Soif, roman d’Amélie Nothomb

Rentrée littéraire oblige, c’est enfin l’heure de découvrir le nouveau roman d’Amélie Nothomb. La romancière est réglée comme une horloge : chaque année à la même époque, elle dévoile son nouveau livre. Au début de mes années de fac, j’étais fan d’elle et j’ai lu dans la foulée plusieurs de ses romans que j’ai adoré. Mais ensuite, j’ai eu un petit passage à vide. Et j’ai vraiment redécouvert Amélie Nothomb il y a quelques années avec ses derniers romans inspirés de contes. J’ai beaucoup aimé son livre de l’année dernière, Les prénoms épicènes. Et du coup, j’avais particulièrement hâte de lire son petit nouveau. D’accord il parle des dernières heures du Christ, et a priori ce n’est pas un sujet joyeux. Mais bon : avec Amélie Nothomb, il ne faut pas trop se reposer sur les évidence. La surprise n’est jamais loin.

Il est désormais tout seul. Lui qui était entouré de fidèles et de curieux il y a encore quelques jours, il doit désormais faire face aux accusations de la justice romaine. Devant lui, ses accusateurs défilent, et le jugement ne tarde pas à tomber : la mort par crucifixion. Pour Jésus Christ, l’histoire est sur le point de finir. Mais l’homme a encore une longue nuit devant lui, avant sa dernière journée annoncée. Une nuit pour se souvenir du chemin qui a été le sien et qui l’a mené dans sa cellule.

Savoir que, pour son nouveau roman Soif, Amélie Nothomb avait choisi d’évoquer la figure du Christ a éveillé en moi des sentiments mitigés. D’abord, il faut bien admettre que ça a un peu refroidi mes ardeurs de lectrice : j’avais peur que ce soit très dramatique, et peut-être même ennuyeux. Grossière erreur : on peut critiquer Amélie Nothomb pour certaines choses, mais même les lecteurs qui ne l’apprécient pas ne peuvent pas dire que ses livres sont ennuyeux. Autre élément perturbant, j’avais peur que ce livre soit un peu « hors champ », qu’il évoque la religion en faisant abstraction de ce qu’elle représente aujourd’hui, une trame complexe dans laquelle il est parfois délicat de délier l’inspiration du fanatisme.

Dès le début de la lecture, il m’est apparu que Soif allait déjouer tous mes doutes. Il a suffit de quelques pages pour que j’adhère complètement à l’histoire racontée par Amélie Nothomb. Le choix du sujet n’est peut-être pas original. Ce qui est original, c’est l’angle par lequel la romancière choisit de raconter Jésus. Elle évoque non pas le fils de Dieu, mais l’homme. Soif est un roman puissant sur l’humanité, dans son incarnation la plus célèbre et peut-être aussi la plus sublime. Un être d’amour, porté vers les autres, qui répète son message et tente par tous les moyens de se faire comprendre par les autres humains qu’il croise sur sa route.

Amélie Nothomb nous peint un Jésus profondément humain, donc imparfait et touchant, conscient de ses propres limites, parfois confronté au doute et à la peur. Un être lumineux, porté vers l’optimisme, qui célèbre la vie et la joie à chacun de ses pas, même s’il sait que sa fin sera brutale. A travers lui, la romancière parle aussi de nous, de ce que nous avons retenu de Jésus. Car mis à part l’héritage purement religieux, Jésus reste tout de même la figure historique la plus connue au monde. Pourquoi ? Que signifie-t-il pour nous ? Quelle inspiration pouvons-nous espérer trouver en lui ?

En moins de 200 pages, Soif est l’un des romans les plus denses que j’ai lu dans ma vie. Il évoque beaucoup de choses, et Jésus devient la clé d’entrée pour comprendre la complexité de l’humanité. C’est une excellente idée, et c’est d’autant plus pertinent que la religion continue d’être un sujet pour le moins sensible, encore au XXIè siècle. Amélie Nothomb le met en scène avec pudeur, mais aussi avec une joie de vivre troublante. Comme si, même au seuil de sa propre mort, Jésus ne pouvait pas être autre chose qu’une célébration de la vie.

En filigrane, Soif démontre aussi qu’Amélie Nothomb est parvenue à un tournant dans son écriture. Ce roman est, étrangement, un manifeste en faveur de l’épicurisme. Il replace le corps humain au centre du récit, pas seulement dans sa dimension esthétique (parce que l’image de la crucifixion est l’une des plus connues au monde), mais aussi et surtout dans sa dimension sensorielle. L’humanité de Jésus ne relève pas que des émotions, mais aussi de sa capacité à ressentir physiquement les choses. L’incarnation de l’homme est là, dans ces petites sensations qui nous prouvent que nous sommes en vie. Et c’est cette expression de la vie qu’Amélie Nothomb célèbre dans Soif.

L’auteure « cérébrale » est-elle devenue une épicurienne ? Au fil de ses derniers livres, il devient évident qu’elle laisse maintenant s’exprimer une part d’elle qui n’était pas présente dans ses premiers livres. La détestation et le trouble liés au corps (notamment dans Antéchrista), a laissé la place à une relation pacifiée, construire sur un émerveillement sincère. Si vous n’aimiez pas les précédents romans d’Amélie Nothomb, c’est peut-être le moment de la redécouvrir. Car dans ce nouveau roman, elle livre des choses d’elle-même qu’elle n’évoquait pas avant. A la lire, on la sent désormais habitée par une singulière sérénité. Comme si in nouveau chapitre de sa carrière d’auteure s’ouvrait maintenant.

8 réflexions sur “Soif, roman d’Amélie Nothomb

    • Alivreouvert dit :

      Franchement, je te le conseille. Le destin de Jésus n’est pas tant abordé sous un angle religieux que sous un angle humain. Le roman interroge beaucoup notre rapport à lui, à son message. Il souligne qu’on a surtout gardé de lui l’aspect religieux, au détriment de l’homme, ce qui a tendance à laisser de côté des aspects pourtant très intéressants. Il aborde vraiment comme une source d’inspiration et de célébration de la vie. C’est, assez paradoxalement, un roman très joyeux… même s’il parle de avant tout de la mort du Christ.

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  1. CuriousCat dit :

    Merci pour cette analyse très intéressante. 🙂

    Même si je manque de temps pour lire, j’ai commencé à découvrir Amélie Nothomb au travers de vidéos. Dimanche dernier (22/09), invitée par Laurent Delahousse, sa présentation de « soif » et surtout son échange avec Clémentine Célarié, et ses explications, m’ont donnée envie de lire son nouveau livre.

    Ce commentaire renforce d’autant plus cette envie. 😉

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