Au dĂ©but des annĂ©es 2000, on le disait moribond Ă cause de la montĂ©e en puissance du Young Adult. A l’orĂ©e des annĂ©es 2022, on le croyait mort et enterrĂ© suite Ă la rĂ©volution MeToo. MalgrĂ© les prĂ©dictions les plus sombres, le prince charmant n’a pas dit son dernier mot. Et les auteurs contemporains semblent bien dĂ©cidĂ©e Ă exhumer cette figure increvable de la littĂ©rature occidentale. Encore mieux : le prince charmant a fait sa rĂ©volution. Devenu bad boy, dĂ©fendant les droits des femmes, moins prince mais toujours aussi charmant, il se rĂ©invente pour redevenir LE fantasme de ces dames.
Il Ă©tait une fois… le prince charmant
La figure du prince charmant est aussi vieille que les contes de fĂ©es. Et pour cause : on trouve un prince dans presque toutes les histoires ! Et si certains sont des chevaliers en armures sur leurs fringantes montures blanches, il faut bien reconnaĂźtre que leur vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Certains sont transformĂ©s en bĂȘtes, d’autres en grenouilles. Il leur faut combattre des crĂ©atures effrayantes. Et parfois mĂȘme, ils doivent donner de leur personne en embrassant des jeunes filles endormies ! On passera sur le dĂ©bat du consentement parce que ce n’est pas le sujet aujourd’hui. Mais c’est vrai qu’il y a beaucoup Ă dire sur la figure du prince charmant.
On l’a longtemps reprĂ©sente toujours de la mĂȘme façon. Et les choses n’ont commencĂ© Ă changer qu’au dĂ©but des annĂ©es 2000. Le prince charmant est devenu un has-been. Pauvre de lui ! Le voilĂ dĂ©trĂŽnĂ© par la jeune gĂ©nĂ©ration de hĂ©ros issus des romans Young Adult. Harry Potter, Hunger Games et leur cohorte de personnages bien plus modernes et variĂ©s. Avec ses jolis costumes emplumĂ©s et ses maniĂšres surannĂ©es, le prince charmant ne faisait plus rĂȘver les jeunes filles. Elles lui prĂ©fĂ©raient dĂ©sormais les balafrĂ©s orphelins munis de baguettes magiques !
Le bug de l’an 2000
Au dĂ©but des annĂ©es 2000, la littĂ©rature connaĂźt une rĂ©volution comme elle n’en avait plus connu depuis… l’invention du roman peut-ĂȘtre ? Les tirages des best-sellers, les adaptations au cinĂ©ma, la vente des figurines et autres produits dĂ©rivĂ©s. Tout cela est bien gentil, mais au fond ça nous dit quoi ? Tout d’un coup, les nouvelles gĂ©nĂ©rations de lecteurs ont eu Ă disposition des histoires qui leur parlaient plus. Des histoires plus modernes, pas seulement dans leurs intrigues mais aussi dans les personnages qu’elles proposaient. On pouvait plus facilement se projeter dans les personnages de Harry Potter ou de Divergente parce qu’ils avaient un cĂŽtĂ© rĂ©aliste bien assumĂ©. Je n’ai rien contre la Belle au bois dormant, mais bon, on ne mĂšne pas la mĂȘme vie…
Non seulement toute une gĂ©nĂ©ration de nouveaux lecteurs se sont dĂ©tournĂ©s des anciens contes de fĂ©es, mais en plus les personnes de ma gĂ©nĂ©ration ont commencĂ© Ă porter un autre regard sur les contes de l’enfance. Je crois que j’appartiens Ă une gĂ©nĂ©ration plus critique, qui constate les nombreux dĂ©fauts des contes de l’enfance, qui questionne la vision de la femme qu’ils vĂ©hiculent. Je ne sais plus oĂč j’ai eu l’occasion de lire l’analyse suivante : si le personnage principal de La Belle et la BĂȘte Ă©tait un homme, jamais l’histoire ne l’aurait fait tomber amoureux de son geĂŽlier. Force est de constater que c’est vrai. Pourtant j’adore cette histoire, et cette analyse critique ne m’empĂȘche pas de l’apprĂ©cier encore. Mais l’image qu’elle donne des rapports entre hommes et femmes est quand mĂȘme alarmante !
Disney et le prince charmant 2.0
Ironiquement, c’est Disney qui a menĂ© la charge pour relooker le prince charmant. Plusieurs des films Disney de ces derniĂšres annĂ©es n’ont pas hĂ©sitĂ© Ă faire l’auto-critique d’un personnage qui ne collait plus trop Ă l’Ă©poque. Dans Il Ă©tait une fois, le prince charmant, catapultĂ© Ă New-York pour retrouver sa promise, passe pour le balourd de service. Il est perdu, dĂ©passĂ© par un monde qu’il ne comprend pas. Et sa vision de l’amour se heurte au bon sens.
