Fightclub : Jane Austen VS les soeurs Brontë

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C’est l’heure de l’affrontement final ! Après des siècles de valse hésitation pour savoir qui est le plus grand génie littéraire féminin d’outre-Manche, je vous propose aujourd’hui de départager une bonne fois pour toutes les plumes anglaises. A ma gauche : Jane Austen, romancière adulée dont les histoires d’amour continuent de passionner les foules de jeunes filles en larmes. A ma droite : les sœurs Brontë, trio littéraire infernal qui a donné un grand coup de pied dans le roman sentimental en faisant gronder un vent dramatique au beau milieu du romantisme anglais. De part et d’autre, des foules compactes sont là pour soutenir les adversaires. Chacun a choisi son camp, il ne reste plus qu’à donner le coup d’envoi de cette rencontre explosive entre ces plumes féminines.

Qui a les meilleures histoires ?

Jane Austen : Une fille rencontre un garçon. Ils semblent destinés l’un à l’autre mais l’incompréhension mutuelle ne rend pas possible leur amour. Après bien des détours, ils réalisent qu’ils sont faits l’un pour l’autre et dépassent alors les problèmes de famille/d’argent/de position sociale pour se retrouver et se marier finalement. Bon, là je vous ai donné le schéma de presque toutes les histoires de Jane Austen. Question originalité, on repassera ! Car même si le scénario est plaisant, on ne peut pas dire que les variantes, d’un roman à l’autre, sont assez importantes pour faire oublier cette ligne directrice.

Team Brontë : Bigamie, enfants adoptés, pensionnats pour orphelins, amours d’enfance contrariés, violence conjugale… ça déménage beaucoup plus chez les Brontë ! A l’époque de Jane Eyre, beaucoup de lecteurs ont même été choqués par la bigamie d’Edward Rochester. C’est vrai que ce n’est pas franchement un sujet qu’on trouve tous les jours dans un roman, mais c’est justement ce qui donne tout le sel à l’histoire. Bien qu’elles aient des thèmes en commun, les sœurs Brontë ont chacune leur propre sensibilité, et les histoires qu’elles construisent sont très différentes les unes des autres. Une diversité qui fait la richesse de leur œuvre.

Le point est pour : la Team Brontë.

 

Qui a les meilleurs personnages ?

Jane Austen : Tous aussi charmants les uns que les autres, même s’il arrive qu’on ait envie de les étriper à petit feu, les personnages de Jane Austen sont animés d’une vie qui leur est propre et surtout d’une authenticité qui nous les rend d’autant plus crédible. On a toujours l’impression, en les lisant, qu’on pourrait les croiser dans la rue. Ils reproduisent nos qualités autant que nos défauts, et madame Bennett reste l’une de mes mères préférées dans toute l’histoire de la littérature ! Jane Austen savait observer ses contemporains, et elle peint les caractères des uns et des autres avec une grande justesse. Elle sait particulièrement jouer sur les nuances : certains personnages oscillent ainsi entre irritation et tendresse car ils offrent plusieurs facettes à la compréhension du lecteur. Impossible de ne pas être touché par ces gens qui le plus souvent respirent la joie de vivre.

Team Brontë : Un jour, on découvrira que les sœurs Brontë étaient en fait des tueuses en série… et personne ne sera surpris ! Chez elles, les personnages sont pour le moins… comment dire… noirs et tourmentés. Les hommes autant que les femmes sont sujets à des crises, à des déprimes et à des coups de sang tellement violents qu’on peut parler de troubles du comportement. Si un psychothérapeute s’installait dans les pages des Hauts de Hurlevent, il ferait fortune ! Les personnages des sœurs Brontë portent toute la misère du monde sur leurs frêles épaules ; ils ont été frappés par tous les malheurs du monde. Monsieur Rochester finit avec des doigts en moins et il ne peut plus voir ; Heatcliff se tape la tête contre les arbres la nuit en hurlant à la mort. Non franchement, on se demande quel genre de personnes les sœurs fréquentaient car elles dépeignent systématiquement des êtres troublés qui n’arrivent pas à trouver leur place dans le monde. Leur incompréhension de leurs semblables est si grande qu’on peut parfois songer à des cas de sociopathes.

Le point est pour : Jane Austen.

 

Qui est la plus sympa ?

