Ma relation d’amour/haine avec la rentrée littéraire

Bon d’accord, j’avoue tout. La rentrée littéraire et moi, nous n’avons pas toujours été de grandes amies. Au fil des années, ma position à l’égard de cette grand messe de la littérature française a beaucoup évolué… jusqu’à changer radicalement ! Et je dois avouer que c’est en partie à cause de mon parcours de blogueuse que j’ai changé d’avis sur la rentrée littéraire. Jusqu’à en être aujourd’hui une ardente défenseuse !

Une jeune lectrice indifférente

Lorsque j’étais encore une jeune lectrice, c’est bien simple : la rentrée littéraire ne m’intéressait pas. Quand j’étais au lycée, je trouvais que les romans présentés ne me convenaient pas. C’est vrai qu’à cette époque, j’étais en pleine phase « courant romantique ». Je lisais (presque) tout Musset, Kleist et d’autres du même genre. J’ai ensuite une phase poésie où j’ai dévoré Rimbaud, Emily Brontë, Keats… Autant dire que la littérature contemporaine ne m’intéressait pas du tout. La seule exception notable était ma lecture des tomes de Harry Potter. Une incursion moderne pas franchement dans le style de la rentrée littéraire !

J’étais pourtant étudiante en Lettres Modernes. Mais je dois dire que la rentrée littéraire n’était pas non plus un sujet qu’on abordait en cours. Les professeurs ne semblaient pas du tout s’y intéresser, vu qu’ils ne nous en parlait jamais ! Comment susciter l’intérêt d’une jeune génération, si personne ne fait rien pour susciter sa curiosité ?

Une lectrice anti-rentrée littéraire

Sortie de l’université avec mes diplômes sous le bras, je suis entrée dans le monde du travail en poursuivant ma passion pour la lecture. Je lisais beaucoup. Et comme je gagnais un vrai salaire (et pas un job d’étudiant), je pouvais enfin m’acheter des livres qui n’étaient pas des formats poche. Pourtant, en furetant dans les librairies, les nouveautés des grandes maisons d’édition ne me portaient jamais vers les ouvrages des auteurs français contemporains. Pas assez d’originalité. Trop de réalisme. Pas assez de dépaysement. Bref, je m’ennuyais ! Si je voulais me coltiner une bonne dose d’histoires terribles et dramatiques, j’avais déjà le journal de 20 heures, merci bien !

Pire que ça, j’en suis venue à détester la rentrée littéraire. Le glissement s’est opéré subtilement. Je constatais que mes goûts littéraires n’étaient absolument pas représentés dans la rentrée littéraire. J’avais la vision d’une littérature passéiste, petit-bourgeois, pas du tout originale. Je trouvais qu’on n’y valorisait que des auteurs ringards, avec des histoires snobs, qui défendaient une vision élitiste de la littérature. Trop peu de diversité parmi les auteurs. Une majorité d’auteurs masculins et blancs. Toujours les mêmes sujets qui revenaient. Et surtout, par non plus de diversité au niveau des genres littéraires présentés !

Une blogueuse à l’écoute… mais loin d’être exemplaire

C’est à peu près à cette époque que j’ai lancé Alivreouvert.net. Pour moi, ce blog littéraire était un moyen de partager ma passion pour la lecture, sans œillères, en présentant des ouvrages qui n’auraient pas eu le droit d’être présentés à la rentrée littéraire. En quelques mots, je voulais défendre la littérature de divertissement et d’évasion, celle qui fait passer un bon moment, mais qui peut aussi, à l’occasion, interpeller les lecteurs sur des sujets de société.

Au fil des mois, puis des années, le blog a aussi été l’occasion de faire de belles rencontres. Des auteurs, des éditeurs, d’autres passionnés qui avaient aussi des blogs. Globalement, dans notre microcosme de défenseurs de l’imaginaire, nous étions assez peu concernés par la rentrée littéraire.

Mais découvrir l’envers du décor dans le monde de l’édition a aussi été l’occasion de mieux prendre la mesure de la crise du livre. Les difficultés financières des maisons d’édition, particulièrement les petites. Des enjeux qui ont des conséquences directes sur la capacité de ces maisons de publier plus ou moins de livres, de prendre plus ou moins de risques avec des livres disruptifs. Et c’est là que la rentrée littéraire a commencé à prendre tout son sens. Certes, les médias traditionnels évoquaient toujours un peu le même genre d’ouvrages, jetaient la lumière sur les auteurs les plus connus ou la sensation du moment. Mais les maisons d’édition défendaient aussi d’autres ouvrages, moins mis en valeur, mais quand même édités. Était-ce moi qui refusait de voir la diversité ? Ne voulais-je pas faire l’effort de faire par moi-même le tri parmi toutes ces nouveautés ?

