Les Femmes de Brewster Place, roman de Gloria Naylor

Depuis qu’il est paru chez Belfond dans la belle collection Vintage, le roman de Gloria Naylor me faisait très envie. Malheureusement, faute de temps de lecture disponible, j’ai été obligée d’inscrire Les Femmes de Brewster Place sur ma liste de livres à lire. Finalement, pendant le dernier Salon du Livre de Paris, j’ai trouvé la version poche sortie chez 10-18 et là, j’ai saisi l’occasion pour enfin lire ce roman. Toute une épopée depuis sa parution en format broché l’année dernière ! Mais parfois, ça vaut le coup d’attendre. Je ne sais pas vous, mais moi, mais moi j’ai beaucoup de plaisir à ces petits rendez-vous manqués avec des livres. On en a très envie sur le moment, et puis le moment passe, on passe à d’autres livres… et finalement quand le livre ressurgit devant nous, on a plaisir à tomber dessus comme par hasard. En plus, après tous les gros pavés que j’ai lu récemment, c’était un vrai plaisir de plonger dans les pages d’un roman de taille plus modeste. Décidément, tous les éléments étaient réunis, les étoiles étaient alignées dans le ciel, pour que je lise ce roman !

Les femmes qui habitent à Brewter Place ont toutes quelque chose à raconter. Chacune a son histoire, jalonnée de drames, de bonheurs, de chance parfois. Dans l’Amérique des années 1970, ce quartier d’une petite ville anonyme n’offre pas beaucoup de perspective à ses habitants. Sorte de ghetto, Brewster Place est aussi un endroit où chacun peut espérer se réinventer. C’est ce qui arrivé à Mattie, la plus âgée des dames. Après avoir perdu une vie à laquelle elle tenait tant, la vieille femme n’a pas eu d’autre choix que de tout reconstruire dans cet immeuble un peu minable. Mais c’est là qu’elle s’est lié d’amitié avec Etta Mae, une femme indépendante d’un caractère volcanique. D’autres femmes font aussi partie de cette petite communauté : Cora Lee et sa ribambelle d’enfants, Ciel qui vit un drame atroce, la jeune Kiswana en pleine révolution sociale, et aussi Lorraine et Tee, les deux colocataires de l’appartement 312 qui font jaser tout le quartier. Les liens qui unissent ces femmes sont plus importants que les drames qu’elles rencontrent sur leur chemin. C’est le secret merveilleux de Brewster Place.

Le roman de Gloria Naylor a été publié pour la première fois dans les années 1980, et depuis c’est devenu un livre culte aux Etats-Unis où il a réussi à se hisser à la même hauteur que La Couleur Pourpre. C’est dire si on est face à un bon livre !

De fait, Les Femmes de Brewster Place est un roman qu’on pourrait classer dans la catégorie des romans réalistes à tendance militante. Voici un livre qui raconte l’histoire d’amitiés féminines mais qui ne se contente pas de raconter une belle histoire : il veut aussi raconter la violence à laquelle ces femmes de couleurs sont confrontées. A cause de leur sexe et à cause de la couleur de leur peau, elles sont doublement en position de faiblesse. Exposées à la violence de la société et à la violence des hommes, elles n’ont souvent que peu de recours pour se protéger elles-mêmes. En cela, ce livre porte une dimension historique et sociale très importante et même un peu militante car il montre la force de ces femmes qui n’ont pas d’autre choix que de se battre pour survivre.

J’ai été particulièrement émue en lisant ce livre car même s’il aborde des sujets très graves et parfois violents, il le fait avec beaucoup de pudeur et de tendresse. On sent que Gloria Naylor aime ses personnages et qu’elle ne cherche pas à verser dans le subversif en racontant leur vie. Elle veut donner à voir une réalité cachée, faire entendre la voix de ces femmes tapies dans l’ombre de l’histoire. Chacune des histoires de ces sept femmes est chargée en émotion et en vérité. Elles sont toutes très différentes, ce qui confère une vraie richesse à l’histoire, mais elles se rejoignent dans leurs meurtrissures. Aucune de leurs vies n’est facile et c’est la précarité de leur condition qui les a rendu solidaires.

Le livre se décompose par personnage, dressant à chaque fois le portrait d’une femme et fournissant les clefs pour comprendre son histoire. Au fil des portraits, on commence à voir quels sont les liens entre les femmes, et de quelle manière elles peuvent influer sur la vie des unes et des autres. Du coup, le livre prend forme petit à petit. On a l’impression qu’il commence comme un recueil de nouvelles mais en fait tout prend forme et une histoire générale se dégage petit à petit.

Cette lecture a été très riche en émotions mais aussi très agréable parce que le livre ménage plusieurs surprises. Gloria Naylor écrit avec une sincérité touchante qui ne peut pas laisser les lecteurs indifférents. Et je comprends facilement la place qu’il occupe dans la littérature américaine parce qu’il dresse un portrait sans concession de cette société des années 1970 dans laquelle les afro-américains luttent pour exister, dans laquelle les femmes sont loin d’être des égales des hommes, et où il faut se battre chaque jour sans répit. Une lecture essentielle.

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