Croisière littéraire : le meurtre VS la romance

En matière de littérature, les bateaux sont des endroits propices à l’aventure. L’histoire de la littérature mondiale est remplie de passagers dont les aventures nautiques ont plus ou moins bien fini. Certes, Ulysse parvient à rentrer chez lui. Mais la pauvre Ariane est abandonnée sur une île déserte par le butor Thésée. Et que dire des pauvres personnages d’Agatha Christie, qui finissent tous par souffrir d’un syndrome de stress post-traumatique après leurs vacances en mer ? Non vraiment : en littérature, la croisière ne s’amuse pas souvent. Pourtant, nous autres fans de lecture, aimons autant les meurtres en mer que les romances sur les flots. Pourquoi ça ? J’ai décidé de mener ma propre enquête avec le Fight Club livresque du jour : Croisière littéraire, le meurtre VS la romance. Que le match commence !

  • Meurtre ou romance : lequel est le plus célèbre ?

lecture-merLes histoires de navigation datent de bien avant l’invention du roman. Dans l’Antiquité, nombre d’histoires qu’on se racontait et qu’on mettait en scène dans des pièces évoquaient déjà les aventures sur les mers. Je ne vais donc pas me lancer dans une étude historique approfondie. Restons dans le domaine de la littérature moderne ! Or, à notre époque, c’est facile de remarquer que les croisières mortelles l’emportent haut la main sur les romances.

Les romans policiers qui se déroulent à bord d’un navire font partie de cette sous-catégorie du policier qu’on appelle « le huis clos ». Il s’agit de coincer des personnages tous ensemble dans un lieu dont ils ne peuvent pas sortir. On laisse macérer et on attend qu’un meurtre survienne. Ce n’est pas une vision très optimiste de la nature humaine. Mais j’imagine que si, en tant qu’espèce, les humains étaient plus vertueux, Agatha Christie n’aurait pas fait carrière. Car la reine du crime était un peu une spécialiste en la matière. Bateaux, trains, île… elle adorait jouer avec ce sous-genre littéraire. Et elle n’est pas la seule. Si vous cherchez un peu, vous trouverez facilement des exemples de romans policiers qui se déroulent à bord de navires. J’ai d’ailleurs dressé une liste sur ce thème.

Puisque la romance est un genre plus récent, c’est aussi celui qui s’est intéressé le plus tardivement au thème de la croisière. Je pense que l’essor de la chick lit, il y a une vingtaine d’années, a apporté une grande richesse à la romance. Et c’est à peu près au début des années 2000 que les romances façon croisière ont commencé à fleurir. Mais d’après ce que je constate, ça ne fait que quelques années que ce type d’histoires romantiques a vraiment pris de la place en librairies. Sans surprises, ce sont plutôt les romancières anglo-saxonnes qui imaginent des comédies romantiques à bord de bateaux.

  • Pince-mi et pince-moi sont sur un bateau…

Au départ, quel est le concept du roman « à bord d’un bateau » ? Le principe est en fait le même dans le cas du roman policier et de la comédie romantique. On trouve un prétexte pour rassembler tout le monde à bord. Et une fois qu’ils sont dans le même bateau, on laisse s’exprimer la nature humaine. Dans un cas c’est la pulsion de mort qui l’emporte. Et dans l’autre, c’est le désir.

D’après mon expérience de lecture, il n’y a pas de différence dans cette partie « prétexte » du début de l’histoire. Les deux commencent de la même façon. On a l’impression que les personnages sont à bord pour une raison anodine. Et en fait, les péripéties les attendent dès qu’ils prennent la mer.

  • Qui a les meilleures histoires ?

Evidemment, le roman policier part avec une longueur d’avance puisque ses romans sont plus célèbres ! Tout le monde a déjà entendu parler de Mort sur le Nil, qui reste le best-seller absolu en matière de meurtre à bord d’un navire. Il me semble aussi que Croisière Maudite est une des intrigues les plus appréciées de la série des enquêtes de l’inspecteur Pendergast, écrite par Preston & Child.

Du côté de la romance, si je vous demande de me citer le titre d’un livre, je pense que la plupart d’entre vous serez bien en peine de me répondre. Et c’est bien normal, la romance n’a pas un seul roman aussi iconique que Mort sur le Nil. Spontanément, je pense à l’excellente comédie romantique de Cassandra Rocca, Dans le même bateau. Mais même celui-ci n’est pas à ce point connu.

