Nous Ă©tions dĂ©sormais le 15 dĂ©cembre, pile Ă mi-chemin de ce long mois festif qui clĂŽturait la fin dâannĂ©e. Et comme de coutume chez les Bennet, le temps Ă©tait venu de se rĂ©unir pour lâune des traditions prĂ©fĂ©rĂ©es des filles : la sortie en famille !
Depuis toutes petites, leurs parents les emmenaient profiter des nombreux spectacles et piĂšces de théùtre que Londres avait Ă offrir en cette saison. Une tradition qui, maintenant quâelles Ă©taient grandes, continuait dâĂ©merveiller Elizabeth et ses sĆurs. Evidemment, avec le temps, le choix des spectacles avait un peu Ă©voluĂ©. Quand elles Ă©taient petites, leurs parents les emmenaient avec bonheur assister Ă des spectacles de cirques. Mais dĂšs lâadolescence, il avait fallu trouver des thĂšmes plus appropriĂ©s pour plaire Ă chacune. AprĂšs la soirĂ©e de concert symphonique au Royal Albert Hall qui avait fait le bonheur de Mary mais causĂ© de longues plaintes de la part de Lydia et Kitty, la famille avait finalement dĂ©cidĂ© dâopter pour une tactique diffĂ©rente : plutĂŽt que de forcer tout le monde Ă assister Ă la mĂȘme chose, on ferait dĂ©sormais des groupes. Et tandis que madame Bennet, Jane, Lydia et Kitty continuaient dâaller Ă des concerts ou des spectacles « bien rythmĂ©s », monsieur Bennet, Elizabeth et Mary prĂ©fĂ©raient pour leur part sâoffrir une soirĂ©e au théùtre.
Cette annĂ©e encore, lâharmonie familiale passerait par un programme de deux spectacles au choix : la comĂ©die musicale Wicked au Drury Lane pour les unes, et La SouriciĂšre au St Martinâs Theatre pour les autres. Avant cela, toute la famille allait quand mĂȘme se rĂ©unir dans un petit restaurant italien de Covent Garden pour profiter dâun moment ensemble avant de gagner leurs destinations respectives.
Elizabeth Ă©tait arrivĂ©e en avance, pour profiter des dĂ©corations somptueuses des vieilles halles illuminĂ©es. Dâaussi loin quâelle se souvienne, le sapin gigantesque de Covent Garden avait toujours Ă©tĂ© sa dĂ©coration prĂ©fĂ©rĂ©e dans toute la ville. Alors quâelle lâadmirait, une voix sâĂ©leva dans la foule pour lâinterpeller :
- Elizabeth ! fit une voix féminine.
Se retournant, Elizabeth vit alors la silhouette Ă©lancĂ©e de Jane sâapprocher dâelle Ă grands pas. Son long manteau beige, sa grosse Ă©charpe blanche et sa chevelure blonde qui Ă©tincelait lui donnaient presque lâair dâune princesse de lâhiver.
- Je pensais ĂȘtre la premiĂšre Ă arriver, dit Jane en souriant. Jâai rĂ©ussi Ă partir plus tĂŽt que prĂ©vu. Un vrai miracle de NoĂ«l !
- Câest largement mĂ©ritĂ©, avec tout le travail que tu abats Ă lâhĂŽpital. Maintenant que tu es lĂ , on pourrait peut-ĂȘtre faire le tour des boutiques. Quâen dis-tu ?
- Avec plaisir !
- Tu en profiteras pour trouver tes derniers cadeaux de Noël.
- Câest gentil Ă toi dây penser, rĂ©pondit Jane, mais jâai dĂ©jĂ fini mes prĂ©paratifs.
- Ah oui, fut Elizabeth dâun air taquin. Et tu as mĂȘme trouvĂ© un cadeau pour ce charmant Charles Bingley ?
La taquinera eut lâeffet voulu. Et Jane se mit aussitĂŽt Ă rougir.
- TrĂšs drĂŽle, fit-elle.
- Oh allez, je plaisante ! Mais sĂ©rieusement, vous avez eu lâair de bien vous amuser au moment de sa soirĂ©e. Est-ce que tu nâas pas envie de le revoir ?
- Justement, on a échangé nos numéros ce fameux soir.
- Incroyable ! fit Elizabeth, sincÚrement surprise.
Jane Ă©tait dâun naturel timide, et donner son numĂ©ro Ă un homme quâelle venait tout juste de rencontrer nâĂ©tait pas dans ses habitudes. Loin de lĂ Â !
- Et alors ? demanda Elizabeth. Est-ce quâil tâa appelé ? Est-ce que tu as eu de ses nouvelles ?
