Loi « anti-Amazon » : la guerre du livre aura bien lieu

bookshopComme souvent dans la vie politique française, les parlementaires portent un bon projet de loi au départ, et c’est ensuite que tout se complique. La génèse de la loi dite « anti-Amazon », votée le jeudi 10 juillet dernier, était trop belle pour être vraie : les principaux partis politiques étaient tous d’accord pour protéger la filière du livre en s’attaquant aux offres agressives d’Amazon. Mais finalement, les parlementaires accouchent d’une loi peu satisfaisante, que ce soit pour les libraires ou les lecteurs.

Que vise la loi « anti-Amazon »

Outre faire de la publicité pour le géant américain en répétant son nom dans tous les médias de France (une publicité gratuite est toujours une bonne publicité), la loi a pour but primordial de lutter contre l’hégémonie d’Amazon sur la vente des livres en France (Amazon représente tout de même les 2/3 du marché français du livre en ligne). Pour assurer cette place très enviable, Amazon a deux arguments de poids : ils pratiquent systématiquement le rabais de 5% sur le prix de chaque livre, et la livraison est gratuite dès le premier livre acheté, quel que soit son prix. Deux conditions très attractives pour les consommateurs et leur porte-monnaie. Deux arguments que la loi veut supprimer en interdisant désormais le cumul du rabais de 5% avec la livraison gratuite.

Ces deux critères de promotion, les libraires ont du mal à lutter contre. Car même si les libraires sont nombreux à vendre effectivement les livres avec le rabais de 5%, ils ne peuvent pas lutter contre la tendance reine du marché : la livraison à domicile. Dans le monde du e-commerce, c’est le nerf de la guerre, et les géants comme Amazon ou Sarenza ont bâti toute leur clientèle sur l’argument massue de la livraison gratuite (et des retours gratuits si vous n’êtes pas satisfaits).

Dans un contexte où le marché se digitalise, les libraires ont du mal à trouver la bonne formule. Car pour lutter efficacement, il faut lutter à force égale. Comment organiser les librairies pour qu’elles soient de taille à lutter ? Certaines initiatives comme Paris Librairies ont vu le jour, mais la faiblesse est toujours la même : pas possible de présenter un système de livraison à aussi grande échelle qu’Amazon. Il faut dire qu’Amazon a des moyens que les libraires français n’ont pas !

Quels effets cette loi va-t-elle avoir ?

Dans l’immédiat : rien ! En effet, le jour même où la loi était votée, Amazon a déclaré publiquement son opposition à la loi et a ensuite décidé de passer outre de manière très rusée : en proposant désormais la livraison à 1 centime. Certes, ce n’est pas gratuit, mais ce prix est tellement anecdotique que les clients d’Amazon ne verront aucun problème à le payer afin d’être livrés chez eux. Les librairies Decitre ont déjà fait pareil, et d’après les rumeurs, la Fnac devrait s’aligner sur cette politique tarifaire. Après tout, ce n’est pas illégal, c’est simplement le tarif le plus bas autorisé. Précisons que pour les clients Amazon détenteurs d’un abonnement Premium, les frais de ports demeurent gratuits (puisqu’ils sont en fait payés dans le forfait de 49€/an).

En revanche, les consommateurs observateurs ont certainement remarqué que les prix n’affichaient plus le rabais de 5%. Un premier effet de la loi qui n’est pas vraiment en faveur des clients puisque le prix des livres augmentent donc légèrement.

La Fnac s’en sort plutôt bien

Avec un réseau qui compte 108 magasins sur le territoire français, c’est bien évidemment la Fnac qui doit se frotter les mains. Car même si la partie vente en ligne est pénalisée de la même manière qu’Amazon, les magasins Fnac bénéficient d’un point de détail de la loi qui n’en est pas vraiment un :

« Lorsque le livre est expédié à l’acheteur et n’est pas retiré dans un commerce de vente au détail de livres, le prix de vente est celui fixé par l’éditeur ou l’importateur. Le détaillant peut pratiquer une décote à hauteur de 5% de ce prix sur le tarif du service de livraison qu’il établit, sans pouvoir offrir ce service à titre gratuit. »

La loi ne précise aucune restriction pour le retrait du livre dans un commerce, ce qui laisse donc la porte ouverte à une vente sur internet avec livraison gratuite dans le magasin de votre choix. Pas mal pour la Fnac, et avec un peu d’imagination, les libraires peuvent aussi en faire un argument en leur faveur. A ceci près que le plus de la livraison à domicile reste… le fait que vous soyez directement livrés chez vous !

