L’Amant : mon horoscope littéraire

A la suite de la parution de mon article sur Dune, un lecteur m’a fait part dans son commentaire d’un drôle de fait : il est justement né l’année de la parution de Dune. C’est un hasard que je trouve formidable. Moi-même j’entretiens une relation un peu bizarre avec mon année de naissance. J’adore mon année de naissance. Peut-être que la majorité des personnes saines d’esprit s’en moquent, mais pas moi. Aussi ridicule que ça puisse paraître, je tire une grande fierté d’être née une année hautement littéraire. Car 1984 ne fut pas seulement l’année Orwell. C’est aussi cette année-là que Marguerite Duras a remporté le Prix Goncourt pour L’Amant. Et pour moi qui suis habitée d’une grande ferveur littéraire, voilà un signe bien plus intéressant que tous les horoscopes !

Je suis donc née en 1984. Le titre du roman de George Orwell. L’année de L’Amant. L’année où Prince a sorti Purple Rain et où Niki Lauda a remporté pour la dernière fois de sa carrière le championnat du monde des pilotes de F1. Et même si je ne crois pas que l’alignement des astres influe sur la personnalité des gens, il y a dans cette liste des hasards troublants. Non, je ne suis pas pilote de formule 1 à mes heures perdues, rassurez-vous ! En revanche, ma relation à la littérature a quelque chose d’une évidence. Depuis aussi loin que je me souvienne, la lecture a été un besoin viscéral chez moi. Et je ne sais pas vraiment d’où ça vient. Et si le Prix Goncourt de mon année de naissance avait tout déterminé ? Bien sûr, la réponse est non. Mais la partie irrationnelle de mon cerveau, celle qui préfèrerait vivre dans une fiction si c’était possible, me pousse à cultiver une part de fascination pour ce détail à cheval entre la réalité historique et l’autobiographie.

1984 : Marguerite Duras remporte le Prix Goncourt

Quand Marguerite Duras a gagné ce prix pour L’Amant, on ne peut pas dire qu’elle a été soulevée par une foule en délire. Cette année-là, le Prix Goncourt à fait l’objet de débats enflammés. Le livre était jugé vulgaire. Il parlait de sexe. Pire : la romancière parlait de sa propre expérience sexuelle. C’était choquant. C’était subversif. Il faut préciser que l’aspect le plus subversif du roman, c’est tout simplement qu’une femme prend la plume pour parler avec pertinence de la sexualité féminine. Qu’elle ose présenter la femme comme le sujet du désir, et non plus comme un objet tout juste bon à susciter le désir dans le regard des hommes.

Comme il arrive souvent, la polémique a assuré une bonne visibilité au livre, qui a fini par conquérir un petit public. Certes Marguerite Duras n’a jamais fait l’unanimité. Mais est-ce vraiment important ? Des années plus tard, quand j’ai enfin été assez grande pour lire ce livre, il n’était déjà plus question de polémique. J’étais juste une lectrice face à un livre. Et j’ai reçu cette histoire sans contexte, avec le ressenti spontané de ma lecture.

Pourquoi suis-je obsédée par ce livre ?

J’ai lu et relu L’Amant plusieurs fois. Ce n’est qu’à l’université (période pendant laquelle je n’ai eu AUCUN enseignement sur les romancières françaises du XXe siècle !) que je me suis rendue compte de ce curieux hasard : je suis née l’année où L’Amant est paru et où il a remporté le Prix Goncourt. Objectivement, 99,99% des lecteurs seraient passés à côté. Pour moi, cette information a fait l’effet d’un déclic. Y aurait-il une relation un peu magique entre les gens et les livres ? Sommes-nous destinés les uns aux autres ? J’aime ce livre. Je suis obsédé par lui. L’écriture de Marguerite Duras est une des choses qui m’émerveille le plus au monde. Pour quelle raison ?

Ma conclusion va peut-être vous surprendre, mais je pense effectivement que certains livres sont incontournables dans nos vies de lectrices et de lecteurs. Pas tant parce que le destin s’en mêle, mais tout simplement à cause de la chronologie. Nous n’avons pas toujours pleinement conscience, mais les livres et nous, nous évoluons en fait dans le même espace temporel. Comme les êtres humains, les livres ont « une vie ». Ils naissent, ils vivent puis ils meurent. Leur mort est plus un oubli qu’une mort véritable, mais vous avez saisi l’idée. Les effets de mode dans la culture en général et dans la littérature en particulier font coïncider nos vies humaines avec les vies de papier. Les gens qui étaient des enfants d’une dizaine d’année lorsque les romans de Harry Potter sont parus comprennent de quoi je parle. Il y a quelque chose de galvanisant à se sentir faire partie de cet élan plus grand que soi, qui nous englobe et rompt temporairement notre isolement. Nous ne sommes plus un ; nous sommes un parmi d’autres. Et ce sentiment d’appartenance est vraiment magique. Quand la littérature parvient à susciter ça, elle est à son meilleur.

