Sois belle et tais-toi, le livre témoignage d’Amandine Grosjean

Sois-BelleJe n’ai jamais rêvé d’être mannequin, mais comme beaucoup de femmes je lis la presse féminine. Entre shootings de mode, pubs pour des régimes et articles sur des produits de beauté miracle qui vous font perdre votre cellulite, je pense que la question de la beauté ne m’est plus étrangère. Notre société moderne, hyper médiatisée, n’a semble-t-il toujours pas trouvé le moyen de parler objectivement des femmes, sans se sentir obligée de mettre sur un piédestal des filles slaves de 15 ans aux mensurations parfaites. La féminité, ce n’est pas ça. Mais plus grave encore, la beauté des femmes ce n’est pas ça. Tout ça pour dire que ma curiosité pour le monde du mannequinant n’est pas forcément très développée à la base. Pourtant, en découvrant Sois belle et tais-toi, le livre écrit par l’ex-mannequin Amandine Grosjean, je n’ai pu m’empêcher de me sentir concernée. Parce que c’est un sujet de société, que peu de monde en parle, et surtout parce que c’est très rare d’avoir un témoignage de l’intérieur. Ça valait bien une lecture !

Amandine est une jeune fille presque comme les autres : elle est très belle et rêve de devenir mannequin. C’est son rêve depuis des années, et elle veut intégrer cet univers, travailler avec les meilleurs et vivre une vie exaltante. Ça pourrait être le rêve de beaucoup de filles et en rester là, sauf que la jeune fille est décidée. Elle réussit à se faire remarquer et signe avec deux agences de mannequinat. Là va commencer un véritable parcours du combattant avec des castings, des heures et des heures d’attente, des gens pas toujours très professionnels et beaucoup de désillusions malgré les succès qu’elle décroche.

Elle raconte une histoire comme si c’était vrai : normal, tout est vrai. Le livre d’Amandine Grosjean, qui vient de paraître chez City éditions, jette un pavé dans la mare. Il se lit comme un roman mais dévoile l’histoire véridique de son auteure : une jeune fille qui rêvait de devenir mannequin et qui est parvenu à percer dans ce monde opaque. Le livre est écrit à la première personne, et dès les premières pages on a la sensation d’entendre la voix d’Amandine qui nous raconte, comme elle pourrait le faire dans le cadre d’une conversation, l’histoire de sa vie dans le monde de la mode. Une confidence d’autant plus forte qu’elle est faite sans fioritures, sans verser dans le sentimentalisme. Elle raconte objectivement, et ça rend ce livre encore plus frappant et touchant.

L’histoire d’Amandine n’est certainement pas très différente de celle de milliers de jeunes filles. Au début, elle ne connaît pas bien le milieu du mannequinat, comment ça marche, les codes à respecter… Mais dans ce milieu où tout se passe dans les coulisses, être belle ne suffit pas. Et rapidement, la compétition s’installe entre vous et les autres. C’est un milieu qui se révèle être violent, qui recèle des gens vraiment pas sérieux (voire inquiétants), et surtout qui ne manifeste pas le moindre respect pour les mannequins. Les filles sont traitées comme du bétail, on les juge comme des bêtes au salon de l’agriculture, les médailles en moins ! C’est difficile d’être insensible à ce que ces filles vivent, à être rabaissées en permanence alors qu’elles sont (et Amandine le souligne bien) des filles magnifiques qui, dans la vraie vie, passeraient pour des bombes.

Outre la dimension humaine, le livre montre bien que le problème du mannequinat, c’est aussi que son image glamour sert de mirage. La réalité est loin d’être aussi « strass et paillettes », et les filles travaillent souvent dans des conditions qu’on peut objectivement juger comme étant extrêmes. Des conditions de travail que personne n’accepterait dans un autre milieu professionnel. Des rapports humains inexistants que personne n’accepterait dans un autre milieu professionnel. En fait, ce monde apparaît vraiment comme étant unique, et pas franchement dans le bon sens du terme !

Ce qui frappe, au fil des pages, c’est la lucidité avec laquelle Amandine juge son ancien métier. Elle en parle avec beaucoup de discernement et sans jamais marquer de l’aigreur ou de la colère. Son livre est vraiment très informatif, presque objectif comme un documentaire malgré le fait qu’elle nous parle de sa propre histoire. En le lisant, le lecteur ne peut pas rester insensible aux histoires de ces jeunes filles. Il en vient aussi à faire la part des choses entre les clichés véhiculés par ce milieu et la réalité.

