La littérature n’a jamais été aussi présente ! Où que je regarde autour de moi (la presse, les affiches de cinéma, le programme télé…), on parle de livres, de romans et d’auteurs, ce qui me fait bien sûr très plaisir. Depuis maintenant quelques années, les scénaristes ont pris le parti de dépoussiérer un peu le répertoire littéraire français pour proposer au public des relectures modernes. Et nous contemplons désormais notre propre époque par le prisme d’un passé pas toujours si différent et lointain qu’on pourrait le penser.
Aujourd’hui, je vous propose de découvrir le travail de Thomas Grascoeur qui a gentiment accepté de répondre à quelques questions pour nous présenter son travail. L’acteur-réalisateur planche actuellement sur l’adaptation d’une nouvelle de Maupassant : Les dimanches d’un bourgeois de Paris. Dans cette histoire, Maupassant nous fait découvrir un personnage qui souffre d’une dépression passagère. Pour le requinquer, son médecin lui prescrit des activités au grand air. L’occasion pour cet homme engoncé dans ses habitudes de sortir un peu de sa routine quotidienne. Thomas Grascoeur a décidé d’en faire un court-métrage, et son projet se déroulera à l’époque moderne. Un moyen de se pencher sur une époque où on commençait à parler de stress, et où la vie citadine n’avait déjà plus que des avantages… L’occasion aussi de remettre les choses en perspectives pour nous autres, citadins ultra-pressés du XXIe siècle.
Comment vous est venue l’idée de cette adaptation ?
J’ai découvert cette nouvelle de Maupassant un peu par hasard en cherchant des textes pour un projet de lectures. Elle m’a tout de suite séduit par son humour à la limite du burlesque. C’est une des premières nouvelles de Maupassant, il avait trente ans et s’est visiblement amusé à dépeindre certains de ses collègues du Ministère. Je ne m’attendais pas du tout à trouver autant de dérision et de vrai comique chez un auteur dont j’avais surtout retenu la délicate mélancolie.
En fait, au-delà de cette nostalgie assez pessimiste qui teinte ses dernières nouvelles, il décrit magnifiquement le désir (qu’il associe très souvent à la nature) et la solitude. C’est un auteur très sensuel et qui semble aimer profondément ses personnages.
Dans Les dimanches d’un bourgeois de Paris, il profite d’un argument simpliste (souffrant de malaises, un obscur employé d’administration décide de visiter Paris et sa région) pour dresser un tableau du Paris de 1880, les loisirs, les premières réunions féministes, la politique. On voit aussi apparaître des figures centrales de la vie culturelle du XIXe comme Zola ou Meissonier.
La nouvelle m’a touché également parce que Maupassant y décrit les bois situés entre Paris et Versailles, et il se trouve que j’ai grandi dans cette région ; ces bois ont été l’un de mes premiers terrains de jeux et de découverte. J’avais envie de transcrire en images les descriptions que je reconnaissais si bien. « J’aime Maupassant parce qu’il me semble écrire pour moi, non pour lui » a dit Jules Renard. L’empathie opère toujours !
En quoi cette histoire vous semble-t-elle d’actualité ? A cause du thème ou à cause du personnage ?
Si une phrase pourrait résumer l’esprit de l’adaptation, c’est « Ce qui semble le plus singulier à tout esprit qui regarde, d’un peu loin, vivre les hommes, c’est leur agitation inutile ». Le personnage central a cette distance un peu passive face au monde qui l’entoure, et Maupassant décrivait déjà un Paris oppressant, alors qu’il n’y avait encore ni voitures, ni périphérique ! C’est déjà un anti-héros, une sorte de Pickwick français qui décide d’observer le monde qui l’entoure, mais ne trouve pas comment avoir prise sur ce qui lui arrive. C’est ce qui le rend touchant.
Le thème du retour à la nature est plus que jamais d’actualité : Paris remet à la mode les bords de Seine que décrivait Maupassant, les guinguettes, les Berges, les « espaces verts », et finalement les loisirs d’un bourgeois de 1880 ne sont pas très éloignés de ceux d’un bobo de 2014.
Pourriez-vous nous expliquer quels sont pour vous les aspects les plus difficiles dans l’adaptation d’une œuvre littéraire ?
J’ai fait le choix de moderniser la nouvelle, c’est à dire de tourner avec des personnages contemporains, mais dans les lieux que Maupassant a décrits (les bois des Yvelines, les Berges de Seine…) il y a 134 ans. Il y avait des parallèles à trouver, tout en supprimant ce qui est accessoire. Par exemple, j’ai supprimé toute la description des changements de régimes politiques, les réunions féministes, etc. J’ai fait des rapprochements entre différents passages.
Il faut trouver un axe d’interprétation, une facette qu’on tient à raconter, qui va présenter des enjeux de dramaturgie tout au long du récit (pour moi c’était la problématique de la solitude et de la recherche de soi) et supprimer tout ce qui ne participe pas à raconter cette histoire. La difficulté de cette nouvelle de Maupassant, c’est quelle est très fragmentée et je ne voulais pas filmer une succession de sketches.
Par exemple, il y a un passage très drôle avec un couple perdu dans la forêt qui cherche leur chien. Je voulais absolument que ce passage de la nouvelle figure. Mais pas comme une anecdote ; ils deviennent un point central, une sorte d’image absurde de l’homme urbain complètement perdu dans la nature et qui cherche un but à son existence.
Il y avait aussi des phrases de Maupassant que je trouvais très imagées et que je voulais qu’on retrouve en images. Par exemple : « Courbé vers la terre que son œil anxieux parcoure, il s’éloigne ; il est longtemps à disparaître ; l’ombre plus épaisse l’enveloppe, et sa voix encore, de très loin, envoie son « tiit » lamentable, plus aigu à mesure que la nuit se fait plus noire et que son espoir s’éteint. » Il fallait un plan très long, trop long, où on voit justement le personnage se perdre dans la forêt. Symboliquement, c’est la perte même de son identité qu’on doit sentir dans cette nuit qui monte. On ne le revoit plus après. A la limite on peut se demander s’il a jamais existé.
Ce qui est à la fois très difficile et très excitant dans l’adaptation littéraire, c’est la confrontation entre ce que l’auteur a voulu dire et ce que nous on y lit, les images qu’on perçoit de son écriture, et au-delà, tout ce à quoi le livre fait écho dans notre univers personnel. Au final, l’adaptation d’un livre ne peut jamais être « objective », c’est toujours une relecture, une rencontre entre deux personnes, avec des instants de grâce de visions partagées.
Et enfin, quel a été votre dernier livre coup de cœur ?
En ce moment, je lis et relis surtout des livres écrits entre 1880 et 1940 (en préparation de lectures avec un pianiste, comme je suis comédien professionnel) et j’ai découvert Le Diable au corps de Radiguet, que, curieusement, je n’avais jamais lu. Et c’est mon dernier coup de cœur à ce jour, parce que j’avais l’impression de rencontrer un auteur qui me parlait, au-delà de procédés littéraires ou d’effets de convenance.
Un grand merci à Thomas Grascoeur pour avoir pris le temps de répondre aux questions d’alivreouvert. Si vous êtes intéressés par le projet, n’hésitez pas à faire un tour sur la page facebook du projet pour en savoir plus.