Lecture et procrastination

Il y a environ une semaine, j’ai entamé la lecture d’un livre. Rien de nouveau, me direz-vous. C’est un thriller. J’avais hâte de le lire vu que c’est le dernier tome d’une série dont j’ai adoré les précédents volumes. Malheureusement, il faut croire que l’autrice a perdu son état de grâce. Ou alors c’est moi qui ne parvient pas à me lancer dans l’histoire. En une semaine, je n’ai lu qu’à peine la moitié du livre. Pire : j’ai déjà lu 3 autres romans en parallèle ! Et je m’apprête à en entamer un quatrième. Je piétine tellement dans le livre que je m’évade en lisant autre chose. S’il ne s’agissait pas du dernier roman d’une série, j’aurai déjà abandonné. Mais du coup, en plein exercice de lectrice/équilibriste, je me pose la question. Est-ce possible de procrastiner quand on lit ?

Lecture et désir

Si je réfléchis bien, j’ai déjà constaté que j’avais tendance à la procrastination en matière de lecture. Un exemple tout simple : je suis obsédée par un livre. J’ai envie de le lire. Je l’achète. Et puis, si quelques jours se passent, mon envie peut retomber. Et là, le livre qui me faisait tellement rêver se retrouve exilé dans ma pile de livres à lire. Celle qui est sur ma table de nuit, et qui menace régulièrement de s’effondrer. Pourquoi ? Parce que j’ai l’impression que, dès que le moment est passé, j’ai beaucoup de mal à revenir à mon impulsion première. Je suis une boulimique de livres. Mon envie est irrationnelle. C’est dans l’instant présent que tout se joue. Après l’heure, ce n’est plus l’heure !

En fait, en ce qui me concerne, le désir de lire fait déjà partie du plaisir lié à la lecture. Non pas que j’idéalise ma lecture ou que je commence à me faire des films dans ma tête avant la lecture. Mais je suis fébrile à l’idée de découvrir une nouvelle histoire. Je plonge dans l’inconnu, et je m’attends à passer un bon moment. Un pédopsychiatre dirait sûrement que je n’ai pas appris à gérer ma frustration, et que je réponds mal à la contrariété. C’est vrai… en partie ! Je suis tyrannique dans mon rapport à la lecture. Il faut qu’un livre me plaise, qu’il me contente. Sinon, ça devient laborieux. Intellectuellement, je peux m’accrocher pour laisser sa chance au livre et quand même aller au bout de ma lecture. Mais émotionnellement, j’ai déjà dévissé. Et à de rares exceptions près, mon ressenti sur le livre ne change plus jusqu’à la fin.

Tromper l’ennui

Puisque je suis une monomaniaque en série qui lit presque toujours sous l’impulsion du désir, il peut effectivement m’arriver d’entrer dans une phase de stagnation. C’est là que la procrastination entre en scène. Je suis une grande enfant, et je n’aime pas m’ennuyer avec un livre. Et comme un enfant, j’ai mes petites astuces.

Parfois, je me remets à regarder la télévision. C’est sympa, ça me permet de vérifier qu’elle fonctionne toujours. C’est l’occasion de découvrir les programmes qui intéressent mes contemporains. Mais en général, j’atteins le seuil de saturation au bout de quelques soirées.

L’autre solution est celle à laquelle j’ai recours le plus souvent. Je referme le livre que je n’arrive pas à lire. Je le mets de côté, et je lis autre chose. Le plus souvent, une seule lecture « de pause » suffit à me changer les idées. Et je poursuis ma lecture pénible dans la foulée. Plus rarement (et c’est donc le cas en ce moment), je lis plusieurs livres d’affilée. Et ce n’est pas très bon signe. Le plus souvent, c’est le signe que je vais bientôt abandonner le livre qui me pose problème.

Zapper un livre et ne pas mourir de honte !

Alors vous allez me demandez : est-ce que ce n’est pas simplement le signe que je suis fatiguée ? Est-ce que ces phases me touchent quand je lis des livres « sérieux » ? Auquel cas, ça semble logique que j’ai des coups de mou, et que je finisse par me réfugier dans des livres de divertissement. Eh bien, non.

J’ai remarqué que ce type de phases pouvait m’arriver avec n’importe quel genre de livres. Un policier, une romance, un livre historique. Il y a des essais que j’ai dévoré en une soirée, et des comédies romantiques qui m’ont duré des semaines comme ça. Je ne constate aucun élément commun entre les livres qui me donnent envie de lire autre chose… à part que je n’ai pas aimé les lire.