Arrivée au bout de ma lecture, j’ai trouvé que le pire était de constater à quel point certains clichés étaient encore loin de la réalité : les filles ne sont pas traitées comme des reines, et elles n’ont pas franchement des images d’elles-mêmes très positives. Loin de se considérer comme les plus belles femmes du monde, elles se focalisent sur leurs complexes… comme des filles normales ! Sauf que pour elles, la pression est encore plus forte vu qu’il s’agit de leur métier. Leur corps est leur gagne-pain, et ça rend tout plus intense et plus difficile à gérer. A ce titre, il y a un passage qui m’a beaucoup touchée, et qui, je trouve, résume très bien le propos du livre :

« Mon degré de superficialité sur le physique fait intégralement partie de moi-même dans le cadre de mon métier. Comme pour la plupart des filles. C’est une aliénation de nous-mêmes, alimentée au quotidien. Difficile d’y échapper. C’est comme si un comptable d’empêchait de compter, ou un commercial, de vendre. Notre plastique est notre CV. Elle devient un être à part que l’on protège comme une jeune pousse et que l’on compare froidement aux autres. La seule différence avec un autre métier : le champ d’action est limité pour booster notre CV. Mis à part une bonne hygiène de vie et un passage dans un institut de beauté, notre potentiel professionnel ne gonflera jamais plus. Cette fatalité peut nous embarquer dans une impuissance parfois très frustrante. Comme si notre corps nous empêchait d’atteindre notre but, nous limitait dans nos désirs. Je me suis souvent sentie emprisonnée dans mon propre physique. Comme prise au piège. »

Je pense que toutes les femmes devraient lire ce livre : c’est une question de salut personnel. Car même si les médias continuent de véhiculer une image stéréotypée de la beauté, il faut être capable de faire la part des choses et garder la tête froide. Nous ne sommes pas toutes des bombes, et même les mannequins se retrouvent confrontées à des complexes liés à leur physique.

L’impression étrange que toute notre société marche sur la tête ne m’a pas quittée, et ce livre m’a vraiment fait réfléchir. La lecture en a été passionnante et je pense sincèrement qu’il intéressera beaucoup de filles. En l’écrivant, Amandine Grosjean a non seulement une bonne idée, mais elle a surtout réussi à mettre des mots sur quelque chose qui concerne beaucoup de femmes, celles qui posent comme celles qui regardent les photos. Et ce n’est pas rien !

7 réflexions sur “Sois belle et tais-toi, le livre témoignage d’Amandine Grosjean

  1. noechap dit :

    Ce que je trouve triste, c’est que la personne ait dû attendre un changement de métier pour s’exprimer. Où est la liberté d’expression? On prend souvent l’exemple de la Chine pour parler de la censure, mais ne serait-elle pas mondiale? Est-ce qu’Amandine craignait d’être exclue du système de la mode si elle parlait de ses souffrances de mannequin quand elle exerçait encore le métier? En parle-t-elle dans son livre?

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    • Alivreouvert dit :

      Il ne s’agit pas de censure du tout. Dans le livre, elle explique bien qu’il lui a fallu du temps avant de se rendre compte des choses et de pouvoir envisager sa « condition » de manière lucide. Le cheminement a été long et a été le déclic pour tout quitter. Aujourd’hui elle travaille dans les médias (elle est rédactrice en chef d’un magazine) et elle se sert de son expérience pour témoigner. Je pense qu’elle prend largement autant de risques à témoigner aujourd’hui.

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      • noechap dit :

        Ok, donc ce qui lui a permis de dire ces choses, c’est le recul. Intéressant.
        Peut-être qu’en tant que rédactrice en chef, elle risque quand même moins que si elle travaillait pour le compte de quelqu’un.

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  2. Ludovic-J. Gombault dit :

    Pour ma part, j’ai trouvé ce document à la fois touchant (dur de se prendre en pleine figure des jugements péremptoires sur son physique comme si on était un simple produit dans un rayon de supermarché !) et mordant (le style enlevé dédramatise le propos, ce qui fait qu’on n’a pas l’impression de lire un livre juste revanchard). Bien qu’étant un homme, j’ai pu m’identifier à l’auteure qui voit son estime de soi dégringoler chaque jour un peu plus mais qui s’accroche à son rêve… Ce paradoxe qu’elle décrit touche au coeur et fait de Sois belle et tais-toi plus qu’un témoignage coup de gueule contre le milieu de la mode, plutôt une belle histoire de rédemption et de retour aux valeurs saines, loin du culte de l’apparence qui ronge notre société.

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