Relire un livre dix ans après l’avoir lu la première fois est une expérience étrange. Dans le cas d’un livre qu’on n’a pas aimé, ça peut être un calvaire. Si c’est un livre qu’on a aimé en revanche, alors la sensation est formidable et vertigineuse. Comme de retrouver un ami perdu après de longues années. Ce sentiment de connivence instantanée, de familiarité chaleureuse, je l’ai immédiatement ressenti en rouvrant L’Affaire Jane Eyre. Si je n’avais pas déjà été une fan de lecture, le roman de Jasper Fforde aurait pu à lui seul me convertir au monde des livres. Et le relire fait remonter beaucoup de belles choses à la surface.

Thursday Next vit dans un monde très différent du notre. Dans sa version de la réalité, la littérature est un peu la religion universelle. Les gens sont obsédés par la lecture. Le fromage est une denrée rare qui fait l’objet d’un commerce illégal sous le manteau. Le pays de Galles est indépendant. La guerre de Crimée n’est toujours pas finie. Les dodos sont des animaux domestiques qu’on peut fabriquer chez soi grâce à des kits de clônage. Et tout le monde trouve ça normal ! Quand un criminel de sinistre réputation commence à s’en prendre aux personnages des romans, les lecteurs du monde entier réclament aux forces de l’ordre d’intervenir pour stopper ses agissements. Thursday Next, détective littéraire de son état, se retrouve donc au cœur de l’affaire la plus périlleuse de sa carrière : sauver Jane Eyre avant qu’elle soit kidnappée et assassinée par un psychopathe capable de rentrer dans les livres !

A l’époque, je me souviens que c’était le titre et la couverture du livre qui avaient attiré mon attention. Je l’avais acheté dans une librairie de la rue de Vaugirard, quand j’étais à l’université dans le quartier. Le résumé avait l’air délirant. Et le livre a complètement dépassé mes espérances. Par la suite, j’ai découvert qu’il s’agissait d’une série. Huit romans plus tard, j’étais une lectrice comblée, prête à professer ma passion au génialissime Jasper Fforde.

Ce livre est un hommage à la littérature, à la lecture et au pouvoir transformatif de l’imaginaire. Rien n’est trop délirant pour cette histoire. Et c’est la raison pour laquelle la lecture de L’Affaire Jane Eyre est si jubilatoire. Imaginez un condensé de tous les trucs loufoques qui pourraient vous faire passer un bon moment, et vous avez ce roman !

L’intrigue est rudement bien menée. Parce que oui, à la base c’est un roman policier. Et le fait que la victime soit un roman mondialement connu attise encore plus l’intérêt de l’histoire. Au fil des pages, il y a d’autres références littéraires, mais le cœur de l’histoire c’est Jane Eyre. Si vous êtes fan de Charlotte Brontë, vous serez en territoire connu. Même si Jasper Fforde s’amuse à prendre des libertés et à récrire le célèbre roman.

L’autre point fort de ce roman, c’est sa galerie de personnages déjantés. Thursday est une héroïne hyper attachante, très dynamique, bourrée d’énergie et d’un sens de l’humour à toute épreuve. Ses collègues sont à la hauteur de ce qu’on est en droit d’attendre des forces de l’ordre littéraires : Bowden, son co-équipier, est d’un flegmatisme qui laisse pantois, et Spike, le spécialiste ès-créatures bizarres, n’est pas du genre à fuir devant le danger. A côté de ça, on a droit à une famille formidable (le père voyage dans le temps, la mère élève les dodos, la grand-mère est immortelle, l’oncle est un savant fou). Mais mon personnage préféré, c’est Pickwick, le dodo, qui fait son nid dans la baignoire et raffole des marshmallows.

L’Affaire Jane Eyre regorge de trouvailles brillantes, d’humour, d’action et de clins d’œil à la passion pour les livres. C’est un roman inclassable qui vous fera passer les meilleures heures de votre vie. Un véritable ovni littéraire dont on ne ressort pas indemne. Après l’avoir lu, vous aurez la sensation d’avoir retrouvé votre planète d’origine !