Est-il trop tard pour se mettre à lire ?

marilyn

Depuis le début de l’année, je crois qu’on a passé en revue pas mal de choses en lien avec la lecture : les habitudes quotidiennes, comment prendre le temps de lire, comment monter son propre club de lecture, les raisons pour lesquelles ça fait du bien de lire… Difficile de faire un dossier plus complet sur le sujet. Il faut dire que c’est justement un sujet qui me tien à cœur. Un sujet crucial, rendu d’autant plus important que les vertus négatives de notre époque auraient plutôt tendance à nous laisser nous bourrer le crâne de cochonneries télévisuelles juste pour le plaisir de vendre notre « temps de cerveau disponible » aux publicitaires. Non pas que je sombre dans la paranoïa ou que j’adhère à une quelconque théorie du complot. Mais soyons francs : ce n’est pas parce qu’on est parano qu’ILS n’en n’ont pas après nous.

L’article du jour est donc à nouveau consacré au plaisir de lire. Je pense que jusqu’à mon dernier souffle je défendrais l’idée que la lecture peut sauver le monde… ou en tout cas les humains qui prennent le temps de s’y adonner. Mais une question se pose : est-il jamais trop tard pour se mettre à lire ? Je parle souvent de la lecture, et j’ai l’impression que la plupart du temps, je prends pour acquis que tout le monde est comme moi : un lecteur spontané. J’entends par là qu’on vous a appris à lire quand vous étiez petits, et que vous ne vous êtes jamais arrêté depuis. Mais qu’en est-il pour les autres ?

L’écrit, ça n’est pas naturel

L’apprentissage de la lecture à l’école n’a rien de facile ou de naturel. Normal, nous ne sommes pas naturellement des êtres écrivants. Nous sommes des individus doués de facultés de communication, mais notre communication naturelle, en tant qu’espère, est basée sur les sons et sur la gestuelle. Jusque là, rien d’anormal : nous sommes une espèce animale comme les autres. Notre grande différence (et selon certains, l’essence de notre supériorité) vient du fait qu’à un moment de notre histoire commune, nous avons été capable de basculer dans une civilisation de l’écrit. Aucune autre espère animale n’a été capable d’opérer un tel changement. Nous avons inventé l’écriture, puis au gré des siècles des moyens de reproduction de la chose écrite toujours plus perfectionnés. Aujourd’hui, internet de la dématérialisation de l’information nous permettent d’accéder à l’écriture et au savoir qu’elle contient partout dans le monde. Vaste progrès. Evolution inimaginable. Mais pas pour tout le monde.

Jusqu’à très récemment, apprendre à lire et à écrire était réservé aux couches les plus élevés de la société. L’éducation coûtait cher (ce qui n’a pas tellement changé) et les métiers manuels ne demandaient pas de compétences « intellectuelles ». C’était encore valable sous l’ancien régime en France par exemple. De nos jours, tout le monde utilise les mails dans son travail, et l’écrit n’a jamais été aussi présent. Pourtant, les choses sont loin d’être faciles.

Apprentissage/Douleur/Humiliation/Abandon

Etant donné que l’écriture n’est pas quelque chose de naturel pour l’être humain, son assimilation peut parfois être compliquée. De même que celle de la lecture, qui va de paire. Evidemment, quand on manque de professeurs, de moyens et que les enfants se retrouvent dans des classes de 25 élèves en primaire, ces nombreux facteurs ne facilitent pas du tout l’apprentissage de la lecture. Le rapport à la chose écrite peut rapidement devenir un énorme problème. Il suffit de songer aux dyslexiques, longtemps rejetés au banc de l’éducation parce qu’on les prenait pour des cancres ; le savoir qu’on a pu acquérir sur ce trouble en particulier prouve bien qu’apprendre à lire et à écrire peut être un parcours du combattant pour certains enfants.

J’ai eu la chance de ne pas faire partie de cette catégorie. Moi j’ai appris facilement. J’avais très envie d’apprendre à lire et à écrire, et très tôt je m’en suis bien sortie. J’étais à l’aise pour lire à haute voix en classe. Pour certains de mes amis de l’époque, c’était au contraire un supplice redouté. Des heures de calvaire en perspective, l’assurance de se faire reprendre par la maîtresse, la peur que d’autres élèves se moquent des erreurs de prononciation, et finalement lire devenait une torture. Je ne blâme pas l’éducation nationale, je constate juste que pour beaucoup d’enfants, ces méthodes d’apprentissage n’étaient pas adaptées et qu’elles ont causé des dommages irrémédiables.

