Une Farouche Liberté vient tout juste de sortir en librairie. Les éditions Grasset publient cet ouvrage quelques mois seulement après la mort de Gisèle Halimi. Un décalage qui souligne la dimension intime de ce livre en forme de passage de flambeau. Une Farouche Liberté revient sur la vie de combat et d’engagements de Gisèle Halimi, une avocate et féministe qui aura marqué la société française comme peu d’autres. Ce livre, construit comme un dialogue entre elle et la journaliste Annick Cojean, prend aussi une dimension plus large. Et finalement, il se lit comme un dialogue entamé entre Gisèle Halimi et les nouvelles générations de femmes qui, à leur tour, doivent se confronter à une société qui refuse encore d’entendre leurs voix.
Une Farouche Liberté s’ouvre comme une interview. A la manière d’un entretien, Annick Cojean anime les pages du livre en invitant Gisèle Halimi à revenir sur sa vie. Pas sa vie privée, mais sa vie professionnelle, les luttes qui ont jalonné sa vie, les engagements qui sont devenus les siens à mesure qu’elle découvrait l’étendue des injustices de la société. C’est un gigantesque retour arrière qui est l’occasion de redécouvrir comment le combat féministe a trouvé ses racines dans une société fondamentalement inégalitaire, qui refusait même de prendre conscience des violences infligées aux femmes. Mais cette violence et cet aveuglement dépassait le seul sujet des femmes. Ils se retrouvaient aussi dans la peine de mort, l’application d’une mort jugée juste et nécessaire au sein d’une société qui concevait avant tout la justice comme un espace de vengeance du corps social à l’encontre de ceux qui s’éloignaient trop de la norme.
La Guerre d’Algerie, la peine de mort, le procès de Bobigny, le droit à l’avortement, le Manifeste des 343… Au fil des pages, l’histoire de la vie de Gisèle Halimi semble presque rocambolesque tant ses combats ont été acharnés. Et surtout, ils ont été des rendez-vous avec l’opinion publique pour faire entendre la voix des victimes, pour témoigner d’un état de violence général infligé aux femmes, et pour essayer enfin de faire bouger les mentalités.
Pour moi qui suis née en 1984, l’histoire du féminisme est une sorte d’entre-deux : je l’ai connu avant de m’en sentir une partie intégrante. Dans mon enfance, les journaux télévisés étaient saturés d’images de génocides. On parlait beaucoup du sida. Puis quand j’avais dix-sept ans, ce fut les attentats du 11 septembre. La peur du terrorisme. La montée de l’extrême-droite. Le féminisme semblait un sujet largement secondaire. Tout le reste était plus urgent. Ou en tout cas, c’est la perception que j’en avais. Il m’a fallu du temps pour comprendre que le féminisme n’était pas moins urgent. Que les femmes n’étaient pas moins en danger. Et que la société dans laquelle je vivais, dans laquelle je me préparais à travailler, était bâtie sur des principes qui allaient à l’encontre de mon intérêt.
Le livre de Gisèle Halimi sonne à la fois comme un résumé, une passation de flambeau, mais c’est aussi un formidable appel aux armes. Dans la dernière partie, elle s’adresse directement aux jeunes femmes. Elle les encourage à se mobiliser, pas seulement pour la cause du féminisme et des autres femmes, mais aussi pour elles-mêmes. Parce que les femmes qui grandissent et vivent dans ce monde doivent s’émanciper des injonctions sociales. Ce n’est que comme ça qu’elles peuvent espérer réaliser tout leur potentiel.
Je n’avais pas besoin de cet appel pour me sentir concernée. Mon sentiment d’adhésion aux valeurs féministes datent de nombreuses années maintenant. Mais ce livre m’a aidé à replacer mon engagement dans un cadre plus large que mes seules convictions personnelles. En substance, Gisèle Halimi dit aux femmes qu’elles ne sont pas seules, et que c’est dans la sororité qu’elles pourront puiser la force nécessaire pour faire changer les choses. Il y a un optimisme très réconfortant dans sa façon de voir le féminisme. Non seulement Une Farouche Liberté interpelle les lectrices, mais il les invite aussi à embrasser les valeurs féministes avec enthousiasme. Parce que le combat quotidien est aussi une célébration de notre liberté, aussi imparfaite soit-elle.