Quid des libraires et des éditeurs ?

Cette loi « anti-Amazon » a rapidement fait l’unanimité parmi les partis politiques au Parlement, mais finalement ses effets vont être assez limités et on ne peut pas dire que l’État français a réussi à mettre en place un super-bouclier pour protéger la filière du livre. Pire, je pense que cette loi risque de mettre encore plus de bâtons dans les roues des quelques éditeurs et libraires qui essayent de se faire connaître sur le net. Si grâce à son site internet un éditeur veut faire bénéficier ses lecteurs de la réduction de 5% et de la livraison offerte à domicile, il ne peut plus le faire et devra désormais limiter ses offres commerciales aux dispositions de la nouvelle loi.

D’une manière générale, il y a de quoi s’inquiéter : la loi ne propose aucune stratégie pour accompagner les librairies dans la construction d’une offre web, et taper sur les doigts d’Amazon ne fera que ralentir le géant américain sans pour autant remettre en cause sa position de leader. L’année 2014 s’annonce donc comme une grande année de bataille autour du livre. Rappelons-nous d’ailleurs du début d’année qui donnait déjà le signal du grand chaos : les librairies Chapitre mettaient la clef sous la porte sans qu’aucune solution de reprise ne soit trouvée, alors que le site internet larguait les amarres pour naviguer tout seul en tant que pure player sur la mer agitée su e-commerce français. Un signe ?

Pour les lecteurs en tout cas, le moment est venu de se poser la question : voulez-vous voir fermer toutes les librairies de France les unes après les autres ? Ou souhaitez-vous soutenir un secteur en pleine crise qui reste l’un des piliers de la culture en France ? En attendant que le gouvernement et le Parlement parviennent enfin à faire émerger une loi efficace de tout cet imbroglio, il incombe aux lecteurs de choisir leur camp. Car il est clair que les deux systèmes, librairies physiques et e-commerce, ne pourront pas coexister tant que l’un continuera de vampiriser l’autre.

3 réflexions sur “Loi « anti-Amazon » : la guerre du livre aura bien lieu

  1. Alexandra Bourdin dit :

    Merci pour cet article qui explique bien cette loi et ses conséquences. C’est marrant, j’ai publié hier un article justement sur Amazon et mon expérience des librairies avec un point de vue tout-à-fait différent en réponse à cette loi. Visiblement, cette affaire nous inspire 🙂 En même temps, en tant que blogueuses, ça nous concerne au premier plan 🙂

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  2. Catherine dit :

    C’est un article tres interessant et vivant en angleterre, je ne suis pas trop au fait de l’actualite francaise. Alors tout d’abord, merci de m’avoir eclairee dans cet article bien consruit qui explique bien les choses. Pour repondre a ta question, non evidement que je ne voudrais pas voir toutes les librairies fermer et lorsque j’etais en France, il etait rare que je commande des livres sur Amazon car j’avais Gibert Joseph a cote de chez moi et y faisait une razzia regulierement ( mais encore une fois, il ne s’agit pas du petit libraire de quartier mais encore d’un groupe). Mais depuis que je vis en Angleterre…Surtout pour trouver les livres francais…J’avoue qu’Amazon m’aide bien et que quand bien meme je n’achete pas de livres, j’ai tendance a lire les avis nombreux et bien mieux organises que sur le site de la fnac par exemple. Et que penses-tu des autres vendeurs d’Amazon, s’agit-il d’autres groupes ou est-il possible que ce soit des libraires independantes (car ces vendeurs affichent un frais de port et souvent un prix plus eleve que celui propose par Amazon)?

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    • uranie84 dit :

      @Alexandra : merci pour ton commentaire. Je suis allée voir ton article par curiosité et je l’ai trouvé très bien ! C’est sûr que nous avons tous notre point de vue sur la question, mais le plus important c’est vraiment d’en parler et de sensibiliser les lecteurs à ce sujet… car ils sont les premiers concernés !
      @Catherine : Ah Gibert Joseph ! quand j’étais étudiante en lettres modernes, j’y passais des heures ! C’est sûr qu’Amazon, c’est pratique et ça peut être économique selon les livres qu’on cherche. En revanche, leurs vendeurs sont rarement de vrais libraires ; juste des pros qui écoulent des stock sans offrir de valeur ajoutée au client ni d’expertise dans le domaine du livre. C’est la raison pour laquelle ça me semble important de continuer à proposer aux gens les 2 possibilités : Amazon et les librairies indépendantes. Merci pour ton commentaire.

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