Parfois, je suis dans une période de stress ou de fatigue, et je suis donc moins patiente avec un livre. S’il n’est pas capable de m’intéresser, l’envie de zapper devient la plus fort. Et après tout, il n’y a aucune honte à abandonner une lecture. Parfois, je considère qu’un livre n’est pas pour moi. Je reconnais ses qualités, mais il ne me parle pas d’un point de vue émotionnel, ou je n’adhère pas intellectuellement à la démarche de l’auteur. Et en de très rares occasions, le livre est raté (parce que l’auteur est, à mon sens, passé à côté de son sujet).

L’art de la procrastination littéraire

Pour faire face à mes phases de procrastination littéraires, j’ai un système bien rodé : j’ai toujours des livres d’avance ! Bon en fait, ça n’a rien à voir. Même si je ne vivais pas des moments d’errements livresques, il y aurait toujours autant de livres chez moi !

Là où ça devient tout un art, c’est quand je pars en vacances ou en week-end. Heureusement, l’appli kindle de mon téléphone portable me sauve la vie. Je n’ai pas à m’angoisser en cas de crise aiguë de procrastination littéraire. Mais je préfère quand même le format papier, et c’est toute une logistique. Il faut toujours prévoir une pile de livres principale, et une pile de livres de rechange, en cas de panne de lecture. Résultat : je ne ferais jamais Pékin Express ! J’ai un sac de week-end spécialement dédié à mes livres. Il fait la même taille que la valise cabine dans laquelle je mets mes vêtements. Oui, on en est là !

Pour mes proches, c’est devenu une blague récurrente. Ils ont l’habitude de me voir partir en vacances avec ma bibliothèque sur le dos, comme un escargot bibliophile addict à l’odeur du papier neuf. Pour ma colonne vertébrale et mes muscles, c’est moins drôle. Quand je prenais encore régulièrement le train, je devais porter ma valise et mon sac de livres dans les transports en commun puis sur le quai de la gare, pour enfin leur trouver de la place en les hissant sur le rac au-dessus de la tête des passagers. Du sport extrême pour moi !

ça s’en va et ça revient, comme chantait l’autre

Le point positif de la procrastination en matière de lecture, c’est qu’on ne sais jamais quand le vent va tourner. Il m’arrive de devoir abandonner un livre en cours. Il m’arrive de ne même pas entamer un roman parce que mon envie est passée trop vite. Mais il m’arrive aussi de sentir l’envie de lire revenir. C’est plus fort que moi, et je ne sais pas du tout à quoi s’est dû. Parfois, le livre fait un voyage en moi, et il remonte à la surface sans crier gare ! Alors je m’en saisis, et lui et moi passons un bon moment.

Du coup, la lecture est une question de désir et de timing. C’est la leçon que je tire de cette petite introspection livresque. Je ne sais pas si c’est pareil pour tous les lecteurs. Jusqu’à présent, je n’en parlais pas trop autour de moi. J’avais peur de passer pour une folle ! Mais peut-être que je ne suis pas la seule à avoir ce genre de dilemmes de lectures. Peut-être qu’en fait il y a beaucoup de lectrices et de lecteurs qui rencontrent ces mêmes mouvements d’envie/répulsion envers les livres qu’ils veulent lire ?

17 réflexions sur “Lecture et procrastination

  1. Autumn & Latte dit :

    Ton article résonne en moi et je suis exactement dans la même situation, surtout quand tu écrit : « Plus rarement (et c’est donc le cas en ce moment), je lis plusieurs livres d’affilée. Et ce n’est pas très bon signe. Le plus souvent, c’est le signe que je vais bientôt abandonner le livre qui me pose problème. »

    Je suis bloquée dans Conspirata de Robert Harris. J’avais bien aimé le premier tome, mais je bloque avec ce deuxième. J’en ai lu deux cent pages environ, mais j’ai déjà entrecoupé la lecture de plusieurs autres romans… Tout comme toi, d’habitude un seul suffit pour me remettre en selle sur celui qui me pose problème, mais parfois non… Et c’est le cas aussi. Je suis bloquée dans le fait que j’ai lu et relativement apprécié le premier et que j’ai aussi le troisième dans ma PAL… Mais ce n’est plus le bon moment.

