Belphégor, d’Arthur Bernède

BernedePuisque ce sont les vacances et que vous allez peut-être en profiter pour faire un peu de tourisme, je vais vous parler du Louvre. Ou plutôt, de son fantôme le plus célèbre : Belphégor.

J’ai découvert un peu par hasard que la série télé était inspirée par un livre. Et je n’avais jamais entendu parler d’Arthur Bernède, l’auteur injustement oublié dans les méandres de l’histoire littéraire. Ce cher homme était pourtant un contemporain de Maurice Leblanc et Gaston Leroux. C’est-à-dire qu’il faisait partie de cette génération qui a fait entrer la littérature française de plein pied dans le roman policier moderne. On ne leur sera jamais assez reconnaissant du mal qu’ils se sont donné pour dépoussiérer l’écriture hexagonale.

Toujours est-il qu’en discutant autour de moi de cet illustre inconnu, je me suis rendue compte que tout le monde était persuadé que la célèbre série mettant en scène Juliette Greco était une invention de la télévision. Personne ne savait que l’histoire était en fait tirée d’un livre. A cela, je vois deux raisons : d’abord la série est rapidement devenue culte, éclipsant sa matrice ; ensuite et surtout, les maisons d’édition françaises (qui méritent tout le mal que j’écris souvent sur elles) n’éditent plus le roman ! J’en ai d’ailleurs fait l’amère expérience lorsque j’ai décidé de me procurer l’ouvrage. Ce livre a été pire à trouver qu’un animal sauvage qui ne voudrait pas être débusqué !

Après m’être aventurée dans plusieurs librairies et avoir fait des recherches sur des sites internet, je me suis rendue à l’évidence : il allait falloir que j’achète un livre d’occasion. Ce fut un mal pour un bien, et j’ai finalement réussi à mettre la main sur un exemplaire en bon état. L’édition date d’il y a déjà plusieurs années (presque une décennie), et l’on apprend dans la préface que le lecteur doit cette heureuse réédition à la sortie du film (qui n’a malheureusement pas fait honneur au roman). On peut toutefois se féliciter de ce que les chargés de marketing des maisons d’édition fassent preuve de plus de bon sens que les chargés de catalogues !

Finalement, le livre est arrivé devant ma porte, dans une enveloppe marron, et (chose étrange) bardé de nombreux timbres beaux et exotiques. Une entrée fracassante pour ce livre qui se faisait désirer depuis déjà quelques semaines. J’ai donc pu entamer ma lecture.

Ce qui marque en premier, c’est le style de l’écriture. On remarque très vite que l’on se trouve dans le format d’un roman-feuilleton. Et contrairement à d’autres auteurs de l’époque dont les œuvres nous sont parvenues sous la forme de romans, celui-ci n’a visiblement pas été retravaillé. Les chapitres sont bien rythmés, il se passe quelque chose à chaque page, et les chapitres ne sont jamais trop longs. Ça c’est pour les points positifs.

Le point négatif, c’est que l’on a parfois le sentiment d’une frénésie, une course au rebondissement, alors qu’on aimerait avoir le temps de se poser dans un certain rythme de croisière. L’autre aspect un peu ennuyeux, c’est la qualité de l’écriture : très visuelle, elle tombe parfois dans le cliché plutôt que de se préoccuper de son ton. Bref, un roman par assez « écrit », mais on rentre très facilement dedans.

Ensuite, les personnages. Ils sont charmants. On découvre un vieux détective dont on nous répète à toutes les pages qu’il est « le roi des détectives », donc on finit par le croire. Nous sommes également présentés à sa fille unique ; une charmante créature au charme renversant mais discret (deux conditions capitales pour faire une héroïne valable à l’époque : qu’elle ne fasse pas trop parler d’elle, mais que le héros puisse tomber amoureux d’elle sans trop d’efforts). Et surtout, nous rencontrons la figure d’un reporter chevronné qui n’a pas peur de se jeter au-devant du danger.

Notre trio est secondé dans son aventure par une clique de policiers et une armada de personnages secondaires qui, à défaut d’être vraiment intéressants, ont l’avantage de ne pas nous faire trop réfléchir sur leur place dans l’intrigue. Cette construction stéréotypée donne un côté très lisse à l’intrigue, mais paradoxalement, cela participe du plaisir de la lecture car le lecteur suit le court de l’histoire avec beaucoup de facilité. Il n’y a jamais de heurt, jamais de temps mort… L’histoire semble presque avancer toute seule !

