Lisez-vous beaucoup d’auteurs féminins ?

Celles et ceux d’entre vous qui me suivent sur Instagram le savent, j’ai récemment acquis une desserte à roulettes pour ranger mes livres. C’est un espace de rangement pour compléter mes bibliothèques. Et avant de décider quels livres j’allais ranger sur ce chariot providentiel, il m’a fallu faire un petit tri sélectif. L’occasion de me pencher à nouveau sur ma collection de livres adorés. Et d’un petit moment d’introspection en observant les noms d’auteurs qui peuplent mes étagères.

Il était une fois, une lectrice et des auteurs

Quand j’étais une jeune lectrice, je ne me souciais pas trop des auteurs. J’avais une relation immédiate avec l’histoire. Le livre était un objet magique, la porte ouverte sur un autre monde. Mais les gens qui étaient à l’origine de ces histoires étaient des anonymes. Je ne me souviens pas clairement à quel moment j’ai vraiment pris conscience qu’ils existaient. Probablement à l’école primaire. Ce dont je me souviens, c’est que du jour où j’ai su qu’il y avait des personnes en amont des livres, j’ai rêvé d’être comme eux. Je voulais écrire une fois devenue grande.

En tant qu’étudiante, au collège, au lycée puis à l’université, j’étais le fruit d’un système éducatif. Un système qui participe à l’invisibilisation des femmes. Combien d’auteurs féminins y avait-il au programme de mon bac de littérature ? Je ne me souviens pas. Et je crois qu’il n’y en avait aucune. En revanche, je me rappelle très bien des dissertations et des commentaires de texte avec pour sujet le traitement des personnages féminins. Ce fut même le sujet de mon oral de bac blanc de littérature : les personnages féminins dans Le Mariage de Figaro.

N’est-ce pas surprenant de s’intéresser à des personnages féminins essentiellement écrits par des hommes ? De faire semblant de voir là un sujet digne d’étude, tout en réduisant au silence les voix des femmes écrivains ?

Ma prise de conscience

Tout a changé à l’université. En filière de Lettres modernes, on aurait pu croire que les femmes seraient au programme. Pas du tout ! Malgré la place considérable prise par les romancières dans la littérature française du XXe siècle, le sujet était à peine abordé. Je n’ai pas fait partie d’une génération d’étudiants à laquelle on présentait une vision inclusive de l’histoire littéraire. Et malheureusement, je sais que les choses n’ont que très peu changé.

Je suis le produit de cette éducation tronquée. Et longtemps, j’ai principalement lu des romanciers. Les romancières étaient peu nombreuses dans ma bibliothèque. Peut-être que j’avais inconsciemment intégré que la grande littérature, les livres dignes d’intérêt étaient forcément écrits par des hommes ?

A l’université, les rayons de la bibliothèque universitaire étaient nombreux, variés. Et même les livres qui n’étaient pas au programme me tendaient les bras. C’est à cette époque que, par curiosité, j’ai lu Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir. un ouvrage pas au programme : quelle surprise !

J’ai été profondément transformée par ce livre. Ce ne fut pas un coup de tonnerre qui a changé radicalement ma vie du jour au lendemain. Mais ce fut le premier pas vers une réflexion, un questionnement. Comment pouvais-je espérer en apprendre plus sur la place des femmes dans la société si je ne comptais que sur des voix masculines pour nourrir ma pensée ? Et où donc étaient mes semblables, celles dont je cherchais à entendre les voix ?

Bibliothèque en chantier

C’est véritablement à partir de ces années universitaires que les femmes ont commencé à faire leur entrée dans ma bibliothèque. Et elles n’ont pas été les seules. Le seul cours d’histoire littéraire vraiment intéressant était celui sur les littératures africaines francophones. Un cours génial, hors des sentiers battus, et porté par l’énergie d’une prof géniale, aussi passionnée que passionnante. Elle aussi a nourri ma réflexion sur les enjeux entre inclusion et histoire littéraire.

Tous ces éléments m’ont encouragé à exploré, à partir à la découverte des voix féminines, de leurs livres, de leurs témoignages… J’ai commencé à lire beaucoup plus de romancières. Et aujourd’hui, je constate que ma bibliothèque incarne ce cheminement. J’observe sur les étagères les auteurs masculins, désormais à égalité avec leurs homologues féminines. Et je me sens fière du chemin parcouru.

D’autant qu’à mesure que je me rapprochais des romancières, je me suis éloigné d’une vision un peu étriquée de la littérature. On peut trouver des livres d’intérêt hors de la « grande littérature ». Et certains ouvrages issus des littératures de divertissement peuvent être riches en enseignement. J’avais un a priori négatif sur la littérature romantique, sur les romances, sur ces livres remplis de bons sentiments et de happy ends. Mais une fois que j’ai commencé à en lire, j’ai compris qu’ils pouvaient eux aussi être bien écrits. Et que leurs histoires, leurs personnages, leurs sentiments, trouvaient souvent un écho plus puissants en moi que les vieux classiques.

