J-7 avant la Saint Valentin. Et pendant que tout le monde commence à recevoir de la publicité pour des bougies parfumées, de la lingerie et autres cadeaux plus ou moins convenus, il est temps de parler littérature. Vous le savez, le monde des livres est riche en histoires d’amour. Certaines plus heureuses que les autres. Hélas, pour une Elizabeth Bennet qui finit avec son monsieur Darcy, combien d’Ariane finissent seules, abandonnées par le prince charmant sur une île déserte ? Il est vrai qu’en premier lieu, on n’est pas sensée embarquer sur la frégate d’un prince qu’on connaît à peine ! En suivant les péripéties des héroïnes de la littérature, on finit par se rendre compte qu’elles ne sont pas toutes une source d’inspiration romantique. Loin de là ! Afin de vous éviter de graves déconvenues sentimentales, j’ai donc décidé de vous lister les cinq héroïnes de la littérature dont vous ne devez jamais, sous aucun prétexte, suivre les conseils amoureux !

• Miss Havisham, dans Les Grandes Espérances de Charles Dickens

Si jamais vous traversez une grave crise sentimentale et que, par quelque malheureux hasard, vous croisez le chemin de Miss Havisham : fuyez ! Miss Havisham est la preuve que Charles Dickens avait une passion secrète pour les histoires d’horreur. Sinon rien ne peut explique qu’il ait eu l’idée saugrenue d’imaginer un personnage aussi terrifiant !

Certes, Miss Havisham a quelques excuses pour elle. La pauvre jeune femme a été abandonnée devant l’autel par un homme en lequel elle avait pourtant toute confiance. Mais de là à passer le reste de sa vie en portant toujours sa robe de mariée ! Sans compter les pendules arrêtées et le repas de mariage en phase de décomposition dans la salle à manger ! Encore pire : pour se venger des hommes, elle adopte une petite orpheline et l’éduque dans la haine des hommes.

Les conseils sentimentaux qu’elle vous donnerait (et qu’il ne faut pas suivre) : faire croire à un homme que vous l’aimez pour ensuite le rejeter brutalement en lui brisant le coeur ; porter toute votre vie la même vieille robe usée ; imaginer des plans diaboliques pour manipuler votre entourage ; attendre votre dernier souffle pour vous rendre compte que vous avez fait fausse route tout du long en matière d’amour.

• Natasha Rostov, dans Guerre et Paix de Léon Tolstoï

On ne le dira jamais assez : la lucidité amoureuse et la jeunesse, dans les romans, ça fait deux ! Si vous pensiez que la charmante Juliette, prête à se suicider bêtement par amour, était une exception, attendez donc de suivre la vie sentimentale de Natasha dans Guerre et Paix. De nos jours, n’importe quel thérapeute dirait que la pauvre jeune fille est enfermé dans un schéma émotionnel auto-destructeur. Déjà, sa tendance à systématiquement tomber amoureuse du premier prince qui passe a de quoi inquiéter. Mais le pire, c’est qu’elle reste parfaitement aveugle devant la tendresse que lui témoigne le gentil Pierre. Natasha aime les bad boys, et le pauvre Pierre ne fait pas le poids.

Entre ses fiançailles ratées avec Andrei, un autre personnage qui ne sait pas ce qu’il veut (c’est un fil rouge chez Tolstoï), et sa fugue avortée avec Anatole (un homme marié !), Natasha passe l’essentiel des 4 000 pages de Guerre et Paix à prendre les pires décisions qu’on puisse imaginer pour sa vie sentimentale. Et le pire, c’est qu’elle a quand même droit à une fin heureuse. Comme quoi, il y a toujours de l’espoir.

Les conseils sentimentaux qu’elle vous donnerait (et qu’il ne faut pas suivre) : ne jamais écouter les conseils avisés de ses proches ; ne pas se soucier du statut marital d’un prétendant ; envisager le suicide quand tout semble perdu.

• Lydia Bennet, d’Orgueil et Préjugés par Jane Austen

En tant que petite dernière d’une fratrie de cinq soeurs, Lydia était condamnée à trouver un moyen de se faire remarquer. Et puisqu’elle est un personnage de Jane Austen, il semblait clair depuis le début que le ridicule serait une partie prenante de son destin de fiction. Effectivement, Lydia ne nous déçoit jamais. Toujours la première pour faire des bêtises, se faire remarquer et adopter une conduite inconvenante, elle parvient en plus à embarquer avec elle sa soeur ainée Kitty. Et les pauvres Jane et Elizabeth ont bien du mal à faire rentrer dans le rang cette forte tête de Lydia.

