Le Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir

deuxiemeEn ce début d’année, je voudrais prendre le temps de vous parler d’une lecture que j’ai faite il y a déjà quelques années : les deux tomes du Deuxième Sexe, écrits par Simone de Beauvoir. Et tout de suite bien sûr, il y a une évidence, une phrase qui a fait le tour du monde mais qui résume parfaitement ces livres : « On ne naît pas femme, on le devient. »

J’avais pris par curiosité le premier tome dans une petite librairie du quinzième arrondissement de Paris qui a été mon repaire pendant deux ans. Il y avait toujours quelque chose d’intéressant à découvrir en tête de gondole, preuve que les vrais libraires savent réinventer au quotidien la passion de leurs lecteurs. J’avais déjà entendu parler des livres de Simone de Beauvoir, mais je ne les avais jamais lus. Et bien sûr, ce n’est pas le genre de choses qu’on vous fait lire à l’école.

J’étais déjà à l’université, je ne faisais pas partie des féministes, et à vrai dire je n’avais pas véritablement conscience de ma situation de femme livre et ayant le droit de vote. Pour moi c’était des évidences plus que des acquis. A l’inverse des générations qui m’ont précédé, je n’ai jamais eu à me battre pour quoi que ce soit. Pour autant, étais-je vraiment l’égale des hommes ?

J’étais en quelque sorte un terrain vierge quand j’ai plongé dans ces pages. Je ne savais pas grand-chose sur le féminisme, mais j’étais curieuse de voir et d’apprendre. Je n’ai pas été déçue du voyage. Et si je vous parle de ces livres, c’est vraiment parce qu’ils ont changé ma vie.

Simone de Beauvoir était une femme brillante, c’est un fait qui ne peut pas être remis en cause. Et ce qui est peut-être sa plus grande force, c’est qu’elle ne tombe pas pour autant dans le snobisme élitiste. Elle ne reste pas dans un champ de connaissance particulier, mais elle essaye au contraire de s’étendre le plus largement possible pour donner à voir la réalité dans toute sa globalité. Elle se risque dans d’autres domaines, fait des comparaisons qui interpellent (comme par exemple son parallèle entre l’esclavage imposé aux femmes et la condition des noirs aux États-Unis). Elle cherche avant tout à être pertinente, et ne sombre jamais dans la haine des hommes ou la rage revancharde. Car il ne s’agit pas dans ces livres de prendre une revanche sur l’histoire, mais plutôt de rétablir la vérité.

En cela, le premier tome est particulièrement éclairant. Simone de Beauvoir remonte jusqu’aux temps de la préhistoire pour comprendre comment, dès les débuts de l’humanité, un écart s’est creusé entre les genres, entre les fonctions attribuées aux femmes et aux hommes. Bien sûr, elle parle du déterminisme sexuelle dû aux fonctions reproductives, mais elle s’intéresse aussi aux fondements de la société patriarcale.

Ce thème va être récurrent tout au long du livre (et du deuxième tome). Elle explique au fil des pages comment les hommes vont donner une valeur aux femmes, s’en servir comme monnaie d’échange sociale, et comment ils vont instituer des rites pour renforcer encore cette position. Cette posture va entraîner de nombreuses hypocrisies : on prétend que la femme doit toujours demeurer respectable et on lui dicte un code de conduite, tandis que dans le même temps on a recourt à la prostitution au détriment du respect de la femme.

Mais l’ambivalence ne s’arrête pas là. L’auteure explique très bien comment les femmes sont les premières elles-mêmes à reproduire ce schéma social : elles encouragent les fils à conquérir le monde tout en apprenant aux filles à se soumettre et à obéir, les enfermant dans le cadre de la cellule familiale, faisant tout pour leur apprendre à renoncer à toute comparaison. Simone de Beauvoir montre bien que, particulièrement à son époque, le pire ennemi des femmes, ce sont les autres femmes. Celles qui considèrent qu’on ne doit pas changer l’ordre établi et qui voient d’un œil plus mauvais encore que leurs maris les courants féministes.