- Du calme, fit Jane en souriant. On a Ă©changĂ© des textos. Ce qui me convient trĂšs bien parce que je ne suis pas toujours trĂšs Ă lâaise au tĂ©lĂ©phone. Je ne suis pas aussi Ă lâaise que toi pour parler avec les gens que je connais Ă peine.
Elizabeth fit une grimace. Elle se rappela de la scĂšne avec Darcy, et de la façon dont elle avait immĂ©diatement pris la mouche alors que de toute Ă©vidence Darcy souffrait de la mĂȘme incapacitĂ© que Jane Ă parler librement avec les gens. Pour tout dire, elle avait un peu honte de sâĂȘtre montrĂ©e trop vive avec lui.
- Et donc, reprit-elle quand mĂȘme. Comment se passe cette sĂ©duction par les mots ?
- TrĂšs drĂŽle ! Si tu veux savoir, tout se passe bien. On a mĂȘme fini par se tĂ©lĂ©phoner hier soir justement. Et jâai rendez-vous avec lui samedi soir pour un dĂźner.
- Jane, je suis si contente pour toi ! Câest ton cadeau de NoĂ«l avant lâheure !
- Oui mais ne dit rien aux autres, sâil te plait. Et surtout pas Ă maman ! Je nâai pas envie de passer le rĂ©veillon de NoĂ«l Ă rĂ©pondre aux questions dont elle me bombarderait si elle savait que je frĂ©quente Charles.
- Quand on parle du loupâŠ
Dâun mouvement de tĂȘte, Elizabeth montra Ă Jane deux personnes qui fendaient la foule et se dirigeaient vers elles. Leurs parents.
- Plus un mot ! supplia Jane.
- Promis, souffla Elizabeth.
Il ne fallut que quelques minutes pour que les autres filles de la famille Bennet les rejoignent. Et bientĂŽt, tout le monde prit la direction du restaurant italien oĂč ils avaient leurs habitudes.
Alors quâils sâinstallaient Ă table dans la bonne humeur et que trois conversations fusaient en mĂȘme temps, Elizabeth se prit Ă repenser Ă Darcy. Ils nâavaient pas pensĂ© Ă Ă©changer leurs numĂ©ros de tĂ©lĂ©phone. Mais avait-il seulement envie de la revoir ?
Elizabeth ne pouvait pas le savoir, mais Darcy pensait justement Ă elle.
InvitĂ© Ă la soirĂ©e de NoĂ«l de Louisa, la sĆur aĂźnĂ©e de son ami Charles, il affrontait avec autant flegme que possible une fĂȘte des plus barbantes.
Certes, la belle maison de Louisa et de son mari, en plein quartier de Kensington, Ă©tait superbe. Connaissant Louisa, elle avait dĂ» faire appel aux meilleurs dĂ©corateurs d’intĂ©rieur pour orner la maison de guirlandes scintillantes et de sapins artificiels aux teintes bleues et argentĂ©es Ă©poustouflantes. Pourtant, tout cela sonnait creux. Darcy avait acceptĂ© d’ĂȘtre prĂ©sent pour soutenir Charles, qui n’osait jamais dire non Ă l’une ou l’autre de ses coeurs quand elles l’invitaient Ă ces soirĂ©es interminables.
Au milieu des invitĂ©s triĂ©s sur le volet, Darcy, vĂȘtu d’un costume impeccable, essayait de se donner une contenance, une flute de champagne Ă la main. Louisa venait de mettre le grapin sur Charles pour lui prĂ©senter un nouveau collĂšgue de travail. Darcy, seul, observait avec une certaine rĂ©serve les conversations superficielles qui tournaient autour de lui.
Pour une fois, il aurait tout donner pour entendre les taquineries sans fin de Georgiana.
Mais à la place de sa jeune soeur, ce fut Caroline Bingley qui se matérialisa devant lui. Comme toujours, elle arborait une tenue trÚs sophistiquée et une coiffure au lissage parfait. Mais à force de ne voir bouger aucune mÚche de cheveux et de toujours admirer des robes noires, Darcy en était venu à se dire que Caroline manquait singuliÚrement de personnalité.
Tout le contraire d’Elizabeth, dont la bonne humeur transparaissait jusque dans ses tenues Ă©lĂ©gantes mais dĂ©contractĂ©es.
Décidément, songea Darcy, je ne parviens pas à ne plus penser à elle.
Avec un sourire plaquĂ© sur le visage, Caroline s’approcha de Darcy.
- Quel plaisir de te revoir, Darcy, minauda-t-elle. Comment va Georgiana ? J’ai hĂąte de la revoir. Charles m’a dit qu’elle allait donner un rĂ©cital en janvier. Il faudra absolument que tu m’invites.