Elle profite d’un séjour chez des relations de la famille pour s’enfuir avec un officier sans le sou. Ce qui est déjà un scandale assez grave, mais il faut encore préciser une chose : l’officier en question n’est autre que Wiskham, la nemesis de monsieur Darcy, qui a en outre flirté avec Elizabeth. Bravo pour cet imbroglio sentimental digne d’une émission de télé-réalité ! L’élément le plus intéressant chez Lydia, c’est son absence totale de remords. Bien heureuse d’être la première mariée et d’avoir pour époux un homme aussi séduisant, elle n’a cure du scandale causé. Si elle vivait de nos jours, on pourrait presque louer son aplomb et sa confiance en elle sans limites.

Les conseils sentimentaux qu’elle vous donnerait (et qu’il ne faut pas suivre) : poursuivre de vos assiduités des gentlemen inconnus ; vous enfuir avec l’un d’eux au mépris de tout bon sens ; finir par épouser le premier venu pourvu qu’il soit sexy.

• Madame Bovary, dans Madame Bovary par Gustave Flaubert

Je ne sais toujours pas si Madame Bovary est un roman qui évoque avec audace la nécessaire émancipation des femmes, ou un roman aux accents condescendants et misogynes. Toujours est-il qu’Emma Bovary est loin de véhiculer une image flatteuse pour la gent féminine ! Certes, Emma est affublée d’un mari un peu terne, elle vit dans un coin de campagne dans lequel il ne se passe jamais rien, et en prime elle n’a pas de quoi couvrir ses goûts de luxe. Et oui, la vie peut parfois être cruelle de monotonie, même pour un personnage de fiction. Ce qui n’est quand même pas une raison pour avoir des liaisons à tour de bras !

Le vrai problème d’Emma, c’est qu’elle s’accroche à une version idéalisée de sa vie, et qu’elle refuse de se concenter de ce qu’elle a. En plus, comme elle vit dans la société française du XIXe siècle, sa propre valorisation ne peut passer que par le regard que les hommes portent sur elle. C’est peut-être son point commun avec la jeune écervelée Lydia. Mais disons que si Emma Bovary avait croisé le chemin de Miss Havisham, elle se serait pris un bon coup de pied dans l’arrière-train !

Les conseils sentimentaux qu’elle vous donnerait (et qu’il ne faut pas suivre) : passer votre temps à rêver d’une vie meilleure ; tenter de résoudre votre problème d’insécurité affective par des achats compulsifs ; vous suicider pour éviter d’avoir à faire face aux conséquences de votre comportement.

• Linnet Ridgeway, dans Mort sur le Nil d’Agatha Christie

On n’en parle pas assez, mais il est souvent question d’histoires d’amour dans les romans d’Agatha Christie. Et la plupart sont tragiques. Certes dans Les Pendules, Colin et Sheila finissent par se marier. Mais dans Le Train Bleu, l’amour à sens unique de Derek pour son épouse se solde par une fin pour le moins tragique. Il est encore question d’une histoire d’amour contrariée dans Mort sur le Nil. En pleine lune de miel, Linnet Ridgeway est harcelée par son ancienne meilleure amie, Jacqueline. Il faut dire que la pauvre Jacqueline a de quoi l’avoir mauvaise : Linnet lui a carrément volé son fiancé ! L’étrange ménage à trois se poursuit lors d’une croisière sur le Nil, et même la présence d’Hercule Poirot ne sera pas suffisante pour empêcher le meurtre de Linnet.

Plus on en apprend sur Linnet, moins on l’apprécie. Ici, Agatha Christie semble nous présenter une énigme très morale, dans laquelle le personnage le plus détestable et égoïste finit par rencontrer sur son chemin une mort atroce bien méritée. Suivant ses propres caprices au mépris de sa loyauté envers son amie, Linnet n’a eu que ce qu’elle mérite. Mais est-ce vraiment la vérité ? Pour le savoir, il vous faudra lire le roman !

Les conseils sentimentaux qu’elle vous donnerait (et qu’il ne faut pas suivre) : voler le mec de votre meilleure amie et l’épouser à sa place ; jouer la carte de l’innocence vertueuse en toute circonstance ; engager le meilleur détective du monde en comptant sur lui pour jouer les gros bras en cas de coup dur.

J’espère que cette liste de conseils sentimentaux à ne suivre sous aucun prétexte vous sera utile et qu’elle vous aidera à envisager sereinement la Saint Valentin. Si vous êtes célibataire, bonne nouvelle : nous n’aurez pas à vous préoccupez d’être traqué par un meurtrier potentiel, par des créanciers ou par le spectre de vos amours perdus. Alors haut les coeurs !