Abracadabra ! Aujourd’hui, j’effectue sous vos yeux ébahis un tour de magie hautement magistral : je me transforme en directrice de casting ! Je m’explique tout de suite. Nous savons bien vous et moi à quel point le cinéma pille régulièrement et honteusement la littérature mondiale pour faire de plus ou moins bons films. Lassée d’attendre un futur fiasco, j’ai décidé de prendre les choses en main ! C’est pourquoi je vous propose aujourd’hui mon casting rêvé pour une éventuelle adaptation de cet excellent roman qu’est l’Affaire Jane Eyre, écrit par Jasper Fforde. Roulements de tambour !

Le Réalisateur : Le choix devrait être difficile, tant il est vrai qu’un réalisateur est la clef de voûte d’un film. Pourtant, il s’avère que ce choix relève de l’évidence : Michel Gondry bien sûr ! Qui d’autre que lui pour porter un projet aussi farfelu, aussi riche, aussi difficile à mettre en images ? Il est passé maître dans l’art de concevoir des univers visuels uniques et immédiatement reconnaissables. Comme le Tim Burton de la grande époque, il possède cette qualité rare de surprendre par l’image et d’utiliser les trucages pour apporter de l’émotion au spectateur. Michel Gondry serait capable de relever le défi de l’Affaire Jane Eyre avec brio, se jetant dans cet univers fantasque avec autant de plaisir qu’un enfant dans un parc d’attractions. Il pourrait faire un film esthétiquement audacieux, et cette histoire le mérite. Ajoutons à cela qu’il a récemment signé l’adaptation de L’Ecume des jours de Boris Vian alors que tout le monde disait ce roman inadaptable au cinéma.

Thursday Next : En imaginant à quoi devrait ressembler l’héroïne, je m’imagine une jeune femme brune, assez téméraire et surtout passionnée par ce qu’elle fait. Mais il y a aussi de la fragilité et de la tendresse en elle (particulièrement à l’égard de sa famille et de Landen). Je choisis donc Eva Green qui me semble convenir à la perfection. On ne l’a pas souvent vu dans des rôles principaux, et pourtant les personnages qu’elle a incarné (de Casino Royal à Kingdom of Heaven en passant par Cracks ou Dreamers) font d’elle une candidate sérieuse. En plus, je trouve que c’est la meilleure actrice française de sa génération. Pour preuve, la plus anglaise des actrices françaises est aussi à l’aise dans les films d’action que dans les fresques historiques ou même les comédies (voir Dark Shadows pour s’en convaincre, où elle est le seul argument positif de cette réalisation mal ficelée). Elle peut tout faire, or ce rôle impose de maîtriser toutes ces choses.

Eva Green incarne pour moi l’énergie de Thursday Next, son tempérament volontaire et son côté un peu frondeur. En même temps, elle est assez à l’aise dans le registre plus dramatique pour incarner toutes les facettes d’un personnage qui porte en elle une certaine mélancolie (dans le premier tome). Je suis donc désolée pour les candidates anglaises potentielles, mais je n’en vois aucune qui arrive à la cheville de notre frenchie.

Acheron Hadès : Il n’y a pas d’histoire sans un méchant. Et la règle veut que plus le méchant est convaincant, meilleure est l’histoire. C’est vrai dans les livres autant que dans les films. Avec cet enjeu crucial à l’esprit, j’ai commencé à lister les candidats hypothétiques. Mais il fallait déjà que je me base sur une liste des critères que l’acteur devrait remplir. Résumons : notre méchant est charismatique et très intelligent. Hyper dangereux, il n’hésite pas à tuer. Et puisque le livre est britannique (et que je viens d’octroyer le rôle principal à une française), il faudrait que j’oriente au maximum mon casting du côté d’outre-Manche. J’ai d’abord pensé à Tom Hardy, vu en Bane dans le dernier Batman, ainsi que dans Bronson et Inception. Très bon acteur, anglais, très inquiétant mais trop musclé. Il me semble qu’Acheron Hadès n’a pas besoin d’impressionner par sa force physique tant ce sont ses capacités qui font de lui un redoutable criminel.

Mon choix se porte donc sur Benedict Cumberbatch. D’accord, son nom est toujours aussi imprononçable, mais le deuxième meilleur Sherlock Holmes de tous les temps (selon ce classement) est aussi un méchant de haut niveau. Lui qui faisait montre d’une inquiétante étrangeté dans les habits du détective londonien, il m’a carrément fait froid dans le dos dans le dernier Star Trek. Ce méchant d’une rare ambiguïté, qui développe sa puissance de jeu sans jamais se départir de sa froide élégance anglaise, a même réussi l’exploit de faire l’unanimité parmi les critiques cinéphiles et des fans de la série. Ce digne héritier de l’effrayant Anthony Hopkins et de l’inquiétant Ralph Fiennes fera des merveilles en Acheron Hadès.