    Quand tu parles du genre du livre, je te rejoins également. J’ai ce même livre en attente et je suis en train de lire un essai historique sur l’histoire de la femme au Moyen Âge qui me passionne. Donc, le genre n’a aussi rien à voir. J’ai entrecoupé cette lecture de La Métamorphos de Kafka, par exemple…

    « Du coup, la lecture est une question de désir et de timing. » Je suis entièrement d’accord. Parfois, j’achète parce que le livre me plaît et je veux absolument le lire sur le moment, mais l’occasion passe, pour X ou Y raisons et il reste dans ma PAL et, finalement, je n’ai plus envie de le lire. Même si je garde une PAL aux alentours d’une vingtaine de livres, cela arrive. Parfois même, cette question de désir et de timing change pendant la lecture (ce que je pense être le cas pour ce Robert Harris). J’avais très envie de le lire, mais des aspects extérieurs et intérieurs au livre font que je m’en désintéresse. Mais, plus le temps passant, j’ai de moins en moins de scrupules à abandonner un livre. J’y reviens parfois, quand l’envie me reprend. Parfois non, mais j’essaie de ne plus me mettre la pression. Il y a tellement d’autres livres à lire.

    Je viens de me rendre compte que j’écrivais, écrivais et que ce commentaire est juste trop long. Désolée pour ce pavé, mais ton article m’a vraiment interpellé, car je suis dans cette situation alors que j’écris ce commentaire.

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    • Alivreouvert dit :

      Ne t’excuse pas, au contraire, je suis ravie de comparer mon expérience de lecture avec d’autres… et de constater qu’on est en fait nombreux à vivre la même chose !
      En plus, j’ai l’impression qu’on est actuellement toutes les deux dans la même situation. Je lis le 4e et dernier tome de la série de Kerri Maniscalco sur les thrillers victoriens. Les 2 premiers étaient excellentes. Le 3e était bien sans plus, et là le 4e me tombe des mains. Mais quand on s’investit dans une série (comme tu le fais toi aussi puisque tu en es déjà au 2e tome), on se projette déjà dans le plaisir d’aller au bout de la série. Et je trouve que c’est encore plus frustrant quand le plaisir déraille. Moi je me sens un peu arnaquée quelque part. Ou en tout cas il y a de la déception en plus de l’ennui. Et j’ai l’impression que c’est justement cette déception qui est la plus dur à gérer, parce que sinon je n’ai aucun scrupule à abandonner un livre.
      Enfin bref… bon courage pour ta lecture !!

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      • Autumn & Latte dit :

        « On se projette déjà dans le plaisir d’aller au bout de la série »… C’est tout à fait vrai et c’est encore pire quand on a déjà les prochains tomes. J’ai ce deuxième tome avec lequel je n’y arrive pas (et que j’ai clairement mis de côté depuis), et le troisième m’attend également dans ma PAL. J’ai tout misé sur les prochains tomes du fait d’avoir aimé le premier. Dans mon esprit, si le premier tome était très bien, le reste doit être dans la même veine. Il y a, comme tu le dis, déception, ennui et frustration aussi. Je n’ai aussi aucun mal à abandonner un livre, mais je ne sais pas pourquoi, je me sens un peu plus coupable d’abandonner un tome d’une série au bout milieu à la fois du livre, et de la série.

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      • Alivreouvert dit :

        Je compatis. Et je te souhaite bon courage. Qui sait ? Peut-être que le prochain tome sera meilleur ?! Il y a des séries qui sont inégales (genre, les Agatha Raisin ne sont pas tous au même niveau), ce qui veut dire que le lecteur peut parfois avoir une belle surprise d’un livre à l’autre. C’est un peu la roulette russe !!

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  2. Light And Smell dit :

    Un grand merci ! Tu as retranscrit précisément ce que je ressens dans le paragraphe ci-dessous.