Rebelotte dans La Princesse et la grenouille avec mon personnage prĂ©fĂ©rĂ© : Charlotte ! Quand elle Ă©tait petite, on lui avait promis un prince charmant. Devenue adulte, la pĂ©tillante et trĂšs dĂ©terminĂ©e Charlotte est bien dĂ©cidĂ©e Ă mettre la main sur son prince par n’importe quel moyen. Le personnage tient moins de la princesse que de Terminator, mais elle nous montre bien ce qui arrive quand on continue de croire Ă un idĂ©al inatteignable : on finit par se tromper sur le sens de l’amour, et on risque de se perdre soi-mĂȘme en cours de route. Merci Disney ! Enfin des propos pertinents !
La romance contemporaine s’en mĂȘle
Depuis les annĂ©es 1990 et le mouvement chick lit, les autrices de romances contemporaines se sont heurtĂ©es Ă un problĂšme d’envergure. Comment prĂ©senter un prototype d’homme parfait qui fasse rĂȘver les femmes, sans pour autant repartir sur l’archĂ©type dĂ©passĂ© du prince charmant ? Certaines ont brillamment bottĂ© en touche, Ă l’instar d’Helen Fielding, qui s’est inspirĂ© de monsieur Darcy, le hĂ©ro de Jane Austen, pour imaginer un nouveau genre de hĂ©ro.
Dans d’autres cas, on a eu droit Ă une belle cohorte de mĂ©decins, sportifs et hommes d’affaires. Faites un rapide tour dans le catalogue des romans Harlequin, et vous verrez que le prince charmant a Ă©tĂ© remplacĂ© par des hommes qui travaillent, qui rĂ©ussissent dans la vie autrement qu’en se croisant les pouces. Le prince charmant du XXIe siĂšcle est un type qui bosse dur, et c’est sa carriĂšre plus que son pedigree royal qui fait rĂȘver les femmes. Une Ă©volution logique si on considĂšre que les femmes actives n’ont certainement pas envie de traĂźner un boulet derriĂšre elles, aussi charmant soit-il !
Pourtant, je me pose la question. N’y a-t-il pas un tout petit peu de prince charmant dans ces personnages ? Beaucoup des attributs de ces nouveaux sĂ©ducteurs me mettent la puce Ă l’oreille. Ils sont cĂ©lĂšbres, beaux, riches… Ils jouissent d’un charisme et d’une certaine autoritĂ©. Et comme par hasard, tout leur rĂ©ussit. Oops… Et si c’Ă©tait en fait le prince charmant qui s’Ă©tait dĂ©guisĂ© en trader ?!
A force de lire des romances, j’en suis venue Ă cette conclusion, et je pense que j’ai raison. Les romanciĂšres qui Ă©crivent ces livres jonglent habilement avec des caractĂ©ristiques qui sont traditionnellement celles du prince charmant. A l’heure maniĂšre, elles lui offrent une nouvelle vie. Mais cette fois, charge Ă lui de bien se tenir ! Si certaines romances continuent de vĂ©hiculer des relations hommes-femmes fondĂ©es sur un rapport de force entre les sexes, d’autres s’intĂ©ressent justement au couple de façon moderne. Des autrices comme Sarah Morgan ou Annika Martin mettent en scĂšne des relations Ă©quilibrĂ©es entre les femmes et les hommes. Mieux, les nĂ©o-princes charmants sont souvent chahutĂ©s par ces dames. Elles leur tiennent la dragĂ©e haute et n’hĂ©sitent pas Ă remettre les hommes Ă leur place quand ils marchent sur leurs plates-bandes. Et n’attendez pas d’elles qu’elles appellent Ă l’aide quand elles rencontrent un obstacle. Elles sont leurs propres hĂ©roĂŻnes !
Alors quelle est la place du prince charmant dans ces histoires ? Il doit faire fantasmer la lectrice, c’est vrai. Mais il est moins un idĂ©al inaccessible que l’incarnation d’un homme moderne, respectueux des femmes et de leurs ambitions. Le partenaire amoureux d’une relation Ă©quitable et Ă©panouissante.
Doit-on tirer un trait sur le prince des contes de fées ?
Non, et c’est la bonne nouvelle ! Avec le regain d’intĂ©rĂȘt pour le fantastique que le Young Adult a initiĂ©, il y a plus d’histoires de princes que jamais. Et les auteurs de la nouvelle gĂ©nĂ©ration prennent visiblement un malin plaisir Ă retravailler le prince charmant pour le faire correspondre Ă nos critĂšres actuels. Le petit truc en plus, c’est qu’il y a souvent des clins d’oeil bien trouvĂ©s Ă la figure classique du prince charmant.