- Désolé Caroline, mais les places sont limitées et réservées à la famille.
Ce qui n’Ă©tait qu’un demi mensonge.
- Et comment va ton adorable tante Catherine ?
- Toujours aussi horripilante, ce qui l’un dans l’autre est un signe de bonne santĂ© la concernant.
LégÚrement déstabilisée par cette réponse sarcastique, Caroline dut prendre quelques secondes avant de revenir à la charge avec une meilleure tactique.
- J’adore ces soirĂ©es festives de NoĂ«l, pas toi ? Malheureusement c’est toujours moins plaisant d’y assister en tant que cĂ©libataire.
- Hum…
Que rĂ©pondre Ă cela, vraiment ? Caroline avait collectionnĂ© les fiancĂ©s qui, tous sans exception, avaient fini par jeter l’Ă©ponge. Darcy Ă©prouvait beaucoup de pitiĂ© pour ces pauvres hommes, certainement traumatisĂ©s Ă vie aprĂšs leur expĂ©rience au bras de la redoutable Caroline.
- Et sinon, poursuivit Caroline, infatigable, comment va ton travail ?
- Tout va bien, merci.
Mon Dieu, comment se débarrasser de Caroline ?
- Tu as l’air prĂ©occupĂ© pourtant.
Et pourquoi ne pas carrément jouer cartes sur table ?
- En effet, commença Darcy prudemment. J’ai rĂ©cemment revu une ancienne connaissance. Et depuis je n’arrĂȘte pas de penser Ă elle.
A la dĂ©charge de Caroline, elle resta maĂźtresse d’elle-mĂȘme malgrĂ© le choc de cette annonce aussi honnĂȘte que subite. Darcy voyait bien l’amertume dans le regard de la soeur de son meilleur ami. Mais rapidement, elle plaqua un nouveau sourire figĂ© sur son visage.
- C’est charmant. La magie de NoĂ«l a fini par avoir raison de toi, le cĂ©libataire le plus convoitĂ© de Londres.
- Je pense que ce titre est un peu exagĂ©rĂ©, rĂ©pondit Darcy, lĂ©gĂšrement gĂȘnĂ©.
- Mais si, voyons ! Toutes les jeunes femmes rĂȘvent de sortir avec toi depuis que tu es revenu t’installer Ă Londres. Et pourtant aucune n’est jamais assez bien Ă tes yeux. MĂȘme pas moi…
La derniÚre phrase avait été prononcée dans un souffle alors que Caroline approchait sa flute de champagne de ses lÚvres pour se donner une contenance.
S’il voulait apprendre Ă mieux converser avec les autres, et les femmes en particulier, Darcy se dit que ce ne serait pas une mauvaise idĂ©e de commencer par dire les choses ouvertement plutĂŽt que de s’en tenir Ă une politesse de façade, comme il l’avait toujours fait.
- Caroline, je crois avoir remarquĂ© ton intĂ©rĂȘt Ă mon Ă©gard. Est-ce que je me trompe ?
Caroline fit semblant de s’absorber dans la contemplation de la piĂšce, avec ses si jolies dĂ©corations. Puis, prenant une profonde respiration, elle se tourna Ă nouveau vers Darcy.
- C’est vrai. Depuis toujours j’ai le bĂ©guin pour toi. En grandissant, je pensais que tu finirais par le remarquer et me m’inviter Ă sortir. Mais tu ne l’as jamais fait.
- J’ai remarquĂ©, mais je suis dĂ©solĂ© de te dire que ces sentiments ne sont pas partagĂ©s. Et je me rends compte que j’aurais certainement dĂ» te le dire depuis longtemps. Mais la vĂ©ritĂ©, c’est que je n’ai jamais Ă©tĂ© trĂšs Ă l’aise pour parler de sentiments. MĂȘme avec toi, que je connais depuis que tu Ă©tais toute petite, ça ne me vient pas naturellement d’Ă©voquer ce genre de choses. C’est trĂšs intime.
Caroline sembla ĂȘtre songeuse pendant un instant.
- Et pourtant, dit-elle finalement, tu le fais ce soir. Et tu me dis que tu as rencontrĂ© quelqu’un. Elle est donc spĂ©ciale ?
- Oui.
La voix de Darcy n’avait pas flanchĂ©. Il Ă©tait sĂ»r de lui. MalgrĂ© toutes leurs diffĂ©rences, quelque chose en Elizabeth l’appelait, l’attirait, le consumait. Et il ne voulait pas passer Ă cĂŽtĂ© de sa chance.
Caroline lut clairement cette détermination inédite dans le regard de Darcy. Elle savait reconnaßtre la défaite. Et autant ne pas perdre de temps avec une cause perdue.
