La Couleur des sentiments

the help-bisJ’ai récemment eu l’occasion de voir le film La Couleur des sentiments. Presque à mon corps défendant parce que je voulais d’abord lire le roman. Mais tant pis, l’occasion de regarder le film s’est présentée, et je n’ai pas pu résister. Vous le savez déjà, la curiosité est l’un de mes pires défauts !

Je ne savais que vaguement de quoi parlait l’histoire. De ce que j’avais pu capter dans les différents journaux et magazines qui en avaient parlé, je savais que l’histoire se passait dans le Sud des États-Unis, à une époque où le combat pour les droits des noirs commençait à peine à faire des vagues. Je savais aussi qu’il s’agissait de la vie d’une communauté, chamboulée du jour au lendemain par une remise en question de son système de caste à travers la question des bonnes. Le titre original est d’ailleurs bien meilleur que cette traduction française tout à fait mielleuse, puisque le roman se nommait à l’origine The Help (c’est-à-dire Les Bonnes).

Plus précisément, de quoi ça parle ? L’histoire se focalise sur plusieurs personnages féminins, blanches et noires confondues. Chacune joue son rôle selon la couleur de sa peau. Les riches épouses blanches jouent aux parfaites maîtresses de maison sans toutefois faire le ménage ni élever leurs enfants. Elles laissent ses tâches ingrates à leurs bonnes, tout en utilisant leur temps libre pour faire des parties de cartes, lancer des invitations ou s’occuper d’oeuvres caritatives.

De l’autre côté de la barrière sociale se trouvent les bonnes noires. Elles travaillent parce qu’elles n’ont pas les moyens de faire autrement. Parce que c’est le seul métier qu’elles peuvent effectuer et pour lequel on veut bien d’elles. Elles sont chargées des basses besognes sans jamais en retirer la moindre gratitude, et doivent aussi élever les enfants des familles blanches. Elles sont sans cesse rabaissées, humiliées même, pas une société qui les exploite sans honte.

Les choses vont changer le jour où Skeater, l’une des jeunes filles blanches de la communauté décide de passer de l’autre côté du rideau. Elle est intelligente, elle a fait des études, et elle ne se satisfait pas de cette vie d’oisiveté dans laquelle les femmes n’ont le droit de se réaliser qu’au travers de leur rôle de femme au foyer. Voulant devenir auteure, elle a l’idée de partir à la recherche d’un sujet pour son livre au sein même de sa vie quotidienne. Et l’idée semble évidente : la question de la condition des bonnes noires. En découvrant la réalité à laquelle les autres blanches ne veulent pas faire face, elle va croiser le chemin de femmes qui vont petit à petit s’ouvrir à elle et lui dévoiler les détails de leurs vies.

Deux éléments m’ont particulièrement émue dans ce film : le premier consiste dans la peinture réaliste mais pas larmoyante de la lutte contre la ségrégation, et le second réside dans ces magnifiques portraits de femmes.

En premier lieu, il fau t souligner l’effort louable de la réalisation et du scénario pour ne pas trop sortir les violons. L’histoire n’est pas drôle, il y a même des passages dramatiques et parfois intenses, mais pour autant le film ne donne pas dans le sensationnalisme. Il ne joue pas à outrance le jeu de la corde sensible. C’est ce qui fait que le drame se révèle avec finesse. La ségrégation n’est pas romancée. Ces femmes qui décident de parler mettent leur vie en jeu et pas seulement leur travail (ce qui serait déjà largement suffisant pour leur faire peur). Cette peur est palpable et elle réside dans les détails du quotidien. Les femmes noires n’ont pas les mêmes droits que les blanches ; elles ne bénéficient d’aucune sorte de sécurité. Elles se heurtent à la violence ambiante : celle d’une société qui les opprime, de maris qui ne sont pas leurs égaux, de travails qui ne leur donnent que peu de satisfaction, d’un contexte social de plus en plus violent , et jamais elles ne trouvent la moindre compassion auprès des autres femmes blanches. La couleur de peau  se dresse et fait rempart entre deux mondes.

Cette présentation pourrait vous laisser croire que le monde dépeint dans ce film est très manichéen. Mais cet affrontement radical est affiné par les portraits de femmes qui permettent d’atteindre un degré de subtilité plus important. Au travers de leurs différentes histoires, on se rend compte que les choses sont loin d’être aussi tranchées. Les prisons sont plus nombreuses qu’on ne le croit, et celles qui arrivent à se sauver finalement ne sont pas forcément celles que l’on croit. On découvre ainsi des relations parfois amicales entre ces femmes que presque tout oppose. Dans certains cas, c’est leur féminité et les douleurs qui y sont liés dans un monde majoritairement masculin qui permet de tendre un pont entre deux rives.

On apprend aussi que ces femmes blanches sont pour la plupart enfermés dans un stéréotype : celui de la bonne épouse, mère modèle et maîtresse de maison accomplie. Leur oisiveté masque leur grande désespérance, et leur cruauté est moins due à un vrai racisme qu’à leur manque flagrant de compassion, pour leurs bonnes comme pour leurs semblables (en particulier leurs enfants pour lesquels elles n’ont aucune affection).

Entre ces deux catégories de personnages, la jeune Skeater découvre enfin la réalité d’une situation dont la violence lui échappait jusqu’à maintenant. Son regard sur la société dans laquelle elle vit ne sera plus jamais le même. Ses recherches pour son article lui permettent de réaliser son ambition de devenir journaliste, mais son entêtement à découvrir la vérité insoupçonnée l’aide également à s’émanciper de l’éducation qu’elle a elle-même reçu.

Ce voyage n’est pas seulement sentimental, comme on pourrait le croire de prime abord. Il s’agit surtout d’un voyage de la conscience qui remet chacun à sa juste place. Au sein de notre humanité, le manque de lucidité et la lâcheté ne peuvent pas excuser les violences infligées à des minorités. Les femmes, et en particulier les femmes noires, sont un excellent exemple de cette leçon humaniste. Et je dirais que pour moi, ce film traite tout autant de l’émancipation féminine que des droits des noirs. C’est cet équilibre tout en subtilité qui lui donne un message si fort. L’histoire vous emportera très loin des clichés habituels. Une vraie réussite !

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