Jane Austen aurait inventé le roman policier ? Sans blague !

Bogart

En ce mois de mars consacré au roman policier sur Alivreouvert.net, j’ai eu envie de partager avec vous la passionnante biographie du roman policier. En effet, on a tendance à penser que les genres littéraires, et surtout les plus populaires, ont toujours fait partie du paysage. C’est faux bien entendu… comme presque toutes les vérités auxquelles ont tient vraiment. Le roman en lui-même est une création assez récente. Alors les différents genres de romans sont forcément relativement récents. J’écris « relativement » car l’histoire de la littérature est vaste. Munie de mon carbone 14, je vais donc vous dévoiler les mystères qui entourent la naissance d’un genre littéraire qui a su devenir populaire partout à travers le monde. Mais au fait, qui a écrit le premier roman policier ?

Jane Austen était la grand-mère d’Agatha Christie

Ne vous emballez pas : ce n’est pas tout à fait vrai. S’il n’y a aucune filiation génétique entre les deux femmes de lettres, il y a en revanche une filiation littéraire. Car les deux anglaises sont liées malgré elles, et la reine du crime n’aurait probablement jamais existé sans son illustre aînée.

Aussi étonnant que ça puisse paraître, un bon nombre de spécialistes s’accordent à dire que le premier roman policier de toute l’histoire de la littérature occidentale est… Jane Austen !  En 1815 (ça date un peu), la formidable auteure d’Orgueil et Préjugés publie son roman Emma. Il n’y a pas de meurtre, et pourtant le livre recèle une énigme qui ne trouve sa résolution qu’à la toute fin. La structure narrative, qui correspond à ce qui s’imposera plus tard dans le genre, fait donc d’Emma le premier roman policier de l’histoire, avec une narration qui dévoile des indices tout en gardant le mystère pour ne laisser éclater la vérité qu’à la fin, bluffant par là le lecteur. Du peu qu’on sait sur la genèse d’Emma et sur l’intention d’écriture de Jane Austen, il ne semblerait pas que la romancière ait eu conscience de son acte de création. Elle a juste eu une formidable intuition en innovant avec bien des décennies d’avance sur les structures narratives modernes !

Il faut tout de même relativiser les choses. Si Jane Austen est considérée comme la figure maternelle du roman policier pour l’Occident, en Orient on connaissait déjà le roman policier depuis belle lurette : en Chine, le premier récit policier date du VIIIe siècle. Oui, vous avez bien lu !

Un singe assassin, vous plaisantez ?

Si Jane Austen n’a pas forcément bien jaugé de la qualité de son innovation littéraire, d’autres vont s’engouffrer dans la brèche, et il faut compter quelques années avant de voir d’autres histoires policières être publiées. La plus illustre d’entre elles, et celle qui correspond vraiment au premier roman policier voulu comme tel est la formidable nouvelle d’Edgar Alan Poe : Double assassinat rue Morgue. L’histoire, publiée en 1841, est accompagnée d’autres nouvelles policières, mais c’est elle qui va marquer tous les esprits par son originalité et son suspens à peine soutenable. Pour ceux et celles d’entre vous qui ne l’ont jamais lu, ce livre historique est tout bonnement excellent. Les lecteurs du monde entier ne se sont toujours pas remis de son ultime révélation, et Poe y dévoile un génie littéraire d’une rare intensité.

D’une manière générale, les histoires policières commencent à se déployer dans les pays anglo-saxons. Les britanniques en sont particulièrement friands, et c’est au cours du XIXe siècles que naissent les Penny Dreadful : des magazines contenant des histoires à sensation, parfois inspirées de faits divers, et vendus 1 penny l’exemplaire… d’où leur nom. Le public s’enthousiasme pour ces histoires qui donnent le frisson, et leur aspect subversif n’est peut-être pas pour rien dans ce succès. A l’époque, on vit encore dans une société corsetée où ça ne rigole pas tous les jours.

Pipe, loupe et casquette…

Considéré comme un genre littéraire à sensations, le roman policier va vraiment trouver ses lettres de noblesse en Angleterre… encore et toujours ! Le responsable, vous le connaissez : un médecin écossais du nom d’Arthur Conan Doyle publie en 1887 un roman qui fera date, Une Etude en rouge. On voit apparaître dans ses pages un personnage incroyable et tout à fait moderne : Sherlock Holmes. Cet esprit brillant synthétise à lui seul l’avenir de la société tel qu’on l’imagine à l’époque : l’avènement de la science et de l’esprit logique, la victoire de la rationalité sur tous les événements inexplicables, la fin de l’obscurantisme. Avec son sens de la déduction à toute épreuve, ce personnage dépassionné brise pour de bon les codes du roman pour prendre le large.

Sans peut-être en avoir conscience à l’époque, Conan Doyle fige un certains nombre de principes qui vont forger les codes du roman policier : un personnage principal charismatique mais un peu mystérieux, un acolyte qui sert de faire-valoir mais peut judicieusement jouer un rôle décisif dans certaines histoires, des personnages secondaires qui reviennent, un mystère par histoire, des rebondissements et fausses-pistes, et surtout l’importance de la scène d’exposition finale où on doit démasquer le coupable de façon théâtrale. La recette est tellement bonne qu’on s’en sert encore aujourd’hui : regardez n’importe quelle série policière à la télé et vous verrez !

Le succès rencontré par Une Etude en rouge va lancer la carrière de Conan Doyle et de son détective. Elle va aussi créer des vocations. Loin de verser dans le sensationnalisme, le roman policier prouve désormais qu’il peut s’accompagner d’une certaine part d’intelligence et de psychologie. Ces deux éléments vont être le déclencheur de la mode du roman policier en France avec notamment Maurice Leblanc qui invente Arsène Lupin (en France on se lance le défi d’écrire des histoires policières où le lecteur sait d’emblée qui est coupable !), Gaston Leroux qui écrit les aventures de Rouletabille mais aussi le superbe Fantôme de l’opéra, et évidemment Arthur Bernède, auteur illustre inconnu à qui ont doit tout de même Belphégor.

Le temps s’en va, le temps s’en va madame…

Les années passe et le roman policier ne fait que se renforcer. Il bénéficie du soutien sans faille d’auteurs brillants qui vont être capable de le réinventer et lui redonner régulièrement du souffle : Agatha Christie, Georges Simenon, Margery Allingham, Ian Fleming, Raymond Chandler, Anne Perry, John Le Carré, James Ellroy, Robert Ludlum, John Grisham, Franck Thilliez, Jean-Christophe Grangé, Patricia Highsmith… plus la cohorte d’auteurs nordiques.

Le roman policier connaît tellement de sous-genres qu’il est presque impossible d’en faire le tour. L’année dernière, j’ai tenté l’expérience en vous livrant un panorama du roman policier, mais cette liste reste non exhaustive. Le succès du roman policier demeure, malgré le temps et les autres modes. Il a changé de visage et existe dans différents style : de l’humour à l’horreur la plus insupportable, il y en a pour tous les goûts ! Mais, quel que soit votre genre de prédilection, vous savez maintenant que tout est venu de Jane Austen.

P.S : l’image d’illustration choisie est un extrait du film Le Grand Sommeil, adaptation du roman du même nom écrit par Raymond Chandler. Dans le film, le détective est incarné par nul autre que Humphrey Bogart himself.

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