Si vous avez bien suivi, je vous avais annoncé en début de mois que j’allais vous parler plus en détails de Catherine Meurisse, lors de l’article sur les filles dans la BD. En fait, ça faisait déjà quelques temps que je voulais vous parler de cet excellent album Mes Hommes de lettres, Petit précis de littérature française, qui est paru il y a déjà quelques temps. Mais l’occasion ne s’était pas présentée, donc je répare aujourd’hui mon erreur.
Vous connaissez peut-être Catherine Meurisse car elle a été la première femme à intégrer la rédaction de Charlie Hebdo. Je l’avais découverte à l’occasion de l’émission de Thierry Ardisson, où il avait réuni le temps d’un dîner les dessinateurs emblématiques du journal. Seule fille à la table, elle se remarquait forcément. Mais outre son travail de dessinatrice de presse, Catherine Meurisse a aussi participé à des albums et elle a plusieurs fois illustré des livres pour enfants. Un travail diversifié donc.
Dans Mes Hommes de lettre, elle travaille en solo et se propose de livrer au lecteur, qu’il soit fan de littérature ou non, un petit voyage à travers le temps pour découvrir l’histoire de la littérature française, du Moyen-Âge au XXe siècle, avec les grands noms et les œuvres qui l’ont façonné. Vaste programme qui pourrait faire peur… sauf que dès les premières pages, le lecteur est séduit par le ton de l’ouvrage !
Si le projet est ambitieux, il faut d’emblée reconnaître que Catherine Meurisse a les moyens de ses ambitions. Sur le fond, le livre est très bien construit, précis, riche en informations (au passage, j’ai appris plusieurs choses)… Loin de survoler son sujet, même si évidemment tous les grands auteurs n’y sont pas, le livre offre une vision assez détaillée de l’histoire littéraire hexagonale. Dans la forme, on découvre avec délectation un mélange réussi d’humour et de narration factuelle. Je m’explique : tout ce qui est dit dans ce livre est vrai, et vous pourriez le retrouver dans des études universitaires, aussi poussiéreuses qu’ennuyeuses ! Mais ici, l’exposé se fait de manière ludique, ce qui rend le propos du livre beaucoup plus digeste.
Au fil des pages, on découvre un Rabelais ultra enjoué, la Pléiade présentée comme une bande de copains à l’esprit rebelle, Montaigne qui s’auto-psychanalyse (gros coup de cœur pour ces pages hilarantes !), Corneille qui a un peu de mal à préparer la première du Cid, La Fontaine qui se fait déborder par ses animaux… Ensuite, j’ai eu beaucoup de plaisir à lire toutes les pages consacrées au courant romantique. Bien sûr, comme il s’agit de ma période littéraire préférée, j’étais particulièrement réceptive. Mais je pense que ce doit aussi être l’une des périodes favorites de Catherine Meurisse, car les pages sont particulièrement inspirées ! Mention spéciale pour la biographie de Victor Hugo qui arrive à tenir en une seule page ! J’ai beaucoup ri avec le résumé de l’intrigue du Père Goriot, j’ai presque eu pitié de Maupassant, j’ai bien aimé les pages sur la pauvre Emma Bovary… Un régal !
Le XXe siècle aurait peut-être mérité quelques pages de plus, mais on le découvre aussi avec beaucoup de plaisir. Ce siècle fait d’ailleurs l’objet d’un traitement original : on le survole avec les éditions Gallimard comme fil rouge. Un choix logique étant donné que le célèbre éditeur a signé la plupart des plumes qui ont compté dans cette période. En même temps, ce n’est pas un parti pris évident, ce qui mérite d’autant plus d’être salué. Du coup, on suit l’éditeur Gallimard au fil des réceptions de manuscrits, avec Proust, Céline, Cocteau, Radiguet… On croise aussi Sartre et Beauvoir qui observent, depuis leur table au café de Flore, les changements du monde littéraire français. Les deux dernières pages sont une belle photo de famille qui rassemble du beau monde : Sagan, Vian, Camus, Pérec, Duras, Gary, Queneau, Prévert, Ionesco, Giono, Pagnol… Un vrai morceau de bravoure !
J’ai absolument adoré ce livre. C’est tout à fait un album que je pourrais offrir à des amis littéraires (ou pas) car c’est un vrai plaisir de le lire. Et je pense qu’avec le temps, on peut le relire en picorant de ci de là, en fonction de la période que l’on préfère dans l’histoire de la littérature. C’est très drôle, les auteurs sont bien cernés, bien décrits, à la fois dans leur grandeur artistique et dans leurs petits problèmes humains. On ressort de cet album avec l’impression très agréable d’avoir feuilleté un album de photos de famille.
Avec cet ouvrage, Catherine Meurisse témoigne à la fois d’un excellent coup de crayon (même si je dois bien admettre que je ne suis pas la personne la mieux qualifiée pour en juger) et d’une solide culture littéraire. C’est un livre pour les passionnés, ceux qui aiment entrer par la petite porte de l’histoire, les collectionneurs d’anecdotes et de madeleines.