Dans le camp opposé, on retrouve les méchants, avec à leur tête le mystérieux Belphégor. Ce dieu dont la statue se trouve au Louvre semble être la clef du mystère. Et au fil des pages, il va se révéler un redoutable adversaire. De nombreux rebondissements nous sont ménagés quant à son identité, et cela donne sa saveur principale au roman. Pour le coup, on ne peut pas reprocher au roman d’être prévisible car le final ne se laisse vraiment pas deviner. Seules les dernières pages sont peut-être un peu plus faibles, du fait de leur message un peu moralisateur, ce qui semble bizarre pour un lecteur moderne (les lecteurs modernes sont assez peu moraux comme nous le savons tous, et nous aimons bien les fins moins radicales).

Pour ce qui est de l’ambiance du roman, je voudrais préciser qu’il est vraiment daté, et cela peut rebuter certains lecteurs. Je veux dire par là qu’on se retrouve bien projeter dans une époque de Paris qui n’existe plus. On découvre une vie à la fois pittoresque et déjà très moderne par certains aspects. Mais l’ensemble dégage parfois un style « vieille France » qui prête à sourire. C’est le principal problème de ce livre, mais ce n’est pas vraiment de sa faute tant il est vrai que les livres appartiennent souvent à l’époque de leur auteur. Et souvent, je trouve que ce sont les livres les plus novateurs qui vieillissent le plus mal. Car une fois qu’ils ont lancé une mode et servi de source d’inspiration, les récits plus récents les chassent et les font vieillir prématurément.

Ce qui est stupéfiant dans Belphégor, c’est qu’Arthur Bernède arrive très bien à définir les codes d’un genre littéraire qui est à peine en train de s’écrire en France, et qui n’a pas encore atteint sa pleine maturité en Angleterre : le roman policier. Il reprend l’idée d’une intrigue principale forte, tout en ménageant de la place pour des intrigues secondaires qui attisent la curiosité du lecteur. Il ajoute un soupçon de romance et plusieurs pointes d’humour, ce qui donne un relief bienvenu au roman.

On constate aussi une certaine parité dans le livre entre les personnages féminins et masculins, ce qui est en soi très moderne. Rappelons que le roman policier a longtemps été considéré comme un terrain de jeu réservé aux personnages masculins. Il suffit de relire les aventures d’Arsène Lupin pour se convaincre du peu de place laissé aux femmes.

On peut aussi facilement comprendre l’engouement du public pour cette histoire grâce à trois points essentiels. L’intrigue se lance dès la première phrase de la première page : « Il y a un fantôme au Louvre. » D’emblée, la scène est plantée, ce qui est un coup de génie absolu. Ensuite, le choix du lieu est évidemment une très bonne pioche : prendre le musée du Louvre pour décor, c’est s’assurer un lieu que tout le monde connait et qui se projette bien dans l’inconscient collectif. Tous les français savent à quoi ressemble le Louvre, même s’ils ne l’ont pas tous visité. Et pour les parisiens, c’est encore plus fort d’avoir un bâtiment familier transformé comme lieu de mystère et d’action.

Enfin, la figure du méchant choisie est unique. Je n’en connais pas d’autre qui soit aussi forte, intemporelle, effrayante et fascinante à la fois. Ce qui est particulièrement réussi, c’est de réussir à dissocier en quelque sorte Belphégor de sa véritable identité. Le masque existe en propre. C’est ce qui semble le rendre encore plus fascinant. Car on ne se pose pas spontanément la question de son identité. Il semble exister tout seul, hors du temps. Or, lors du final, c’est la révélation de son identité qui va participer du sentiment d’horreur et faire vraiment peur.

Je dis que le roman fait peur, mais j’exagère tout de même. Ce roman reste une histoire policière. Il ne lorgne pas une seule seconde du côté de la littérature fantastique. Nous restons bien dans la société des hommes, dans leur inquiétante étrangeté comme dirait Freud. Malgré les difficultés de se procurer ce roman, je ne saurais trop vous encourager à le lire. Vous risquez d’être agréablement surpris. Et ce sera l’occasion de réhabiliter Arthur Bernède qui le mérite bien !

5 réflexions sur “Belphégor, d’Arthur Bernède

  1. Clelie Holmes dit :

    J’avoue, je ne connaissais pas non plus Arthur Bernède avant de lire ton article, et j’ignorais également que la série avec Juliette Greco s’inspirait d’un roman… Après avoir jeté un coup d’oeil sur la toile, on se rend compte que l’auteur a été extrêmement prolifique, à l’instar de ses contemporains Leroux et Leblanc… Je suis une adoratrice de Leroux, et ce roman d’Arthur Bernède a tout pour me plaire ! Je vais tâcher de me le procurer d’occasion 🙂

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    • Alivreouvert dit :

      Heureuse de t’avoir fait découvrir un auteur ! Je te souhaite surtout bon courage pour trouver le livre car moi-même j’avais mis longtemps avant d’en trouver un exemplaire d’occasion sur le net. Sa dernière édition date de la sortie du film avec Sophie Marceau, mais depuis plus rien ! Ce qui, évidemment, n’aide pas à faire découvrir cet auteur !!

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