Mais de ce point de vue aussi, Simone de Beauvoir ne fait jamais preuve de rancœur. Elle n’évoque pas vraiment sa propre condition, son propre passé. L’ouvrage est personnel car elle est une femme et qu’elle se sent impliquée par le sujet, comme un devoir d’écrire pour aider les autres femmes à prendre conscience du monde dans lequel elles vivent et de l’histoire qui est la leur. Il n’est pas personnel dans le sens ou elle règle ses comptes avec le monde des hommes.beauvoir

Les deux tomes du Deuxième Sexe font beaucoup de pages, c’est indéniable. Mais je vous conseille ardemment de lire ces pavés. Que vous soyez femme ou homme, c’est un révélateur du monde dans lequel on vit. Ces livres sont très éclairants et ils donnent à réfléchir par nous-mêmes. Comment nous situons-nous dans le monde ? Quel est notre engagement ? Quelle opinion avons-nous sur ces sujets de société qui nous concerne à juste titre ? J’ai déjà entendu des commentaires disant que ces livres étaient obsolètes. C’est faux. Les gens qui disent cela n’ont pas conscience du monde dans lequel nous vivons.

Et c’est peut-être la vérité la plus grave de ces livres : beaucoup de sujets soulevés par Simone de Beauvoir sont toujours d’actualités. Les choses n’ont pas tant changées que ça. Pire : les quelques acquis sont encore bien fragiles. Que l’on songe aux coupes budgétaires que les différents gouvernements font subir au planning familial. Que l’on songe aux statistiques des violences faites aux femmes. Que l’on songe aux différences salariales, à niveau d’études égale, entre les hommes et les femmes dans le privé. Que l’on songe aux conséquences souvent dramatiques d’un congé maternité dans la vie professionnelle d’une femme. Autant d’argument pour s’en convaincre… à condition de regarder la réalité en face. Le droit de vote ne suffit pas pour se convaincre que nous sommes tous égaux.

Un détail auquel je repense, et qui peut sembler anecdotique. C’est en lisant le livre que j’ai vraiment réalisé que mes grand-mères étaient nées sans avoir le droit de vote. Elles ne l’ont eu qu’une fois devenues de jeunes adultes. Et mes arrière grand-mères, qui n’ont pour certaines connu ce droit que très brièvement, n’ont peut-être jamais voté. Aussi dérisoire que ça puisse paraître, c’est cet élément qui m’a vraiment fait prendre conscience qu’en tant que « citoyenne » (versus « citoyen »), je n’avais pas la même histoire que les hommes. D’une certaine façon, je n’appartiens pas à la même race. Mon existence n’est pas déterminée par les mêmes critères. Et il faudra bien plus qu’une simple journée de la femme une fois par an pour faire changer les choses.

Ces deux livres m’ont profondément changé ; ils ont changé mon rapport au monde et m’ont donné des convictions. Je sais que tout le monde n’est pas prêt à les entendre. La plupart des gens ont un regard blasé sur le féminisme : de quoi vous plaignez-vous ? Vous avez le droit de vote ? Vous avez les mêmes droits que les hommes ? Vous avez le droit de faire des études ? A les entendre, nous devrions être satisfaites des miettes qu’on nous jette avec complaisance. Sans tomber dans un féminisme forcené, je voudrais quand même dire : non ça ne me convient pas et c’est insuffisant. Pour autant, je ne réclame pas de discrimination positive. Mais le changement ne viendra que parce que plus de femmes s’investiront dans leur propre cause. En prenant conscience des inégalités que le système leur fait subir et en ne l’acceptant pas.

En guise de conclusion, je voudrais rappeler une chose : lorsque Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir ont passé leur agrégation de philosophie, c’est Sartre qui a obtenu la première place alors que c’est Beauvoir qui avait eu les meilleures notes. La raison ? A l’époque la Sorbonne ne donnait pas la première place à une fille. Ça fait réfléchir, non ? C’était en 1929, mais avons-nous beaucoup avancé depuis ? Ces deux livres ont provoqué un tollé à leur parution, ce que l’on comprend aisément. Mais encore aujourd’hui, ils restent  d’actualité, ce qui est peut-être encore plus révoltant.

Tout ça pour dire que ces livres valent vraiment le détour. Je ne vais pas tomber dans la moralisation en vous disant que vous DEVEZ les lire. Mais si j’ai réussi à éveiller votre curiosité, je serais déjà très contente.

J’attends vos avis de lecture !

4 réflexions sur “Le Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir

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