A l’orée du verger : le nouveau roman de Tracy Chevalier

Tracy-ChevalierDepuis la parution de son roman la Jeune Fille à la perle, la romancière américaine Tracy Chevalier a établi une solide réputation parmi les fans de roman historique un peu partout dans le monde. A ma très grande honte, je n’avais encore jamais lu aucun de ses livres. La parution chez Quai Voltaire du petit nouveau, A l’orée du verger, a donc été enfin l’occasion de plonger dans les pages passionnantes écrites par Tracy Chevalier. La semaine dernière, j’ai même eu la très grande chance de participer à une rencontre avec elle. Et le secret du succès de ses livres n’en est plus un : il suffit d’écouter la romancière parler avec passion de ses recherches, de son travail et de ses personnages pour tout de suite réaliser que c’est cet enthousiasme qui est la clé de ses romans. Un enthousiasme qu’on sent présent à chaque page dans ce nouveau roman qui nous invite à plonger dans le passé américain.

En ce XIXe siècle, la vie des classes laborieuses américaines est bien loin de l’american dream. La vie est dure dans les campagnes et, pour trouver du travail, certaines familles doivent traverser le pays et aller s’installer là où elles auront plus de chance de survivre. C’est ce que font Sadie et son mari James, qui rallient la région marécageuse des Black Swamp, dans l’Ohio, avec l’espoir de s’y installer et d’exploiter un verger de pommiers. Mais les conditions de vie sont plus dures que ce qu’ils avaient imaginé : les arbres ont du mal à pousser, l’argent rentre rarement, et les fièvres des marais tuent régulièrement certains de leurs enfants. Dans ces conditions, la vie de la famille se compose de heurts violents entre le mari et la femme. Les enfants sont les témoins impuissants du drame qui se joue. Bien des années plus tard, deux d’entre eux, Robert et Martha, vont chacun de leur côté entreprendre un voyage où la fuite est le seul moyen de survivre à leur passé. Déracinés, ils vont devoir se bâtir une nouvelle vie…

Ce roman magistral est en fait une fresque familiale car il dépeint la vie de deux générations d’une même famille : les parents puis deux des enfants qui ont survécu. A travers les décennies qui passent et les kilomètres qui séparent les différents membres de la famille, le lecteur est plongé dans une gigantesque course à travers les Etats-Unis dans un XIXe siècle pour le moins hostile.

L’histoire inventée par Tracy Chevalier repose sur une toile de fond très bien restituée car elle dépeint en détails la vie quotidienne des communautés rurales des Etats-Unis à cette période. Et là on est loin de La Petite Maison dans la prairie ! Pas de happy end préprogrammé. Peu de bienveillance. Par contre, la dureté de la vie, la violence d’un monde où les plus faibles se font broyer. Au moment de commencer le livre, j’avais un peu d’appréhension car j’avais peur que l’histoire soit très sombre et un peu pathétique. Mais ce n’est pas du tout le cas. Bien au contraire, ce livre dévoile une histoire solaire dans laquelle l’auteure ne cherche jamais à tirer des larmes faciles à ses lecteurs.

Le monde dépeint par Tracy Chevalier est violent, presque sauvage, mais c’est le fait d’une époque dans laquelle la règle du chacun pour soi était de mise. Si cette toile de fond est importante, elle n’est pourtant pas au cœur de l’histoire. Car l’histoire est véritablement basée sur les membres d’une famille, dont chacun essaye de saisir son destin à bras le corps pour se sortir de la situation dans laquelle il se trouve. Les personnages sont particulièrement bien soignés, et on alterne les points de vue. Chaque personnage livre sa part de l’histoire. En ce sens, ce roman m’a fait penser au magistral roman de William Faulkner, Tandis que j’agonise. La subjectivité des personnages permet de rentrer plus facilement dans leurs émotions, de les comprendre et de faire preuve d’empathie. C’est aussi un bon moyen de saisir les rapports de force qui sont en jeu, et notamment le fait que chacun défend son territoire.

Si le personnage de Robert est indéniablement le personnage central de cette intrigue, j’ai aussi beaucoup apprécié le personnage de sa mère, Sadie. Alcoolique, désabusée, colérique, violente et malheureuse, cette mère n’hésite pas à se montrer cruelle envers son mari et ses enfants, comme pour se venger du sort qui lui est infligé par le destin. Véritable Médée, elle est aussi une figure touchante à cause de sa détresse et de son impossibilité de communiquer avec ceux qu’elle aime. Enfermée dans une folie grandissante, elle perd pied peu à peu. Ce personnage féminin, d’une grande profondeur, est incroyable. C’est rare de croiser ce genre de portrait féminin, à des années lumières des clichés sur les bonnes mères de famille. Avec cette image écornée de la maternité, on comprend vite que Tracy Chevalier n’est pas intéressée par le fait d’écrire un « gentil » roman historique. Elle cherche à livrer une vérité : celle de ces gens jetés sur les routes américaines avec l’espoir de trouver une vie meilleure. Et c’est impossible de rester insensible à leur sort, quel qu’il puisse être, car l’authenticité de l’histoire est justement ce qui fait sa force.

Ce roman a été une très belle découverte et un formidable coup de cœur. Je n’ai rien dit sur les arbres, qui sont pourtant une part essentielle de l’histoire et sur lesquels Tracy Chevalier est incollable. Quand on en discute avec elle, on se rend compte qu’elle a lu énormément de livres sur le sujet et qu’elle a complètement absorbé ce savoir. Peut-être est-ce d’ailleurs le cœur de son histoire : les racines, celles des arbres et celles des hommes, comment elles nous ancrent et comment elles peuvent nous limiter.

Même sans être fan de romans historiques, les lecteurs de tous genres pourront se laisser séduire par ce roman très réussi. Oubliez tout ce que vous pensez savoir sur le roman historique : cette histoire ne cherche pas à faire revivre une carte postale mais à vous projeter dans l’intime de ses personnages. C’est une histoire forte, authentique et étonnante ; elle est écrite avec un talent de conteur dans la droite lignée de la tradition américaine. Un très grand livre donc.

7 réflexions sur “A l’orée du verger : le nouveau roman de Tracy Chevalier

  1. Elisabeth dit :

    Merci pour l’ardeur avec laquelle tu décris ce roman ; tu donnes envie de réveiller le libraire du coin pour se procurer le livre !!
    Du même auteur le roman  » prodigieuses créatures  » est aussi très prenant . Il me laisse une marque indélébile .
    Tu as eu bien de la chance de rencontrer cette dame !

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    • Alivreouvert dit :

      En fait, le livre ne ressemble pas trop à un roman historique car l’histoire est vraiment focalisée sur les personnages, et pas tellement sur le contexte historique. Donc je pense que même si tu n’es pas fan des romans historiques, ce livre peut te plaire.

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