Jane Austen : Les témoignages concernant Jane Austen proviennent surtout de sa sœur Cassandra (qui n’était peut-être pas objective), de ses frères et de ses amis. Car oui, Jane Austen avait une vie sociale plutôt bien remplie. Même si l’écriture n’a pas fait d’elle une femme riche, elle a au moins pu vivre confortablement avec ses revenus et devenir une femme relativement autonome, ce qui pour l’époque était un bel exploit. Tous les témoignages qui nous sont parvenus à son sujet font état d’une femme brillante, très sociable et proche de sa famille. Le genre de personne qu’on invite à dîner en étant sûr qu’on ne va pas s’ennuyer. Le genre à mettre l’ambiance sur la piste de danse. Bref, la bonne copine que tout le monde souhaite avoir dans son carnet d’adresse.

Team Brontë : Non seulement on ne sait pas grand-chose de la vie des sœurs Brontë, mais en plus le peu qu’on sait n’est pas du tout enthousiasmant. La famille Brontë était un peu recluse (sauf le frère qui passait sa vie dans les tavernes) et ça ne devait pas rigoler tous les soirs. Si on ajoute à ça un taux de mortalité très élevé, on imagine bien l’atmosphère au presbytère de Haworth où vivait la petite famille. La mère est morte, deux sœurs sont mortes, le frère est mort, et puis finalement les trois sœurs sont mortes. Le poisson rouge aussi s’est suicidé. Non, je plaisante ! Enfin, à peine ! Quand on est un tant soit peut attaché au bonheur, on ne va pas chercher la célébration de la vie chez les Brontë. Ces filles-là passaient leurs journées à errer sur la lande en attendant que la mort vienne les chercher. Triste vie pour des esprits si agités.

Le point est pour : Jane Austen, haut la main. Le prozac est pour : les sœurs Brontë.

 

Qui est la plus féministe ?

Jane Austen : Dans les contes de fée, je trouve que les filles ne sont pas forcément mises en valeur. Elles restent là les bras ballants à rêver à l’amour, elles subissent le pire en attendant que le prince charmant arrive, et quand il est là, elles plaquent toute leur vie pour aller vivre dans un château. Quel beau message envoyé aux petites filles ! Eh bien chez Jane Austen, c’est un peu la même chose : la course au mariage. Certes, ses romans correspondent à une époque où la seule carrière que peut espérer une femme, c’est le mariage. Du coup, trouver le bon parti ressemble un peu à la course à l’échalote ! Tout de même, ses romans ne sont pas franchement modernes. Les filles sont trop peu lucides pour prendre les bonnes décisions (Marianne dans Raison & Sentiments, Emma dans Emma, Anne dans Persuasion, Lydia dans Orgueil & Préjugés) ou alors elles se résignent tout simplement car il n’y a pas d’autre issue possible (Charlotte Lucas dans Orgueil & Préjugés mérite la palme du pragmatisme). Dans le meilleur des cas, elles trouvent fort heureusement un happy end sur leur chemin qui leur permet de se marier à quelqu’un de pas trop mal. Pas franchement des suffragettes !

Team Brontë : Elles travaillent, elles quittent des maris violents, elles refusent d’accepter les convenances sociales : les filles Brontë sont très rock n’roll ! Très modernes dans leur état d’esprit mais aussi dans leurs actions, elles refusent le plus souvent de transiger sur quoique ce soit. Le meilleur exemple de ça est évidemment Jane Eyre dont l’esprit incorruptible fait d’elle l’un des personnages féminins les plus remarquables de toute l’histoire de la littérature mondiale. Mais il faut aussi souligner l’aspect résolument moderne et féministe du roman La Chatelaine de Wildfell Hall, écrit par Anne Brontë, et qui préfigure déjà ce que seront les romans féministes près d’un siècle plus tard. A noter que la féminité est souvent associée à la nature indomptable chez les Brontë. Comme si ni les hommes ni la morale ne pouvaient les faire plier.

Le point est pour : la Team Brontë dont l’esprit girl power, un siècle avant l’invention du féminisme, mérite d’être salué.

 

Qui a les plus beaux mecs ?

Jane Austen : Tous les romans de Jane Austen ont fait l’objet d’adaptations, et forcément les castings se sont rarement faits au hasard. Et dans toutes ces histoires d’amour, il y a évidemment eu pas mal de beaux acteurs pour faire défaillir le public féminin. Le plus connu et le plus emblématique reste bien sûr Colin Firth avec sa chemise mouillée dans l’adaptation d’Orgueil & Préjugés signée par la BBC. On notera aussi que Hugh Grant et Alan Rickman jouaient côte à côte dans l’adaptation de Raison & Sentiments. Enfin, on notera la présence du très élégant Rupert Penry-Jones dans Persuasion.

