C’est aujourd’hui le 26 février, et nous célébrons donc l’anniversaire de Victor Hugo, immortel parmi les immortels de la Langue Française. Né le 26 février 1802, il aurait aujourd’hui l’âge ô combien vénérable de 211 ans. Un bon chiffre, surtout si l’on considère tous les événements historiques et les drames personnels auxquels cette force de la nature a dû survivre.
Mais la raison principale, au-delà des qualités littéraires indiscutables, pour laquelle je vous parle de l’anniversaire de Victor Hugo, c’est que je déteste Victor Hugo. Ironique, n’est-ce pas ? Soyons clairs, je ne le déteste pas vraiment, mais je n’apprécie pas toute son oeuvre : trop grande, trop impressionnante, imposante. Depuis le collège, on m’a appris à vénérer Victor Hugo plutôt qu’à comprendre son écriture. Quand vous êtes élève, et même ensuite à la fac, on ne vous demande pas ce que vous pensez de Victor Hugo : vous n’avez que le droit de l’admirer respectueusement, de loin. Et il reste toujours un peu insaisissable, dans sa bulle de gloire. Même si j’aime bien Les Misérables, j’ai détesté Les Feuilles d’Automne, sans compter que le personnage de ce grand auteur à la barbe blanche pleine de sagesse n’a pas toujours été irréprochable.
Mais un autre paramètre est à prendre en compte : c’est l’auteur préféré de ma mère. Donc Victor Hugo a toujours été dans les parages. Il était là, dès ma plus tendre enfance, tapis dans la vitrine de la bibliothèque familiale, avec tous ses livres en renfort. Il m’épiait, moi qui préférais Musset. Il avait même trouvé un soutien de taille en la personne d’Alain Decaux, le plus passionné et passionnant de tous nos historiens. Mais il y a une anecdote qui m’a toujours plût, et c’est celle de son anniversaire.
Les parisiens le savent, l’une des douze avenues qui part de la place de l’Étoile s’appelle l’avenue Victor Hugo. Et ce pour une bonne raison : Victor Hugo a habité là ! Bien que la maison ait été détruite et remplacée par un immeuble haussmanien, on peut encore aujourd’hui admirer la plaque qui célèbre l’ancienne habitation de l’auteur.
Notre anecdote commence l’année des 80 ans de Victor Hugo. Un commité s’est composé pour mettre en place les festivités liées à l’anniversaire, car chacun veut participer à cet évènement que l’on devine déjà historique. Deux poteaux sont érigés à l’entrée de l’avenue d’Eylau, reliés par une banderolle au nom de l’auteur. On fait venir un train entier de fleurs depuis Nice, pour être certain d’avoir assez de fleur.
Dans les journeaux, des appels sont lancés pour donner rendez-vous aux parisiens. Cette année-là, le 26 février tombe un samedi. Pas de chance, d’autant qu’à l’époque le samedi n’est pas un jour chaumé. On décide donc de décaler les festivités au lendemain dimanche. Et les petits parisiens garderont longtemps un souvenir ému du grand homme, car grâce à cet anniversaire, leurs punitions sont levées !
Le 27 février, le cortège part de la Place de l’Étoile. En tête, 50 000 enfants défilent. Ils sont suivis par une foule impressionnante, telle que Paris en a rarement vu. Tous ces gens défilent le long de l’avenue (1 825 mètres quand même !) pour venir témoigner leur attachement au plus grand auteur que la France ait connu depuis Molière. Au total, la préfecture de Paris enregistrera un peu plus de 600 000 manifestants !
La foule passe sous les fenêtres de l’auteur. Il se tient dressé sur son balcon, encadré par ses deux petits enfants. Dans un coin de la pièce, derrière lui, Juliette Drouet admire la scène. Et pour que la célébration soit complète, le Président du Conseil se déplace en personne pour venir offrir une céramique de Sèvres frappée de l’écu royal, un privilège habituellement réservé aux chefs d’état.
Quelques mois plus tard, en juillet, la mairie de Paris clôture les célébrations en faisant une chose qu’elle n’a jamais faite, et qu’elle ne refera plus jamais : elle nomme du vivant de Victor Hugo une rue à son nom. Et pas n’importe quelle rue : l’avenue d’Eylau n’est plus, vive l’avenue Victor Hugo !
Désormais, les amis de l’auteur pourront lui faire parvenir son courrier à l’adresse suivant : « A monsieur Victor Hugo, En son avenue à Paris ». La classe absolue, tout simplement.
Mis à part le plaisir de l’anecdote savoureuse (que je raconte hélàs beaucoup moins bien qu’Alain Decaux dans sa biographie), j’aime cette histoire car elle nous rappelle une époque où les auteurs avaient droit de cité. Où ils prenaient par la force de leur plume une place à part dans la société. Peu d’auteurs se sont autant impliqués que Victor Hugo en politique. Mais il avait des choses à dire, à faire entendre. Passons sur ses convictions politiques, et rappelons quand même certains de ses combats les plus emblématiques. Humaniste éclairé, il était contre la peine de mort et a écrit certains des meilleurs plaidoyers écrits contre le sujet.
Homme moderne, il avait décelé l’importance d’une union entre les peuples. Lui qui voulait voir exister des « Etats-Unis d’Europe » croyait fermement que l’entente économique apporterait une paix durable. Autant de sujets qui furent, pour les siècles à venir, des enjeux majeurs et le combat d’autres hommes éclairés.
En pensant à ce 26 février, je pense aussi avec émotion au fait que la littérature était assez populaire pour que tout un chacun ait envie de témoigner son estime et son affection à un auteur. A l’heure où nos auteurs français semblent noyés dans leur propre snobisme et où leur écriture transpire la condescendance à l’encontre du grand public, on est tout de même en droit de céder à la nostalgie.
Je n’aime pas tomber dans le passéisme, surtout que je l’ai déjà dit, Victor Hugo n’emporte pas ma préférence. Mais j’aime me dire qu’il fut un temps où les livres occupaient une place à part dans la vie et le coeur des gens, pas seulement des bibliophiles. Heureusement, je me dis aussi qu’il existe encore de l’espoir. En transmettant notre passion, nous pourrons encore faire vivre les fabuleux mondes de papier. Et la saga Harry Potter a bien montré, avec ces centaines de jeunes lecteurs faisant la queue à minuit devant les librairies, que la flamme peut toujours être ranimée, pourvu qu’un bon livre se présente à l’horizon.
Continuons donc de scruter l’avenir de la littérature française. Et en attendant, je vous propose de célébrer en cette journée l’anniversaire d’un homme immortel qui n’en finit pas de hanter avec tendresse nos paisibles bibliothèques.
Une réflexion sur “Joyeux anniversaire Victor Hugo !”