Sans compter que je n’étais pas plus vertueuse que les grands pontes de la rentrée littéraire. Je voulais défendre la diversité de lecture. Mais je chroniquais toujours le même genre d’ouvrages. Des romances, des romans historiques, un peu de policier. Je ne faisais pas l’effort de lire autre chose, d’élargir mes horizons. J’étais moi-même le cliché que je détestais tant.

Remise en question et défense de la rentrée littéraire

J’ai déjà eu l’occasion d’écrire un article dans lequel j’expliquais pourquoi la rentrée littéraire était importante pour l’industrie du livre. Économiquement, c’est un rendez-vous crucial qui permet aux gens du secteur de vivre. Les éditeurs et les auteurs, mais aussi les libraires indépendants et les imprimeurs (ne les oublions pas !). Je ne reviendrais donc pas là-dessus.

A un niveau plus personnel, je veux dire aussi que la rentrée littéraire représente toujours pour moi un sacré défi. J’ai tendance à privilégier ma zone de confort (un peu comme tous les lecteurs, non ?). Et m’en écarter me demande un effort. J’essaye de découvrir plus de choses, d’autres genres et d’autres auteurs. Pendant la rentrée littéraire, j’essaye surtout de faire preuve d’ouverture d’esprit. Et cet effort a souvent été récompensé par de belles découvertes. Des livres émouvants, qui ont trouvé un écho particulier en moi, alors qu’en temps normal, je ne leur aurait peut-être pas laissé leur chance.

J’ai décidé d’écrire cet article parce que cette année 2020 est particulière. L’industrie du livre a besoin d’être défendue. Mais les sujets de société soulevés par les mouvements MeeToo et BlackLivesMatter, avec les échos qu’ils ont trouvé en France, démontrent aussi que la littérature est à un croisement. Elle doit faire l’effort de promouvoir plus de voix différentes. Encore faut-il que nous, lectrices et lecteurs, fassions l’effort d’être à l’écoute.

Je ne dis pas ça pour faire la morale à qui que soit. Je ne suis pas meilleure que les autres. Mais quand j’observe sur la toile certaines voix qui s’élèvent pour crucifier la rentrée littéraire en la jugeant trop élitiste, je voudrais simplement rappeler qu’il faut faire l’effort de regarder au-delà des évidences et des a priori. Il y a une vraie richesse dans la rentrée littéraire. Et elle est à portée de main pour quiconque veut bien s’en saisir.

10 réflexions sur “Ma relation d’amour/haine avec la rentrée littéraire

  1. Acherontia Nyx dit :

    Merci pour ce bel article ! J’ai longtemps été de ces lecteurs qui « boudent » la rentrée littéraire, précisément parce que j’avais du mal à y trouver mon compte. Et finalement, tu as tout à fait raison, c’est un moment crucial pour le monde de l’édition, et il peut parfois réserver de jolies surprises littéraires…

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    • Alivreouvert dit :

      Je crois que nous sommes nombreux à avoir cette même relation un peu chaotique avec la rentrée littéraire. Et c’est en partie parce que les maisons d’édition ne font pas assez oeuvre de pédagogie pour expliquer en quoi ce rendez-vous est essentiel pour maintenir l’activité du monde du livre.

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  2. topobiblioteca dit :

    Merci de cet article moi qui suis libraire je vois l’importance de ce moment dans la vie littéraire française et il se cache beaucoup beaucoup de pépites dans la littérature contemporaine… Allez en librairie et demandez des conseils et les coups de coeur de vos libraires …

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    • Alivreouvert dit :

      Merci, ça fait plaisir d’avoir le retour d’une libraire ! Et c’est vrai qu’en cette période où on a du mal à s’y retrouver sous l’avalanche de nouveautés, les libraires sont les guides parfaits pour nous permettre de rencontrer LE livre qui risque de nous intéresser et de nous plaire. Les libraires, ce sont un peu les éclaireurs de la rentrée littéraire !!

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