Monsieur Rochester : Cet homme est l’un des personnages masculins les plus remarquables de la littérature anglaise, et les plus réussis de la littérature romantique européenne. Et bien que sa côte de popularité n’égale pas celle de monsieur Darcy, il n’en reste pas moins l’un des héros des Lettres anglaises. Pourtant, curieusement, aucun acteur ne lui a jamais vraiment fait justice. Des trois adaptations que j’ai vues, j’ai toujours remarqué un léger décalage entre le personnage et son acteur : Timothy Dalton bien qu’excellent était trop beau, trop lisse ; William Hurst pas assez beau (désolée !) et légèrement trop vieux, par assez dynamique ; quant au récent Michael Fassbender, il manquait cruellement de consistance et faisait carrément minet dans certaines scènes. Non, monsieur Rochester mérite mieux que ça ! D’autant que dans l’Affaire Jane Eyre, il est le lien entre monde réel et monde fictif. C’est le point de contact par lequel Thursday Next bascule à l’intérieur de l’histoire. Autant d’enjeux qui m’ont décidé à sortir les grands moyens, et par là je veux dire Christian Bale.

Les talents de Christian Bale pour la transformation font penser à Zellig, l’homme-caméléon. Il peut tout faire, gentil comme méchant, les films d’action  comme les drames. Outre ses talents d’acteur, un deuxième argument pèse en sa faveur : il est particulièrement doué pour les personnages adaptés de romans. L’un de ses premiers grands rôles était Laury dans Les Quatre Filles du dicteur March. Il a effrayé tout le monde dans American Psycho. Il a excellé dans le double rôle du Prestige. Et puis, il y a les trois Batman. Sacré CV quand même ! C’est ce qui me fait penser qu’il serait capable de retourner à la source du personnage, d’en restituer la force, la tristesse, et de nous donner à voir la vérité d’un homme dont la vie détruite et ravagée ne peut trouver de rédemption que dans l’amour. Ça c’est pour la partie Jane Eyre, mais dans le film son aura lui permettrait aussi tenir le rôle de mentor qu’incarne aussi son personnage.

Jane Eyre : Le grand enjeu de l’Affaire Jane Eyre, c’est donc Jane Eyre. Dans le roman, ce personnage mythique n’est pas seulement le prétexte de l’histoire, elle est aussi la porte d’entrée qui permet de comprendre ce monde bizarre et merveilleux que Jasper Fforde a inventé. C’est parce que tout le monde aime Jane Eyre que sa disparition représente un tel danger pour toute la société. On peut être privé de nourriture, d’eau, de lumière, d’air, mais pas de littérature ! Il faut donc trouver une actrice capable d’incarner avec brio notre héroïne. Et après mûre réflexion, je porte mon choix sur Tellulah Riley.

Cette jeune actrice anglaise a été vue dans un double épisode de Doctor Who, les films de St Trinian, mais surtout, c’est dans le rôle de Mary Bennett (la plus austère des sœurs) dans Orgueil et Préjugés que je l’ai vraiment remarqué. Très fidèle au livre, son interprétation tout en retenue apporte une note touchante de mélancolie. Evoluant dans des costumes ternes et peu flatteurs, cette actrice au physique pourtant avantageux oscille entre l’enlaidissement et l’effacement. Presque toujours en retrait, discrète et décalée, elle joue sa propre histoire : celle de Mary Bennett, la sœur qui n’aura pas de happy end. Si vous avez l’occasion de revoir le film, je vous invite à prêter attention à l’excellent travail de Tellulah Riley, qui défend avec brio son personnage en lui donnant presque une trame narrative propre, indépendante du reste de l’histoire. Bref, je pense qu’autant de qualités feraient d’elle le choix parfait pour incarner Jane Eyre.

Voici donc à quoi ressemble mon casting de rêve pour les personnages principaux de l’Affaire Jane Eyre, celui qui me ferait rêver si le film sortait au cinéma. Je suis prête à transiger sur certains personnages, mais ce qui est sûre, c’est que pour moi un réalisateur tel que Michel Gondry aurait vraiment de quoi faire avec une histoire pareille !

J’en profite pour préciser que je suis assez surprise qu’aucun film n’ait encore été lancé (à ma connaissance). Sûrement que Jasper Fforde (qui vient lui-même du milieu du cinéma) ne veut pas céder ses droits pour le grand écran. Je suis assez partagée : d’un côté je suis ravie que certains livres soient encore laissés en paix par le tout-puissant Hollywood ; en même temps, je serais vraiment très curieuse de voir le résultat au cinéma. Même si bien sûr, rien ne vaut une lecture pour plonger profondément dans l’histoire de Thursday Next !

Et vous, quel serait votre casting idéal ?