Laissons de côté les cas (d’ailleurs trop nombreux) d’enfants illettrés ou qui arrivent au collège sans être capable de lire et écrire correctement (une amie qui enseigne en collège s’en alarme régulièrement). Si on se concentre sur les seuls cas d’enfants qui ont tellement passé un sale quart d’heure avec la lecture qu’ils en sont venus à détester ça. Le collège ne fera rien pour endiguer le problème car à ce niveau là, c’est trop tard. Donc, nos élèves continuent de détester lire et se sentent honteux car c’est un domaine dans lequel ils sont systématiquement en échec. Et le lycée arrive, avec son épreuve de Bac de français. Les études de livres imposés, les dissertations et les commentaires de texte. Mais l’espoir est au bout du tunnel : en sortant du lycée, plus personne ne les obligera à lire.

Une vie sans lecture

C’est tout à fait possible de sortir du système scolaire et de ne plus jamais ouvrir un livre. Je connais des gens qui l’ont fait. D’ailleurs, ça n’a rien d’illégal. Et je ne vante pas les mérites de la lecture parce que je pense que tout le monde doit être comme moi. Je ne suis par une fondamentaliste de la lecture ! Je constate juste qu’un problème pas réglé avec la lecture débouche sur une détestation profonde de la chose écrite.

Là où ce n’est pas de chance, c’est que les mails se sont incroyablement répandus. Il y a de l’écriture partout autour de nous ! Elle nous envahit au travail et dans notre vie privée. Alors, d’accord, les mails professionnels, les textos et les statuts de facebook ne sont pas les porte-étendards des futurs Balzac, mais cahin-caha les gens écrivent. Et ils écrivent plus qu’ils n’ont jamais écrit. A leur corps défendant, ils écrivent. Même s’ils ne sont pas à l’aise dans l’exercice, ils écrivent.

Mais qu’en est-il de la lecture ? Autour de moi, je constate que les élèves qui ont subi la lecture à l’école comme si c’était une brimade ont grandi pour devenir des adultes qui ne lisent pas. « Moi j’aime pas lire » cache en fait une vérité plus difficile à avouer, allant du simple « je m’ennuyais à l’école avec ce qu’on me faisait lire » au dramatique « j’avais honte et je me sentais ridicule quand je devais lire à haute voix ». Pour ne plus jamais revivre ça, ils décident de se tenir le plus éloigné possible des livres. Et franchement, qui pourrait leur en vouloir ? On ne se remet pas facilement d’un traumatisme d’enfance. Et je n’utilise pas le mot à la légère.

Franchir un cap et saisir une seconde chance

Aujourd’hui, tout le monde tape sur l’éducation nationale en disant que le système est en échec. On distribue le Bac comme des œufs de Pâques et le nombre d’enfants en grande difficulté scolaire n’a jamais été aussi haut depuis des décennies. Mais l’histoire ne se finit pas quand on sort de l’école. Et ce n’est pas parce que les choses se sont mal passées à ce moment-là qu’il ne faut plus encourager les gens à lire par la suite.

En grandissant, on chemine dans la vie, on en apprend plus sur soi-même et on apprend à se libérer du jugement des autres. On fini pas dédramatiser la notion d’échec. Tant mieux, c’est une force. C’est donc la raison pour laquelle il faut continuellement tendre la perche aux non-lecteurs. Ils ne sont plus des enfants terrifiés par les caractères d’imprimerie. Ils peuvent facilement trouver des livres dont les histoires leur plairont. D’ailleurs, la lecture doit être un plaisir et pas une épreuve. Entre parenthèse, la lecture n’est pas réservée à une pseudo élite intellectuelle. Bien au contraire, c’est un plaisir accessible à tous et c’est comme ça que les choses doivent être.

Je pense donc sincèrement que le rôle des lecteurs est de toujours communiquer leur plaisir de lire autour d’eux. Il n’est jamais trop tard pour se mettre à lire, à découvrir le plaisir d’ouvrir un livre, de plonger dans une histoire, un univers. Et on peut très bien faire passer cette idée sans jouer les moralisateurs intellos. N’hésitons pas à offrir des lire autour de nous pour n’importe quelle occasion, en particulier à ceux qui n’aiment pas lire. Ça peut être un recueil de blagues, de citations, une bande dessinée… On ne parle pas de se lancer dans l’intégral de Proust ! Il faut simplement aborder les gens avec cœur, avec curiosité, découvrir ce qu’ils apprécient et leur tendre un livre comme une seconde chance de découvrir enfin le plaisir de lire.