- Alors si elle te plait vraiment, je te souhaite le meilleur.
Sur ces mots, elle s’Ă©loigna. Darcy, pour une fois sincĂšrement impressionnĂ© par Caroline, se sentit reconnaissant pour sa rĂ©action Ă©tonnamment amicale.
Il n’eut pourtant pas le temps d’y rĂ©flĂ©chir que Charles arriva justement Ă sa hauteur.
- Est-ce que j’ai entendu ma soeur te parler aimablement ? Et est-ce que je l’ai vu te laisser de son plein grĂ© pour aller parler Ă quelqu’un d’autre ? Est-ce que c’est un miracle de NoĂ«l ? s’esclaffa Charles.
- Je vais finir par croire que dĂ©cembre est effectivement une saison magique. D’abord je retrouve Elizabeth, que je n’avais vue depuis des annĂ©es. Et maintenant je fais la paix avec ta soeur.
- La paix ? demanda le jeune homme, perplexe.
- Nous venons d’avoir une discussion franche sur nos sentiments rĂ©ciproques.
Charles faillit recracher son champagne en entendant une telle déclaration.
- Pardon ?
- MĂȘme si je lui plais, je lui ai avouĂ© que je n’avais pas ce genre de sentiments pour elle. Et aussi, que j’Ă©tais intĂ©ressĂ© par quelqu’un d’autre.
- Oh mon Dieu ! Elle va forcément chercher à mettre du poison dans ton verre, maintenant ! Ou alors elle est allée chercher un chalumeau de pùtisserie en cuisine, et elle va mettre le feu à ton costume !
- Tu plaisantes, mais je t’assure que la conversation Ă©tait trĂšs civilisĂ©e.
Charles étudia un moment son ami.
- C’est vrai que pour une fois, tu as l’air dĂ©tendu. C’est bizarre de te voir comme ça.
- Merci… enfin, si c’est bien un compliment.
- C’en est un. Encore qu’Ă mon avis, je devrais plutĂŽt l’adresser Ă la charmante Elizabeth, vu que c’est elle qui est la raison de cet agrĂ©able changement d’Ă©tat d’esprit.
- Elizabeth a quelque chose de stimulant. Elle me fait du bien en réveillant les meilleurs aspects de ma personnalité.
- Et quand est-ce que tu comptes la revoir ? demanda Charles.
Un silence suivit sa question. Et Darcy prit un air embarrassé.
- Mais Darcy, il faut absolument que tu fasses quelque chose ! Est-ce que tu comptes attendre à nouveau des années avant que vos chemins ne se croisent par hasard ?
- Non, ce n’est pas ça. C’est que l’autre soir je n’ai pas eu la prĂ©sence d’esprit de lui demander son numĂ©ro. Je ne sais pas comment la joindre. Elle n’habite plus chez ses parents, mais je ne sais pas oĂč elle vit dĂ©sormais. En fait, je ne suis mĂȘme pas certain qu’elle soit cĂ©libataire.
Darcy avait l’air Ă l’agonie. Et Charles eut le coeur peinĂ© pour lui. Son ami avait besoin d’un petit coup de pouce.
- Je pourrais demander son numéro à Jane.
- Jane ?
- Oui Jane. Sa soeur, précisa Charles.
- Je sais qui est Jane. Mais comment pourrais-tu la joindre ?
- Nous avons rendez-vous samedi soir, répondit Charles avec un sourire fier de lui.
- Oh je vois.
- Je peux donc lui envoyer un message pour lui demander le numéro de sa soeur.
- Non ! fit Darcy, absolument paniqué.
- Mais enfin, pourquoi non ?
- C’est gĂȘnant. Je ne veux pas avoir l’air de harceler sa famille pour pouvoir la contacter.
- Mais enfin Darcy. C’est on ne peut plus civilisĂ©, au contraire, de demander Ă une personne les coordonnĂ©es d’un membre de sa famille. Il s’agit de sa soeur, pas d’une Ă©trangĂšre.
Mais accaparĂ© par une panique soudaine, Darcy ne voulut pas en dĂ©mordre. Charles dĂ©cida donc d’abandonner le sujet. Mais il se promit intĂ©rieurement de ne pas tenir compter du refus de son ami. Il allait contacter Jane. Et ensemble, ils allaient jouer les Cupidons de NoĂ«l.
La suite sera en ligne dĂšs la semaine prochaine. A votre avis, quel plan vont prĂ©voir Jane et Charles pour offrir Ă leurs proches le happy end qu’ils mĂ©ritent ?
Vite, la suite !!!
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Merci beaucoup ! Je mets le dernier chapitre en ligne vendredi soir. J’ai encore quelques choses Ă corriger mais ce sera prĂȘt Ă temps !
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