Mais est-ce que la popularité équivaut à dire que les histoires sont meilleures ? Dur dur de répondre à cette question. Ce qui est sûr, c’est que si Mort sur le Nil est devenu aussi connu au départ, c’est justement parce que l’histoire a rencontré un grand succès auprès du public, qui a adoré se faire mener en bateau (désolée !) par cette intrigue pleine de fausses pistes.

  • Petits secrets et grosses ficelles

lecture-plageEt d’ailleurs, les romans à bord de bateaux sont-ils si bons que ça ? Comme pour tous les romans en huis clos, il ne suffit pas d’enfermer des personnages dans un lieu précis pour que les lecteurs soient automatiquement captivés. Encore faut-il proposer quelque chose en plus. Et par là, je veux dire : trouver une bonne intrigue et proposer des personnages auxquels on s’attache.

J’avais adoré Escaping from Houdini, le thriller de Kerri Maniscalco qui se déroule à bord d’un paquebot de luxe au siècle dernier. La romancière américaine en profite pour imaginer que Harry Houdini est d’autres artistes de cirque sont à bord pour faire des spectacles. Et ils font de parfaits suspects quand une série de meurtres commence à frapper les riches passagers du navire. Mélanger un personnage historique et le thème des illusions avec la traque d’un tueur en série qui met en scène ses meurtres était une excellente trouvaille. Et puisque le meurtrier est forcément à bord, on se met à mener l’enquête en même temps que l’héroïne. Ce qui est à la fois grisant et frustrant.

Mis à part cet exemple, il faut reconnaître que les romans dont l’intrigue se déroule sur un bateau ont toujours recours au même genre de stratagème. Pour les policiers, on découvre que chaque personnage a quelque chose à cacher. Et pour la romance, ce sont généralement des personnages qui ne peuvent pas se voir en peinture qui finissent par céder à leur attraction mutuelle. Pas très original, non ?

  • Lequel est le plus dépaysant pour son lectorat ?

Là, il faut bien reconnaître que la romance a le plus souvent un train d’avance (hahaha !) sur le roman policier. Ce qui est logique quand on y pense. Pour faire rêver son lectorat, une comédie romantique doit présenter un cadre qui donne envie de s’y arrêter pour bronzer sur la plage. Donc ce sont rarement des paysages désolés ou gelés qui servent de cadre aux romances nautiques. Dans Duel au soleil, Angie Hockman choisit les îles Galapagos comme cadre pour son récit. Un choix original qui lui permet de livrer quelques infos amusants sur la faune, la flore, et sur la tradition d’un tonneau/boîte aux lettres où ce sont les touristes qui servent de facteurs !

Pour les romans policiers en revanche, on ne s’attend pas forcément à découvrir un cadre de carte postale. En fait, ce qui compte, c’est plutôt ce qui se passe à bord du bateau que le paysage en toile de fond. Un détail qui n’a jamais gêné Agatha Christie, qui prenait souvent un malin plaisir à planter le décor de ses intrigues dans des lieux magnifiques. Le contraste n’en était que plus saisissant. Mais en ce qui concerne les polars contemporains, vous trouverez plus souvent des destinations « spéciale grisaille » que « soleil et noix de coco » !

  • Lequel nous fascine le plus ?

C’est peut-être LA question la moins confortable. Je pense globalement, nous avons plus d’attrait pour les policiers qui se déroulent à bord d’un navire que pour les romances. D’abord parce que le roman policier reste encore aujourd’hui le genre littéraire le plus populaire dans les pays occidentaux. Et ensuite parce que nous aimons observer à la loupe des personnages pris au pièce d’un espace dont ils ne peuvent pas s’échapper. Le côté implacable du huis clos en mer fonctionne à merveille. Et il nous fait d’autant plus frémir que l’océan reste un espace dangereux pour nous autres, êtres humains. C’est un lieu sauvage qui nous rend humble, à la merci du danger.

Certes, les romances en mer sont dépaysantes… à la manière d’un joli fond d’écran. Elles nous font plaisir le temps que dure la lecture. Mais laissent-elles sur nous une empreinte aussi clairement marquée ? Une impression aussi durable ? Probablement pas.

  • Résultat du Fight Club livresque Croisière littéraire : le meurtre VS la romance

Dommage pour les romantiques, c’est le roman policier qui l’emporte haut la main ! Il faut croire que nous sommes tous des esprits dérangés puisque le polar en mer continue d’exercer son charme vénéneux sur nous. Mais la romance a fait un beau match. Et dans les années à venir, ce sera intéressant de voir à quel point cette sous-catégorie se développe et gagne en popularité.

Et vous, quel est votre verdict entre les deux ?

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4 réflexions sur “Croisière littéraire : le meurtre VS la romance

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