L’écriture a été inventée à des fins utilitaristes, mais pas seulement. Elle permet de transmettre l’information et les connaissances. Mais elle fige aussi des émotions, des idées, des choses importantes de notre humanité qui ne nous définissent pas seulement en tant qu’espèce mais aussi entant qu’individus. Chacun d’entre nous doit pouvoir y avoir accès et se sentir faire partie de ce tout. Si nous abandonnons certains sur le bord de la route parce que c’est trop difficile de faire monter tout le monde à bord du train, alors est-ce que ça valait vraiment la peine de se donner autant de mal pour inventer un tel système de communication ? Chacun est important, et chacun a sa place dans la lecture.

10 réflexions sur “Est-il trop tard pour se mettre à lire ?

  1. Lost in Chapter 13 dit :

    Merci pour cet article très intéressant.
    D’ailleurs je vais en profiter pour parler de mon expérience car il semblerait que je sois un cas un peu atypique. Je fais partie de ceux pour qui la lecture et l’écriture étaient de véritables corvées pendant toute la scolarité. Il m’a fallu attendre mes études supérieures pour découvrir que lire était passionnant. En fait, il s’avère uniquement que j’étais un peu plus lent que d’autres pour aimer cette pratique et comme tu dis, le collège n’était pas fait pour rattraper ce retard donc tant pis pour moi. Avec le recul, j’aurais clairement pu passer ma vie sans jamais vraiment lire de romans (cette simple pensée est terriblement effrayante). Heureusement, une fois que la lecture et l’écriture n’étaient plus des obligations de cours, quelques hasards m’ont donné la chance de plonger dedans et je n’en suis plus jamais ressorti. Aujourd’hui je suis un gros lecteur alors que j’ai démarré vraiment tardivement. Et en lisant ton article, j’imagine que beaucoup sont restés sur leur horreur de la lecture alors qu’ils auraient très bien pu y trouver beaucoup de plaisir s’ils avaient la chance d’avoir eu la bonne opportunité.
    Et je partage totalement ta conclusion, c’est important de tendre la main pour montrer qu’il y a différentes expériences de lecture et qu’il ne faut jamais en avoir honte.

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  2. Sev dit :

    Je suis mariee a un charmant monsieur qui est journaliste, mais qui est allergique aux livres. Donc il ecrit, il manie bien les mots, mais les livres, il ne peut pas. Une contradiction vivante.
    Tout d’abord il n’aime pas la fiction – Ok, chacun ses gouts. Mais meme avec les ouvrages qui ne sont aps de la fiction, il a du mal. Je pense qu’il prefere les choses concises et qui vont droit au but.
    Et pourtant, qu’est-ce qu’il lit! Mais des articles de journaux, c’est tout.
    Bref, la lecture, c’est vraiment un truc tres personnel…

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  3. enviedlyre dit :

    Déjà c’est un excellent article, vraiment. J’admire l’audace et la passion que tu nous livres.
    Puisque les commentaires sont en mode confidence je mis met aussi.
    Je suis aujourd’hui blogueuse littéraire (même si le temps me manque énormément en ce moment). J’adore les livres et les partager par écrit encore plus. MAIS j’ai fait et je fais encore partie des élèves qui ont des difficultés. Ces élèves qui ont beau essayer encore et toujours ont du mal à réussir. Je pense effectivement que je ne suis pas faite pour le système de l’éducation nationale sans critiquer celui-ci. Seulement, il est impossible qu’une méthode convienne à une classe entière d’autant plus que je suis gauchère et je crois que mes logiques et façons de penser sont différentes ce qui accentue la difficulté dans ce système (Attention ce n’est que mon opinion !). Pour en revenir à nos moutons, l’apprentissage de la lecture a été un calvaire pour moi. Mais en grandissant, le traumatisme disparaît pour laisser place aux plaisirs. Il faut du temps ,et lire ce dont on a envie. C’est aussi pour ça que je prône qu’il n’y a pas de sous catégories de livre. Il y en a pour tous et aucune lecture n’est honteuse. J’aime beaucoup les mots et pourtant j’ai toujours étaient la reine des fautes d’orthographes, grammaire et autres. Ca ne m’empêche pas d’avoir décidé d’être blogueuse littéraire parce que oui ce n’est pas parce qu’il y a des difficultés qu’il n’y a pas de plaisir. On peut aimer les mots sans savoir les écrire et on peut aimer un livre même s’il faut du temps pour le déchiffrer. Si un jour une personne traumatisée passe par ici, je lui conseille de se concentrer sur son plaisir, et non sur sa difficulté peu importe ce qu’elle est.

    Je suis blogueuse littéraire, apprentie libraire et j’en suis fière !

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