Batman, Requiem vs Renaissance : 3e partie

Deux acteurs derrière un masque

Évidemment, il ne peut y avoir d’illusion sans un illusionniste. En choisissant Michael Keaton pour incarner son Batman, Tim Burton a tourné le dos aux grands studios tout en réussissant l’exploit de se mettre tous les fans de la franchise à dos. Replaçons les choses dans leur contexte : à cette époque, les acteurs montants ne manquent pas (comme Tom Cruise, un temps pressenti) tandis que Keaton n’est qu’un acteur comique dont le plus haut fait d’arme est Bettlejuice. Pas vraiment ce dont rêvent les fans pour leur héros.

Et pourtant, dès la première projection, Keaton est adoubé par toutes les communautés de fans au monde. Il devient la référence unique et incontestée. Avant lui, il n’y a rien eu (à peine se souvient-on d’Adam West). Après lui… On verra plus tard. Michael Keaton livre une performance tellement parfaite qu’il réussit le tour de force d’être tout autant crédible en Bruce Wayne qu’en Batman. Car les deux facettes sont importantes. Il révèle l’humain derrière l’animal ; la peur qui se cache derrière la rage. Et la moindre faille du héro est offerte à la sensibilité du spectateur. Car Bruce Wayne n’est pas un type normal. Et peut-être qu’au fond, c’est Batman qui offre la personnalité la plus équilibrée ?

Michael Keaton offre une prestation moderne, dans laquelle la psychologie intervient pour légitimer l’existence du héros (une nouveauté dans un film de ce genre). Son gabarit léger se calque à merveille sur la frêle silhouette d’une chauve-souris. Il porte un masque pour devenir intimidant car il n’est pas imposant au naturel. Il a besoin aussi de se protéger de ses propres démons. L’anthropomorphisme fonctionne à l’envers. Il suffit de se rappeler de la scène où Vicky Vale le surprend en pleine nuit pour s’en convaincre : il se balance la tête à l’envers, comme une vraie chauve-souris.

Sa profonde mélancolie permet de couper définitivement les ponts avec les autres superhéros en imposant une lecture plus complexe et plus ambiguë du personnage. Monstre parmi les monstres, il se dresse habillé de ténèbres pour affronter des ennemis aux couleurs toujours plus vives, comme des animaux venimeux.

Cette interprétation fait date à Hollywood. Pour la première fois, on peut prendre un superhéros au sérieux. Et si les incarnations suivantes n’arrivent pas à la hauteur de Michael Keaton, au moins la graine est plantée. Et elle va mettre vingt ans à germer. Entre temps, d’autres acteurs incarnant d’autres superhéros n’hésiteront pas à s’engouffrer dans la brèche pour atteindre une nouvelle dimension héroïque sur grand écran.

Avec les frères Nolan, une nouvelle ère s’ouvre. Et une nouvelle génération d’acteur prend les commandes. Sous les traits de Christian Bale, Batman trouve une deuxième jeunesse. L’acteur caméléon n’a pas peur des défis. Il va en avoir deux à relever : Batman côté pile, et Bruce Wayne côté face.

D’emblée, Christian Bale se pose en héritier de Michael Keaton, et il reprend le travail là où son aîné l’avait laissé. La lassitude de Bruce Wayne, son côté mysanthrope, mais surtout sa culpabilité remontent une fois de plus à la surface. Le sens de la justice, le rôle de la peur et la théâtralité propres à Batman ne sont pas non plus oubliés. Avec une nouveauté en bonus : la voix de Batman change et se fait plus impressionnante, plus grave (dans les deux sens du terme), moins humaine. Cet effet de mise en scène accentue encore plus la dichotomie entre les deux visages. La bête est lâchée.

Soulignons que Christian Bale fait tout de même quelques concessions au contexte cinématographique. Les films de super-héros se sont largement répandus, déchargeant sur nos écrans des flots d’hommes aux musculatures impressionnantes. La frêle chauve-souris va donc prendre du volume et boxer dans la catégorie poids lourds. Christian Bale prend du muscle, et les cascades et scènes d’actions deviennent plus réalistes. Batman ne peut pas prendre le risque d’être ringard. D’un autre côté, je trouve qu’on perd un peu de sa différence.

Le réalisme narratif prend le pas sur l’esthétique façon comics. Michael Keaton s’était rendu crédible en ne  se lançant pas dans un concours d’athlètes avec les autres héros. Il marquait la singularité de son personnage par l’extrême normalité de son corps. Cette banalité (cette humilité même) lui permettait de mieux ancrer Bruce Wayne dans la société ordinaire des hommes, tout en légitimant son besoin de se déguiser pour pouvoir faire peur. Christian Bale, au contraire, écorche le corps de Bruce Wayne avec des muscles et des marques. Les frères Nolan nous donnent à voir les cicatrices d’un corps qui ne s’appartient plus à lui-même, qui est tout entier tendu vers l’effort et la souffrance. Nous observons un corps supplicié et le sacrifice qui était autrefois psychologique devient aujourd’hui une dimension esthétique à part entière. Un choix qui peut se légitimer, même s’il s’éloigne de ma vision personnelle du personnage.

De toute manière l’honneur est sauf car Bruce Wayne est impeccablement incarné. Toujours hanté par ses démons, il se bat pour être sans cesse à la hauteur de la tâche qu’il s’est imposé. Et la relation plus profonde qui le lie à Alfred, son maître d’hôtel (figure davantage paternaliste chez les frères Nolan que chez Burton), permet d’exploiter encore mieux sa détresse émotionnelle.

A suivre : Bêtes de foire, gangsters et autres monstres

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