Puisque je suis née l’année de la parution de L’Amant, je n’appartiens pas à la première génération de lecteurs. Encore aujourd’hui, c’est difficile d’expliquer pourquoi et comment ce livre le touche. J’ai le sentiment d’être une gardienne, une passeuse, de le porter un peu en moi pour l’aider à poursuivre son chemin. Et lui aussi, il me porte. En attisant ma passion pour la lecture, il a ouvert une porte dans ma vie. Et cette porte ouverte a laissé entrer tous les autres livres qui sont venus depuis. Je ne me résume pas à ce livre, mais ce livre résume beaucoup de choses de moi.

Et vous : est-ce qu’il y a un livre de votre année de naissance qui vous est particulièrement cher ? D’ailleurs, savez-vous quels sont les livres qui sont sortis l’année de votre naissance ?

5 réflexions sur “L’Amant : mon horoscope littéraire

  1. Angélique dit :

    Bonjour, encore un article passionnant.
    Je suis née en mai 1968 alors ce ne sont pas les sorties littéraires qui m’ont marquée.
    Pourtant, je lis depuis que j’ai 4 ans. J’ai appris toute seule et ma grand mère s’est toujours demandée d’où venait cette passion de fouiner dans les vieux cartons de livres. Mais ma grand mère avait cependant conserver ces livres dont « la fée des grèves » dans une superbe édition illustrée.
    Alors bien sûr, quand on parle de l’année 68, on parle de révolution, de la Sorbonne, des pavés dans la g** des flics et de ce qui en est ressorti. C’est une année marquée dans l’histoire, une référence souvent.
    Je suis effectivement un électron libre et je me suis toujours donnée les moyens de le rester.
    Alors, influencée ?
    Oui, parce que j’entends les aventures du tout un chacun dès que je donne ma date de naissance 😉
    J’en suis finalement assez fière d’ailleurs. En te lisant, j’ai envie de regarder la littérature de cette année là 😁.
    Mais mon livre fétiche reste WILD. Elle est née aussi en 1968 me semble-t-il mais c’est surtout le courage de cette femme sur les crêtes du Pacifique à une époque où le téléphone portable n’existait pas (ni rien pour communiquer).
    Autre récit très marquant, TRACKS. En Australie, une femme va traverser seule le désert avec des chameaux. Elle est sensible à la cause aborigène.
    Je te laisse découvrir si ça te dit.
    Suis-je féministe ? Je ne crois pas. Je suis d’origine Celte et dans ma famille, hommes et femmes sont complémentaires. J’avoue que le féminisme ne me parle pas, encore aujourd’hui.
    Je vis dans un secteur reculé où les femmes s’occupent des enfants et de la cuisine. Je ne suis pas originaire de cet endroit et pourtant, j’ai continué à vivre et travailler comme je l’ai toujours fait. Je suis respectée pour ça. Alors effectivement je suis la seule femme qui va ramasser les patates, la seule femme qui va aider à traire les vaches (à la main quand il y a des coupures), la seule femme qui travaille seule dans les bois isolés et d’ailleurs la seule femme qui a réussi à apprivoiser les chevaux sauvages….et ça les impressionne alors que ce n’était pas le but recherché.
    Je tire à l’arc beaucoup mieux que les chasseurs avec leurs fusils et je suis la seule végétarienne au pays du cochon.
    Bref. Suis-je marquée par mon année de naissance ?
    Bonne question 😉
    Je te souhaite une excellente journée et merci pour ces quelques minutes de réflexion.
    A bientôt 😘

    Aimé par 1 personne

    • Alivreouvert dit :

      Merci à toi pour ton témoignage tellement intéressant. L’année 1968 fut une année tellement riche d’événements que forcément elle nourrit l’imaginaire. Mais comme tu l’expliques si bien, ce qui importe le plus au fond c’est de se construire soi-même, suivre son chemin sans forcément chercher un sens caché à tout ça.

      Aimé par 2 personnes

    • Alivreouvert dit :

      Aucun problème ! L’écriture de Duras est très particulière, et tout le monde n’adhère pas. Après je dois avouer que j’adore L’Amant, par contre je n’ai pas apprécié L’Amant de la Chine du nord, le roman qu’elle a écrit après la sortie du film adapté du premier livre. Je l’ai trouvé moins spontané, trop « écrit » et moins personnel d’une certaine manière. Comme quoi, le rapport au texte est vraiment très personnel.

      Aimé par 1 personne

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