    « Si je réfléchis bien, j’ai déjà constaté que j’avais tendance à la procrastination en matière de
    lecture. Un exemple tout simple : je suis obsédée par un livre. J’ai envie de le lire. Je l’achète. Et puis, si quelques jours se passent, mon envie peut retomber. Et là, le livre qui me faisait tellement rêver se retrouve exilé dans ma pile de livres à lire. Celle qui est sur ma table de nuit, et qui menace régulièrement de s’effondrer. Pourquoi ? Parce que j’ai l’impression que, dès que le moment est passé, j’ai beaucoup de mal à revenir à mon impulsion première. Je suis une boulimique de livres. Mon envie est irrationnelle. C’est dans l’instant présent que tout se joue. Après l’heure, ce n’est plus l’heure ! »

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  3. Mélie et les Livres dit :

    Et la procrastination de la chronique d’un livre reçu en SP et qu’on n’a aimé que moyen ? Cette page en brouillon que l’on saute pour en publier une autre, une chronique qu’on a lu « entre deux » ? Mais qu’on va être obligée de faire quand même ?? Celle là, je la maudis !

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    • Alivreouvert dit :

      Ahah je vois parfaitement ce que tu veux dire !! Chez moi c’est hyper rare, parce que je fais beaucoup de tri en amont. Depuis quelques années, il y a beaucoup de SP que je préfère refuser car je sais qu’en fait, ces livres ne me font pas vraiment envie. Du coup, j’évite de passer par cette case de « la chronique à rédiger à tout prix ». Mais je suis de tout cœur avec toi !!

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  4. Anna G dit :

    Oui, c’est vrai que la littérature ne se livre pas toujours, et qu’elle est dans les intermittences de notre coeur. Un blog introduit une forme de contrainte. Il faut savoir lâcher prise …

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    • Alivreouvert dit :

      C’est vrai que c’est un aspect que je n’ai pas abordé dans l’article, mais parfois je me laisse un peu dépasser par les livres que je reçois. C’est comme être hyper-stimulée par tous ces livres qui me tombent dessus. Et c’est à la fois merveilleux et étouffant, par moments. Je pense que c’est aussi par rapport à cette dimension du blog que je dois apprendre à prendre du recul.

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  5. Mario Thibault dit :

    Pour ma part, je n’ai jamais vécu des  »maux de lecteurs », comme panne, désintérêt, procrastination, etc. J’ai toujours trouvé mon compte dans mes différentes lectures tout au long de ma vie, même si parfois certaines lectures ne valaient pas le détour, il reste qu’a force de lire, ça permet de se forger une certaine expérience littéraire. Quelques fois, je prends une pause livresque pendant une semaine où soit que je joue à un jeu vidéo, soit j’ écoute une série télé, me tape STAR WARS ou Le seigneur des anneaux version longue, ou encore, je regarde des documentaires sur les internets reliés à des sujets sur des lectures que j’ai fait. Mais j’avoue qu’au bout de cette semaine de relâche, j’ai vraiment hâte de me replonger dans ma drogue favorite, la lecture!

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    • Alivreouvert dit :

      Merci beaucoup de partager ton expérience de lecteur. L’idée d’un rythme de lecture m’intéresse. Si je me programmais des pauses à l’avance, peut-être que j’éviterais de passer par ces phases de latence. Je vais tenter, merci !

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  6. Florence CHOQUET dit :

    Cela m’arrive de temps en temps aussi. D’ailleurs, je suis dans cette période. J’ai un livre mis de côté où j’en suis à la moitié, en attendant, je lis autre chose ! Pourtant ce livre là, j’avais tant envie de la découvrir mais impossible d’avancer, je piétine ! J’espère le finir quand même, mais quand ?

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  7. topobiblioteca dit :

    C’est marrant comme parfois je suis obsédée par un livre, que j’ai ou non, auquel cas je doit absolument l’acheter. Il se peut aussi que je ne le lise pas tout de suite mais ça me rassure de le posséder. C’est fou et fort peu utile si je ne le lis pas immédiatement. Je n’hésite plus à abandonner un livre désormais meme au bout de quelques pages quand je sens que je vais finir par lire autre chose en parallèle et que je n’y reviendrais jamais car je suis incapable de lire plusieurs livres à la fois. Je me dis que trop de livres me font envie pour perdre du temps avec un qui ne me plaît pas. Avec moi c’est tout ou rien..mais il m’a fallut du temps pour arriver à ce stade. J’aime ton article il invite à la réflexion…

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    • Alivreouvert dit :

      Merci beaucoup ! Je me retrouve beaucoup dans ce que tu écris, sur ton rapport à la lecture et sur l’aspect obsessionnel. Pour moi c’est pareil : l’obsession d’un moment précis. Mais pour moi aussi, ça a été un long chemin avant d’accepter sans culpabilité l’idée d’abandon de lecture.

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