La parité sur mes étagères

Aujourd’hui, je me rends compte que l’éducation littéraire que j’ai reçue à l’école n’a pas contenté ma soif d’apprendre. Et pire : elle m’a longtemps maintenu dans l’ignorance. En refusant aux jeunes lectrices la possibilité de découvrir les écrits de leurs ainées, on limite le champ de leur réflexion. On leur refuse les outils qui leur permettraient d’envisager autrement leur place dans le monde. On continue donc de véhiculer des stéréotypes qui sont rabaissants. La preuve : l’année dernière quand Annie Ernaux a remporté le Prix Nobel de littérature, beaucoup de gens ont trouvé ça normal de critiquer son oeuvre (qui parle trop des femmes) plutôt que de célébrer cette victoire pour la littérature française. Comme si, dans le fond, elle n’appartenait pas légitimement à cette grande histoire.

C’est un message dangereux à envoyer aux femmes, qu’elles soient lectrices ou non. Et ça revient à leur confisquer le droit de faire entendre leur voix pour raconter leur propre histoire. Depuis plusieurs années maintenant, l’inclusion dans la littérature est un sujet qui me passionne. Ce n’est que maintenant, en rangeant encore une fois mes livres, que je mesure à quel point ce sujet me vient de loin. Il m’a fallu du temps pour arrêter de hiérarchiser les livres, pour m’émanciper d’une approche purement qualitative de la littérature. Pour parvenir à me recentrer sur mon ressenti de lectrice.

Aujourd’hui, je contemple mes livres, les noms sur les couvertures. Et je me sens reconnaissante de vivre dans un pays qui édite tant de fabuleux autrices, françaises ou pas. Les littératures féminines ne cessent du gagner du terrain. Les ouvrages féministes sont désormais légions dans les librairies. C’est la preuve que notre façon de construire l’histoire littéraire est bel et bien en train de changer. Et que nos sommes enfin en capacité de faire de la place pour toutes les voix.

9 réflexions sur “Lisez-vous beaucoup d’auteurs féminins ?

  1. vinushka64 dit :

    Une réflexion très intéressante. Malgré quelques efforts, cela ne change pas beaucoup que ça soit dans le secondaire ou à la fac. Simone De Beauvoir disait que l’homme représente le neutre, la femme l’autre. C’est quelque chose qu’on ressent encore beaucoup malheureusement.
    Puis ce truc de dénigrer les romans écrits par des femmes car cela ne concerne pas l’humanité, en gros, me fait bien rire quand on lit certains hommes. On a ce truc de chercher parfois « l’universel » dans les écrits mais il est trop souvent un homme hetero et blanc… c’est en effet une vision étriquée et triste de la littérature.

    Aimé par 1 personne

    • Alivreouvert dit :

      Effectivement, il y a beaucoup à dire sur la notion d’universel en littérature. Et c’est très intéressant de constater tout ce qui se passe actuellement dans l’édition américaine, avec un vrai effort en faveur de l’inclusion. La conséquence, c’est que depuis plusieurs années, ils publient des livres qui évoquent des épisodes méconnus de leur histoire nationale, et on peut se rendre compte à quel point les minorités contribuent depuis longtemps à la construction de l’espace social. Ce qui n’est pas vraiment une surprise, mais ça permet à beaucoup de monde de mieux s’en rendre compte. C’est un effort de mémoire. C’était notamment le cas avec Underground Railroad et Les Figures de l’ombre. Il nous faudrait un équivalent en France pour construire enfin un vrai espace de dialogue sur le sujet.

      Aimé par 1 personne

  2. Marion dit :

    Je partage le même avis que toi sur la licence de Lettres Modernes… Je pensais lire et étudier autant d’autrices que d’auteurs mais ce n’était pas le cas. Pourtant, plusieurs de mes professeurs veillaient à toujours inclure des œuvres écrites de la main de femmes sans que ça fasse contre poids…
    Maintenant que je regarde mes étagères, je me rends compte qu’il y a encore beaucoup d’auteurs, mais que les autrices gagnent peu à peu du terrain. Je ne sais pas si je viserai une parité dans ma bibliothèque mais je vais veiller à avoir une bibliothèque diversifiée (nationalité, genre, sexe, style, période, tout y passera ! 😉 ).
    Merci pour cet article très intéressant 🙂

    J’aime

    • Alivreouvert dit :

      Merci pour ton commentaire. L’enjeu dépasse effectivement le champ de la littérature : les livres de SVT, les livres d’histoire… la manière dont on représente peu ou mal les femmes est un débat plus large. Mais en littérature, au moins on avance un peu 🙂

      Aimé par 1 personne

  3. Allys dit :

    Je crois que le jour où on ne se souciera plus de savoir si un livre est écrit par un homme ou une femme, alors on aura gagné. Car, tant que nous sommes forcés de faire attention à ce genre de chose, cela sous-entend qu’il y a un problème. Et un problème, il y en a. L’école n’est pas un endroit qui incite les jeunes à découvrir la littérature. Car, pour certains bien pensants, la littérature est forcément poussiéreuse et masculine. Pourquoi n’incite-t-on pas plutôt les enfants à rêver et à développer leur imagination ?
    A quand la mise en avant du talent plutôt que le sexe ou la couleur de peau ?

    J’aime

    • Alivreouvert dit :

      Merci pour ton commentaire ! Le sujet est tellement vaste. C’est important de permettre à toutes les voix de se faire entendre dans l’espace culturel. Et comme tu le dis si bien, ça devrait commencer dès l’école. C’est clair qu’encourager les jeunes à prendre la parole par eux-mêmes, ce serait déjà une étape formidable pour leur faire comprendre qu’ils ont tous une place dans notre grand récit commun, indépendamment de leur origine, de leur genre ou de leur couleur de peau.

      Aimé par 1 personne

Vous en pensez quoi ?

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s