Alice Guy Blaché : la mémoire effacée

Le mois dernier, j’ai eu le plaisir de visionner un excellent documentaire sur une chaîne de cinéma (laquelle ? je ne me souviens plus !). Il s’agissait de Be Natural : The Untold Story of Alice Guy Blaché. Le documentaire réalisé par Pamela Green, avec la narration de Jodie Foster, revient sur la carrière puis l’effacement d’Alice Guy Blaché. Son nom ne vous dit rien ? Les sœurs Kuperberg l’ont pourtant sorti du silence avec leur excellent documentaire, Et la femme créa Hollywood.

Pour être clair, Alice Guy Blaché fut la première personne au monde à réaliser une œuvre de fiction avec une caméra. Elle a tout simplement inventé le cinéma. Elle fut la première à réaliser un film sonore, la première à faire de la couleur, et la première à réaliser un film avec un casting entièrement composé d’acteurs afro-américains. Elle fut enfin la première femme à fonder son propre studio de cinéma aux Etats-Unis. Et elle a tourné plus d’un millier de films durant sa carrière. Alors pourquoi ne connait-on pas son nom ? Parce que les livres l’ont effacé !

Si je parle d’Alice Guy Blaché aujourd’hui, c’est pour évoquer plus largement le cas des femmes activistes et des femmes qui ont participé à l’innovation, dans tous les domaines possibles. Elles sont rares à avoir leurs noms cités dans les ouvrages de référence. Et pour cause : ces livres ont longtemps été majoritairement écrits par des hommes. Alors faut-il se méfier des livres ? Eh bien ce n’est pas nouveau : les livres ont longtemps servis à la propagande et au révisionnisme. Ils sont autant des pourvoyeurs de désinformations que d’informations. A l’heure où on tape fort sur les réseaux sociaux à cause des fake news, il me semble important de souligner qu’il n’y a malheureusement aucun média entièrement vertueux. Et nos livres adorés n’échappent pas à la règle.

Fait intéressant (et cruel), Alice Guy Blaché a pu constater de son vivant l’effacement de son nom. Elle s’est battue pour la reconnaissance de son travail. Mais une fois que les premiers ouvrages consacrés à l’histoire du cinéma ont été publié en attribuant ses films à d’autres (toujours des hommes), le mal était déjà fait.

Encore aujourd’hui, l’histoire d’Alice reste trop méconnue. En grande partie parce que la transmission par les livres ne s’est pas faite. Le nom d’Alice est sorti du silence grâce à des documentaires réalisés par des femmes passionnés (et passionnantes). Pourtant Alice Guy Blaché avait écrit ses mémoires avec l’aide de sa fille. Ironiquement, le livre est édité aux Etats-Unis… mais pas en France ? J’espère vivement que l’engouement autour de la renaissance du nom d’Alice Guy Blaché donnera l’idée à un éditeur français de publier enfin l’ouvrage en français.

Je voulais évoquer cette histoire pour interpeller les lectrices et les lecteurs. Nous sommes tributaires des éditeurs pour transmettre les voix du passé, mais ça ne veut pas dire que nous sommes impuissants pour autant. Tout le travail actuellement effectué par des passionnés pour sortir le travail et la vie d’Alice Guy Blaché de l’anonymat est exemplaire. Mais il doit aussi se mener sur le front de la littérature. Combien d’ouvrages sur l’histoire du cinéma parlent d’elle ? Combien de livres font un travail de révision pour rendre aux femmes méritantes leur juste place ?

Si vous êtes indignés par ce phénomène, qu’il touche des femmes de cinéma ou d’autres secteurs, vous avez toujours la possibilité de prendre la parole, d’écrire aux éditeurs… d’écrire des articles de blog ou de les relayer sur les réseaux sociaux. Car pour faire bouger les choses, encore faut-il que le public soit bien informé.

Grâce au travail d’une poignée de personnes motivées, de plus en plus d’initiatives voient le jour pour combler les trous et faire sortir de l’anonymat les personnes injustement effacées des livres d’histoire. Les choses bougent beaucoup du côté de la littérature jeunesse, notamment grâce au succès de l’ouvrage Histoires du soir pour filles rebelles. Devant l’engouement populaire, le livre a même eu droit à une suite. Et dans ce second tome, on retrouve… l’histoire de notre chère Alice ! Il y a donc de l’espoir pour les futures générations.

2 réflexions sur “Alice Guy Blaché : la mémoire effacée

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