mienne en tout cas). J’adore voir ma collection de Daphne du Maurier et la voir s’agandir chaque fois que je trouve un autre livre d’elle.
Et pour tes livres que tu aimes tant, est-ce que tu les garde tous ou est-ce que tu te separe de certains?
As-tu plusieurs bibliotheques?
J’aimeJ’aime
merci. ça fait plaisir de voir que je ne suis pas toute seule à être comme ça ! j’avoue que je garde (presque) tous mes livres. Pour l’instant je n’ai qu’une seule bibliothèque (très grande) mais ça commence à être juste en terme de place. Mon rêve serait d’avoir une pièce entière pour mes livres ! Et toi, comment tu t’en sors pour le rangement ? une étagère spéciale Daphne Du Maurier (au passage j’aime beaucoup Rebecca, c’est un pur chef d’oeuvre)?
J’aimeJ’aime
😉 oui je pense qu’on est beaucoup sur la bloggosphere a adorer regarder nos livres. Je ne les garde pas tous. Avant si mais maintenant vis a vis de la place et du fait qu’il y a des livres que je n’ai franchement pas aime ou que je sais que je ne relirais jamais je les donne en charity shop. Ici ca marche beaucoup comme ca. Il y a des livres que peut etre que je ne relirais pas mais je les ai aime et je les garde. Sinon depuis peu j’ai un Kindle et j’avoue que j’etais contre au debut mais pour les paves c’est quand meme tres pratique. Je n’ai pas d’etagere speciale du Maurier mais ils sont groupes ensemble a hauteur du regard a l’avant de mon etagere (parce que j’ai du faire des doubles rangees) et la collection grandit alors peut etre un jour elle remplira une etagere!Oui Rebecca est mon prefere de l’auteur j’ai adore. Et oui ca serait super une piece remplie de livres! Un jour cette piece viendra (sur un air d' »un jour mon prince viendra » la belle au bois dormant hihi).
J’aimeJ’aime
Donner les livres est une super idée ; en plus, ça permet de les faire circuler ! J’ai déménagé l’année dernière, et j’ai donné quelques livres à une bibliothèque : ils étaient bien contents de les récupérer vu que leur budget ne leur permet pas de tout acheter. Donc, ils comptent beaucoup sur les dons.
PS : moi aussi j’ai été obligée de faire des double rangées ! problème de place !
J’aimeJ’aime