Team Brontë : Attention les yeux ! Si les sœurs Brontë n’ont pas connu une vie sentimentale trépidante de leur vivant, on peut dire que leur sex-appeal a grimpé en flèche post-mortem ! Jugez plutôt : Laurence Olivier, Ralph Fiennes et Tom Hardy ont chacun incarné Heatcliff (dans des versions différentes évidemment) ; Timothy Dalton et Michael Fassbender ont incarné Edward Rochester ; Toby Stephens a incarné Gilbert Markham. Quand même !

Le point est pour : Difficile de les départager mais je vais quand même dire la Team Brontë. Les meilleurs acteurs de chaque génération viennent faire un tour du côté des personnages torturés des Brontë et leur donnent corps. Le potentiel de séduction des sœurs Brontë mérite donc de remporter ce point durement gagné.

La victoire finale est donc pour les sœurs Brontë ! Le combat fut acharné, mais finalement la sororité l’a emporté en soiffant au poteau leur redoutable adversaire. Hormis l’amusement de faire ce petit match, je crois que ce qui m’a vraiment motivé, c’est le fait qu’on a tendance à mettre dans le même sac les quatre romancières, et ça m’agasse un peu. D’accord, il ne faut pas forcément chercher à mettre les auteurs dans des cases, mais juger que le roman de Jane Austen et le roman des sœurs Brontë sont pareils, c’est un non-sens pour moi. Les deux n’ont pas grand-chose à voir.

Les sœurs Brontë ont écrit plus tard que Jane Austen, elles connaissaient donc forcément son travail. Et pourtant, il n’y a aucune trace de filiation entre les deux. Leurs visions sont radicalement différentes. Je ne veux pas dire qu’il faut juger l’un supérieur à l’autre, mais il faut embrasser les différences. Le roman a fait du chemin, et notamment le roman féminin. Les sujets abordés ne sont pas les mêmes, l’intention d’écriture est différente. Et il est parfois bon de rappeler les particularismes des grands auteurs, parce que c’est justement dans les détails qu’on trouve les clés pour comprendre le succès de leurs livres, plusieurs siècles encore après. Je vous laisse donc méditer sur ce point en attendant de vous retrouver pour un prochain fight-club !

15 réflexions sur “Fightclub : Jane Austen VS les soeurs Brontë

  1. Vitany dit :

    Team Jane Austen pour moi…
    Les histoires des soeurs Brontë, bien qu’intéressantes, sont trop noires et violentes à mon goût de romantique… Et ses personnages sont trop… psychopathes comme tu l’as bien écrit ! ^_^

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  2. LHOAS Philippe dit :

    Pour ma part il n’y a pas photo: je toujours très peu apprécié Jane Austen, qui me rappelle Les Bonnes Soirées que je lisais il y a cinquante ans de cela.

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  3. cora85 dit :

    Sans hésitation : team Brontë !
    Je trouve un talent d’écriture à Jane Austen, mais j’ai toujours l’impression de lire « la même chose », et son style me semble parfois un peu plat.
    Je ressens bien plus de passion dans les histoires narrées par la fratrie Brontë.

    Très sympa ce duel !

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  4. Barbara dit :

    Bonjour, J’ai lu plusieurs fois l’une et les autres, et chaque fois je redécouvre. Ma préférence va à Jane Austen pour son humour féroce, son dynamisme, et son écriture très recherchée.
    Je viens de finir Jane Eyre. J’ai trouvé son personnage narcissique et castrateur. On dirait qu’elle n’apprécie vraiment sa relation avec Edward que lorsqu’elle le domine du fait de son handicap. Je qualifierais leur relation de sado masochisme avec les rôles tantôt inversés.

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  5. Stéphane Labbe dit :

    Curieusement les soeurs Brontë ne connaissaient pas Jane Austen, Charlotte a fait sa connaissance grâce à un critique littéraire (Henri Lewes) qui lui a recommandé « Orgueil et préjugés », roman auquel elle n’a trouvé que peu d’intérêt. Elle a néanmoins écouté Henri Lewes qui l’enjoignait à plus de réalisme pour la rédaction de son deuxième Roman (« Shirley ») avec le troisième (« Villette ») elle revient à l’imagination qui la guidait dans « Jane Eyre ». Les admirateurs de Jane Austen devraient lire Anne Brontë dont l’oeuvre est finalement assez proche de celle de Miss Austen. Pour ma part, je préfère Emily qui avec « Les Hauts de Hurle-Vent », écrit quelque chose d’intemporel et de vraiment novateur.

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