Dans l’univers Grisha, Leigh Bardugo a bĂąti la duologie King of Scars autour du personnage du prince NikolaĂŻ devenu roi. Le pauvre, il a bien des ennuis : non seulement son pays est au bord de la ruine, mais en plus il doit cohabiter avec un monstre qui a pris possession de son corps ! Cette habile rĂ©criture du prince maudit fait des Ă©tincelles. D’autant que NikolaĂŻ n’est pas franchement un prince oisif. Il est ingĂ©nieur et invente tout un tas de choses utiles. Mais Leigh Bardugo revient aussi Ă l’idĂ©e du prince charmeur. Impossible de ne pas tomber en adoration devant ce personnage tant il est irrĂ©sistible. Plus que sa beautĂ©, c’est son sens de l’humour et de la rĂ©partie qui font mouche. Sa maniĂšre de sĂ©duire Zoya en la challengeant est aussi trĂšs agrĂ©able Ă lire.
Dans la sĂ©rie d’enquĂȘtes policiĂšres de l’Ă©poque victorienne, Kerri Maniscalco trouve elle aussi le moyen de retravailler le prince charmant sous un nouvel angle. Et le sien est certainement plus audacieux ! Car le prince en question n’est autre que le descendant de Dracula ! Le personnage masculin principal de l’histoire, Thomas, s’avĂšre ĂȘtre le descendant de la famille royale de Roumanie. Une dĂ©couverte qui n’entame pas son capital sympathie auprĂšs des lectrices ni de l’hĂ©roĂŻne, Audrey Rose. En mĂȘme temps, elle est Ă©tudiante en sciences mĂ©dico-lĂ©gales ! Thomas, si civilisĂ©, toujours tirĂ© Ă quatre Ă©pingles, trĂšs Ă cheval sur les bonnes maniĂšres, est le stricte opposĂ© du cĂ©lĂšbre vampire. En mĂȘme temps, ses difficultĂ©s relationnelles, sa prĂ©dilection pour les environnements nocturnes et son goĂ»t pour les affaires sordides sont assez loin du prince charmant standard. En mĂ©langeant deux figures incontournables de la littĂ©rature classique, Kerri Maniscalco fait preuve de crĂ©ativitĂ©. Et au passage, elle nous montre que ce qui a surtout changĂ© avec le temps, c’est la perception que nous avons de ces personnages.
DerniĂšrement, c’est Holly Black qui a fait sensation avec la trilogie du Prince Cruel. Les livres sont rĂ©cemment parus en France aprĂšs avoir rencontrĂ© un Ă©norme succĂšs aux Etats-Unis. Leur particularitĂ© ? Il est vraiment question d’un prince de contes de fĂ©es ! Holly Black invente un monde magique, celui des Faes, dans lequel l’hĂ©roĂŻne, Jude, une humaine, se trouve confrontĂ©e au prince Cardan. On est loin de la gentille histoire d’amour puisque l’intrigue repose principalement sur leur antagonisme. MĂȘme dans un formidable royaume enchantĂ©, les jeunes femmes font dĂ©sormais jeu Ă©gal, et les princes n’ont qu’Ă bien se tenir !
La morale de l’histoire ?
Personnellement, je trouve ça trĂšs intĂ©ressant. J’apprĂ©cie de voir Ă©voluer un personnage qui Ă©tait longtemps restĂ© figĂ© dans le passĂ©. Le prince charmant jouait les belles endormies. Le voilĂ rĂ©veillĂ©, et entiĂšrement relookĂ© ! Il n’a pas tout perdu en route. L’idĂ©e de crĂ©er des personnages masculins qui font rĂȘver les lectrices n’a rien de ringard. Nous aimons ĂȘtre sĂ©duites par des personnages de fiction. Ils stimulent notre imaginaire. Et c’est plaisant de se prendre Ă ce jeu de la sĂ©duction de fiction.
Pour autant, la figure du prince avait besoin d’un bon coup de modernisation pour coller aux attentes des lectrices de nos jours. Et les romanciĂšres ont brillamment relevĂ© le dĂ©fi de nous proposer de nouveaux personnages de hĂ©ros, moins machos mais toujours aussi attirants. Encore mieux : je trouve qu’ils ont gagnĂ© en densitĂ©, Ă mesure qu’on leur offrait la possibilitĂ© d’ĂȘtre autre de plus que de simples beaux gosses plantĂ©s sur leurs chevaux. Fini l’Ă©poque du « Sois beau et tais-toi ». Le prince charmant s’est Ă©mancipĂ© et il est plus que jamais prĂȘt Ă reprendre du service !
C’Ă©tait super intĂ©ressant ! Bravo đ
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Merci beaucoup !
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